Je vous parle d’un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître… Un temps où l’URSS existait encore, ou Reagan était Président des Etats-Unis et où l’ordinateur à la mode était canadien et s’appelait Commodore 64. Un temps où Toulon, Laval et Le Havre jouaient en première division… Sur Commodore, il y avait un excellent wargame qui s’appelait Theatre Europe, simulant un hypothétique conflit mondial entre les deux blocs. Après le massacre (les cartes sons de l’époque n’étaient pas celles d’aujourd’hui) de la chanson de John Lennon Give to peace a chance, on pouvait choisir l’OTAN ou le Pacte. Pour le premier, le but était de tenir 21 jours de guerre jusqu’à l’effondrement de l’économie soviétique, pour le second, repousser les troupes alliées derrière le Rhin. Qui dit troisième guerre mondiale, dit guerre nucléaire. Il fallait téléphoner à un numéro où une voix lugubre vous disait : « le code d’accès est SOLEIL NOIR ». Ce code permettait de lancer les missiles. Les psychopathes pouvaient déclencher une guerre thermonucléaire globale, à savoir en tirant préventivement ses missiles, ce qui entraînait bien sur riposte de l’autre et destruction mutuelle. Donc, partie perdue. Le plan américain visant à tirer les premiers s’appelait dans le jeu Warm Puppy (chiot chaud). Son homologue soviétique s’appelait lui First kiss (premier baiser).
La lecture des dépêches des récentes heures m’a mis dans la peau de Martin Seamus « Marty » Mc Fly et m’a fait revenir en 1986… Le Secrétaire d’Etat à la Défense, Ashton Baldwin Carter, a déclaré lors de sa visite du 27 septembre à la base de Kirtland (Nouveau-Mexique), siège du centre nucléaire de l’US Air Force et du 498e escadron de système nucléaire (née d’une unité de bombardiers lourds et destinés à fournir les missiles nucléaires des avions américains) que cette politique de tirer les premiers «a été notre politique depuis longtemps et fait partie de nos plans pour l’avenir». Il précise donc publiquement l’ambiguïté de la doctrine nucléaire américaine dans sa mouture de 2010.
Les doctrines nucléaires des autres puissances sont similaires : pour le Royaume-Uni, dans sa doctrine de 2006, il prône un « usage sous-stratégique ou pré stratégique, y compris en première frappe, contre des Etats nucléaires et non nucléaires qui menaceraient ses intérêts vitaux ». Dans sa doctrine de 2014, la Russie « se réserve le droit de se servir de son arme nucléaire en riposte à une attaque à l’arme nucléaire ou à une autre arme de destruction massive, réalisée contre elle et/ou ses alliés, ainsi qu’en cas d’une agression massive à l’arme conventionnelle mettant en danger l’existence même de l’État. ». Quant à la France, sa doctrine de 2013 définit que sa « dissuasion nucléaire a pour objet de nous protéger contre toute agression d’origine étatique contre nos intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme. L’emploi de l’arme nucléaire ne serait concevable que dans des circonstances extrêmes de légitime défense». Concrètement, dans un contexte de guerre d’invasion classique, le schéma de la dissuasion nucléaire française était le suivant : en cas de franchissement de nos frontières par les troupes du Pacte (prévu dans la région de Sedan par les troupes de la 8e armée de la Garde), tirs des missiles tactiques Pluton sur les unités blindées. Si l’offensive persiste, destruction par les missiles tirés des Mirage-2000N ou Mirage-IVN d’une ville industrielle soviétique de premier ordre (par exemple Dniepropetrovsk) ou d’une capitale régionale (Minsk ou Kiev). En cas de persistance, destruction de toutes les villes de Russie occidentale, destruction en retour de la France, défaite majeure de l’URSS…
L’URSS avait axée une grosse part de sa doctrine militaire sur la notion de tir préventif. La doctrine Sokolovski, du nom de son auteur, le maréchal Vassili Danilovitch Sokolovski, qui fut l’axiome officiel du Pacte de 1962 à la chute du Mur, prévoyait non seulement l’utilisation du nucléaire tactique comme super-artillerie contre les concentrations blindées de l’OTAN (explicitement visés les Ve et VIIe Corps américains) mais également contre les aéroports d’Allemagne, Belgique, Hollande et Royaume-Uni. Les Américains avaient leurs propres plans d’anéantissement nucléaire du Pacte dès 1949 (plan Chariot) et ces plans étaient encore d’actualités dans le rapport du SAC Atomic weapons requirements study for 1959 daté du 15 juin 1956.
Nous sommes actuellement dans des tensions supérieures à celles de la guerre froide, car si les Etats-Unis n’ont jamais eu l’intention entre 1952 et 1981 d’en finir avec un bloc communiste qui leur convenait très bien, c’est une toute autre partition avec la Russie de Vladimir Vladimirovitch Poutine, qui incarne ces régimes continentaux nationalistes que Washington a voulu toujours éradiquer, que ce soit l’Allemagne (celle du Kaiser comme celle du Führer), la Russie, voire même la France (« rogner les ailes du coq gaulois » prônait Curtis Bean Dall, le gendre de Franklin Delanoë Roosevelt).
Le même Carter avait déclaré dans sa visite à la base nucléaire de Minot (Nord-Dakota) le 26 septembre, où sont stationnés notamment les 150 missiles intercontinentaux Minuteman-III du 91e escadron de missiles : « Les rodomontades récentes et la construction de nouveaux systèmes d’armes nucléaires de Moscou soulèvent de sérieuses questions quant à l’engagement de ses dirigeants envers la stabilité stratégique, leur respect pour l’ horreur profondément ancrée face à l’utilisation des armes nucléaires et leur respect de la profonde prudence que les dirigeants de l’époque de la guerre froide avaient montré par rapport à l’étalage menaçant d’armes nucléaires. », quelques heures avant que les Etats-Unis n’annoncent que l’activation de leur bouclier antimissiles était désormais non seulement dirigé contre la Russie mais aussi contre la Chine. Une attaque préventive par la Chine est crainte, comme le laisse entendre l’étude parue dans le numéro d’octobre 2015 de Naval & Merchant Ships.
Nous avons vu dans l’article sur la Corée du Nord que, loin d’être le commencement de la sagesse, la peur devenait parfois le commencement de la folie suicidaire. Le tir par surprise des Soviétiques est une constante dans la filmographie américaine : Invasion USA de 1952, Octopussy de 1983, L’Aube Rouge de 1984 (où grâce à des agents de la CDR cubaine se faisant passer pour des réfugiés politiques et s’engageant dans l’armée, les satellites furent neutralisés, permettant la destruction par surprise du PC d’Omaha, de Washington, de Kansas City et des missiles du Montana), ou, dans un mode burlesque, dans Drôles d’Espion de 1985… on la retrouve également dans le roman Warday et dans le remake de L’Aube rouge de 2012.
Pour les émules éventuels du général Jack D. Ripper (Dr Folamour), méditer la conclusion de Joshua, l’ordinateur du NORAD dans Wargame, qui réfléchissant à la guerre thermonucléaire globale selon le principe du morpion, et constant que quelque en soit la variante, ce genre de guerre se terminait par la destruction mutuelle assurée (Mutual assured destruction, MAD qui signifie aussi fou) de conclure : « Drôle de jeu où pour gagner, il ne faut pas jouer »…
Hristo XIEP
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