On nous répète à l’envi que le vieux monde est mort, que désormais le centre du monde s’est déplacé sur la façade Pacifique où paradent les trois super-puissances, mais alors pourquoi ces gros alligators viennent-ils se battre dans le petit marigot méditerranéen ? La Méditerranée reste plus que jamais au centre du monde, mais en quelques mois l’intervention russe en Syrie a complètement redistribué les cartes. Et la vérité est qu’ il n’y a plus de « mare nostrum ».
Pourquoi autant d’intérêt pour cette mer ? Pourquoi la victoire syro-russe de Palmyre a-t-elle engendré si peu d’enthousiasme et autant de dépit dans le monde ? Et d’abord en quoi consiste cette victoire et quels en sont ses enjeux ?
La libération de Palmyre représente une victoire majeure, elle annonce la fin de l’Etat islamique tout en rebattant les cartes géostratégiques. Avec la victoire de Palmyre la Russie s’est rendue incontournable en Méditerranée, c’est elle qui maintenant donne des leçons à une Amérique arrogante et incrédule, tandis que la Chine ne cède rien. Comment cela s’est-il passé ?
la ville de Tadmor, et les ruines de l’antique Palmyre situées à proximité, étaient aux mains des combattants de l’État islamique depuis 10 mois. Au matin du 27 mars, l’armée syrienne, appuyée par l’aviation russe, a libéré la ville hautement stratégique de la province d’Homs. C’est un raz-de-marée dans la guerre internationale de Syrie qui dure depuis six ans, et ce raz-de-marée fait des vagues dans le monde entier.
D’un point-de-vue régional:
Pour le gouvernement de Bachar al-Assad comme pour l’ « Etat islamique » Tadmor est un point stratégique majeur. La ville est située sur la route menant aux rives de l’Euphrate, et à Raqqa, la capitale officieuse du Califat. De plus la ville renferme l’un des six aéroports de Syrie que les islamistes utilisaient à des fins militaires. La ville est située presque au centre géographique de la Syrie, à la jonction des routes principales reliant l’est et l’ouest du pays. Tadmor se trouve à la jonction des routes reliant Damas et Homs vers le grand centre d’industrie pétrolière de la province de Deir ez-Zor, dont une partie est toujours aux mains des forces islamistes. En perdant Tadmor qui contrôlait le vaste désert syrien qui se prolonge en Irak, les islamistes ont subi le recul le plus grave depuis 2013, lors de la proclamation du Califat. Cette défaite du Califat préfigure très certainement sa fin. Une défaite qui impacte également l’image des groupes islamistes qui ne font pas partie des négociateurs de Genève, comme Al-Nosra et l’Etat islamique. Des groupes terroristes qui devraient avoir désormais plus de mal à recruter des combattants à travers le monde.
D’un point-de-vue international:
Mais cette prometteuse victoire syro-russe ne réjouit pas les pays de la coalition américaine, parmi lesquels la France. La France frappée de plein fouet par les terroristes islamistes devrait fêter cette victoire qui en asséchant le foyer islamiste Proche-oriental devrait par contre-coup bientôt assécher toutes velléités terroristes en Europe. Certes tout n’est pas fini, les combattants islamistes en déroute vont tenter de gagner l’Union européenne, mais l’exode des populations frappées par la guerre devrait également s’assécher et en toute logique les autorités de l’Union européenne devraient prévoir le retour des réfugiés syriens dans leur pays. Mais qui en parle en Europe? Silence radio! Hormis les 5 députés qui se trouvaient sur place en Syrie au moment de la libération de Palmyre, les échos de la libération de Palmyre se sont fait le plus discrets possibles et les commentaires les plus critiques admissibles. Les forces prétendument modérées soutenues et armées depuis le début par les pays occidentaux se sont alarmées de cette victoire: «J’ai bien peur que le cessez-le-feu permette au régime d’Assad de reprendre le contrôle de l’ensemble de la Syrie, ce qui libérerait le territoire contrôlé par l’Etat islamique, mais aussi par le Front al-Nosra » commente Riyad Nassau Agha, membre du Comité pour les négociations de l’opposition syrienne. Un aveu de taille pour quelqu’un qui prétend représenter les intérêts du peuple syrien! Il est vrai qu’entre terroristes islamistes… Une opinion pourtant largement partagée par les pays membres de la coalition américaine sensés combattre l’Etat islamique, même s’ils n’osent la formuler aussi ouvertement. Sans l’intervention russe, les islamistes seraient peut-être déjà passés maîtres de la Syrie toute entière et peut-être même de l’Irak. Mais au lieu de cela, le cessez-le-feu engagé sous l’impulsion de la Russie et entré en vigueur le 27 Février grâce aux succès d’une intervention russe qui n’a duré que cinq mois seulement, a installé la trêve des combats sur la plus grande partie du pays.
Si la Russie laisse la plus grande gloire à Assad et à l’armée syrienne, le monde ne voit que le succès personnel de Vladimir Poutine.
Concrètement, quel a été le rôle de la Russie ?
Avant la première attaque au sol, le 9 Mars, des avions russes ont effectué des frappes aériennes préparatoires sur les positions de l’EI, et la semaine suivante des commandos de l’armée syrienne avec le soutien des avions et des hélicoptères russes, ont réussi à couper les voies d’approvisionnement des terroristes, au Nord et à l’Est de la ville.
Le ministère de la Défense russe a indiqué que l’aviation a effectué au total dans cette opération, 121 sorties dans la région de Palmyre et a mené plus de 400 attaques sur des cibles de l’EI, tuant 500 terroristes.
Dans cette opération les hélicoptères d’attaque russes ont eu un rôle essentiel en supprimant les embuscades terroristes sur les hauteurs de Palmyre et en fournissant les renseignements sur les positions de l’ennemi qui ont été localisés et pourchassés. Le colonel-général Aleksandre Dvornikov, chef de l’opération de Syrie à Moscou, a déclaré qu’en Syrie « les forces d’opérations spéciales sont intervenues en opérations terrestres. » Outre la participation de l’aviation russe, l’offensive sur Palmyre a aussi impliqué l’armement sophistiqué russe de l’armée syrienne.(Source des informations: РБК. пу)
A noter que cette grande victoire de Palmyre intervient alors que le président Vladimir Poutine, a ordonné le 14 Mars le retrait de la plus grande partie des troupes russes en Syrie, la plupart des avions ayant quitté la base aérienne russe de Hmeymim située dans la province de Lataquié.
Mais les troupes russes ont conservé de quoi appuyer les troupes syriennes au sol. Une photographie exhibée par l’Occident montre clairement les forces aériennes restées en Syrie pour soutenir l’armée de libération syrienne: quatre chasseurs multi-usages Su-34, trois nouveaux « 4 ++ » génération Su-35, trois Su-30, dix bombardiers Su-24 et deux hélicoptères Ka-52. Les experts soulignent que, cela ne représente peut-être qu’une partie des forces de frappe aériennes, car au moment de la prise photographique, certains avions pouvaient être en mission de combat. En plus de la flotte de frappe aérienne, se trouvaient des systèmes de défense antiaériens, « Pantsir S1 » de courte à moyenne portée, conçus pour lutter contre des cibles au sol, ainsi qu’un complexe de missiles antiaériens de grande et moyenne portée S-400. Selon les experts, l’entretien et la gestion de tels équipements demande 200 à 300 civils et environ 2.000 soldats. (Source des informations: РБК. пу)
La balance des forces au Proche-Orient s’est rééquilibrée au dépends de l’OTAN
Les effectifs russes cités, même s’ils ne sont pas exhaustifs, ne représentent, somme toute, qu’un effectif très modeste qui devrait faire rougir de honte l’OTAN et ses alliés arabes, qui avec une coalition de 66 nations se sont montrés étrangement incapables de stopper la progression islamiste. Mais si l’Otan et ses alliés rougissent, c’est de colère. Il y a un an, avec la complicité des islamistes, la Syrie était quasiment déjà aux mains des factions islamistes et Assad était tout prés de subir le sort de Saddam Hussein ou de Mouammar Kadhafi. Abattre Assad qui avait eu l’audace de se poser en obstacle à l’hégémonie US sur le contrôle des énergies et sur leur système bancaire, tel était leur objectif. La victoire d’Assad et de Poutine à Palmyre est donc un échec retentissant pour Big brother.
Mais il ne faut pas croire que si les pays de la coalition US et ses précieux « opposants modérés » ont été forcés de se réunir autour d’une table à Genève sous l’impulsion de la Russie, le Nouveau monde, partisan du chaos dans le Vieux monde, a revu à la baisse ses objectifs. Ainsi si le vieux monde est toujours au centre du monde, ce ne sont plus les pays qui la bordent qui en sont maîtres c’est pourquoi les gros requins affamés de l’Atlantique et du Pacifique croisent dans ses eaux. Mais l’intervention russe est venue remettre un peu d’ordre là où d’autres s’étaient évertués à y apporter le chaos. Du coup la balance des forces s’est redressée au Proche-Orient, ce qui a donné l’envie à la Chine de venir y tirer, elle aussi, ses marrons du feu.
Un troisième larron en Méditerranée: la Chine
Or, la Chine dépend du Moyen-Orient et de la Russie pour ses importations énergétiques, c’est pourquoi elle se garde de s’impliquer dans les tensions et les conflits régionaux. Mais oui, bien sûr, c’est bien le pétrole de Méditerranée qui est au centre de toutes les convoitises.
Le dirigeant chinois, Xi Jinping, a signé ces jours-ci de très gros contrats qui vont implanter la Chine en Egypte alors que le Conseil des affaires d’Etat a promulgué un document de synthèse sur sa politique extérieure en direction du monde arabe. Et c’est à l’assaut du monde arabe que le dirigeant chinois s’est lancé au cours d’une grande tournée au Proche-Orient. Arrivé d’Arabie saoudite, il s’est rendu au Caire pour y rencontrer son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi.
« Les deux parties ont entrepris de mener à bien 15 projets (…), principalement dans les secteurs comme l’électricité, les transports et les infrastructures, pour des investissements totaux de 15 milliards de dollars (13,8 Mds EUR) », ont affirmé les deux présidents dans une déclaration conjointe. La tournée régionale de M. Xi, sa première en tant que président, [s’est terminée] en Iran, où la récente levée des sanctions internationales dans le cadre d’un accord nucléaire historique, dont la Chine est partie prenante, ouvre des perspectives économiques prometteuses aux entreprises étrangères.
L’Iran dispose en effet des quatrièmes réserves de brut au monde et des deuxièmes de gaz. Or la Chine, deuxième économie mondiale, est très dépendante de l’extérieur pour ses ressources en gaz et pétrole, notamment des pays du Moyen-Orient.
A Ryad, le président Xi Jinping a ainsi inauguré mercredi avec le roi Salmane une raffinerie construite en partenariat entre les deux pays. Selon l’agence officielle Spa, les deux pays ont décidé de mettre sur pied « un partenariat stratégique complet ».
L’Arabie saoudite est le premier exportateur mondial de pétrole et plus gros fournisseur de pétrole de la Chine. (Source: l’Express)
La Chine, classée en terme de PIB, deuxième puissance mondiale après les USA, loin devant la Russie qui ne se place, selon ce classement, qu’en dixième position, est très dépendante des pays fournisseurs de pétrole, contrairement à la Russie qui possède d’immenses ressources et dans une moindre mesure, aux USA. Elle a cependant quelques puissants pions dans son jeu:
l’Empire du Milieu a créé en mai 2015 une base à Djibouti (celle de la France est plus ancienne) en face du canal de Suez. Sa coopération avec l’Égypte lui ouvre un boulevard en Méditerranée. Si la Chine ne néglige aucun pays producteurs d’or noir, c’est en Egypte qu’elle semble la mieux implantée: l’Egypte est avec l’Afrique du Sud l’un des seuls États africains membres de sa Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures créée l’année dernière en réponse alternative au FMI. Parmi les fructueux contrats conclus au Caire, le plus prestigieux est la construction sur 7 ans, à hauteur de 40 milliards de dollars, de la capitale administrative égyptienne qui va sortir des sables à proximité du Caire. Une ville nouvelle qui sera aussi vaste que Singapour. L’Egypte est donc le tremplin économique et politique en Méditerranée sur lequel compte Xi Jinping qui s’est bien gardé de faire allusion à une participation de son pays à l’exploitation des gisements de gaz découverts récemment dans les eaux égyptiennes de la Mer…
Une mer Méditerranée dans laquelle les découvertes de gisements se multiplient: dans les eaux grecques, dans les eaux égyptiennes, mais aussi dans les eaux syriennes…
Légitimité…
L’Union européenne et la France au milieu, ayant abdiqué au profit des USA et de certains pays régionaux musulmans, toute velléité à une politique moyen-orientale, ce sont les trois plus importantes puissances mondiales qui s’y disputent la place. Trois super-puissances qui ne se défient pas de manière égale. Qu’elles s’aiment ou non, la Chine et la Russie ont beaucoup d’intérêts communs face aux USA. Comme la Russie avec ses républiques islamiques, la Chine avec sa population ouïgour musulmane est menacée par le terrorisme islamique, et pour sa stratégie du Pacifique face au Japon et aux USA, la Chine a un besoin impérieux de l’appui de la Russie, ou au minimum de sa neutralité. La Chine et la Russie sont des pays frontaliers, et les deux pays font partie des BRICS qui tentent de promouvoir une alternative à la toute-puissance du dollar. Mais la Chine est géographiquement située beaucoup plus loin du conflit que la Russie.Et puis la Chine est venue tirer ses marrons du feu, elle n’est pas venue se mêler de la guerre.
Les USA, ce pays lointain d’outre-Atlantique, n’ont pour seule légitimité en Méditerranée que leur force par laquelle ils tiennent les puissances méditerranéennes et l’Union européenne sous leur domination.
Mais, parmi les trois super-puissances, LA RUSSIE EST LE SEUL PAYS RÉGIONAL QUI DÉFEND SES INTÉRÊTS VITAUX au Moyen-Orient, AVEC SES PROPRES RESSOURCES. (Voir carte ci-contre) Les intérêts vitaux de la Russie, pays de civilisation européenne et chrétienne, se confondent en l’occurrence avec ceux des peuples européens.
Emilie Defresne
emiliedefresne@medias-presse.info
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