L'armée turque dispose actuellement d'une cinquantaine de chars et de centaines de soldats sur le sol syrien.
 
Les excuses d’Erdogan à la Russie suite à l’affaire de l’avion russe abattu ont entrainé un nouveau rapprochement des deux pays qui a des incidences très importantes en Syrie et une fois de plus Poutine apparaît comme le maître du jeu moyen-oriental tandis que Washington est embourbé dans ses contradictions.
 
Lorsque l’armée turque a franchi la frontière syrienne peu après la réconciliation Poutine/Erdogan qui a eu lieu à Saint-Pétersbourg le 9 août, on pouvait se demander ce que cette armée allait faire en Syrie et quels seraient ses objectifs puisque Erdogan soutenait il y a peu encore l’État islamique ainsi que tous les groupes islamistes, notamment ceux qui sont officiellement alliés de la coalition américaine.  Il est vrai que l’armée turque a pénétré en territoire syrien suite, également, à des attentats très meurtriers sur le sol de la Turquie, revendiqués par le PKK, branche politique de l’armée kurde en Syrie.
Il semble bien, même si cela n’a été reconnu par aucune des deux parties, qu’une entente soit intervenue entre Poutine et Erdogan sur la Syrie à Saint-Petersbourg, il suffit de prendre connaissance de la déclaration courroucée de Washington aujourd’hui pour s’en convaincre :
Les affrontements entre la Turquie et les forces arabo-kurdes soutenues par les États-Unis en Syrie sont « inacceptables », a annoncé le Pentagone américain, appelant toutes les parties à « cesser » les combats.

« Nous suivons de près les informations faisant état de combats (…) entre les forces armées turques, des groupes de l’opposition (pro-Ankara, ndlr) et des unités affiliées aux Forces syriennes démocratiques (FDS) », « Nous voulons préciser que ces combats sont inacceptables et suscitent notre profonde inquiétude », a annoncé le quartier général du département américain de la Défense dans un communiqué obtenu par l’AFP lundi, il  se référait aux FDS, une alliance antidjihadiste soutenue par les Américains et dominée par les Kurdes mais qui comprend également des combattants arabes. Rapporte la Radio-Télévision Suisse.

Brett McGurk a ajouté: « Les FDS ont montré qu’elles étaient une force fiable et compétente. Notre soutien aux FDS dans leur lutte contre le groupe EI est toujours d’actualité, et nous allons continuer à les appuyer. Ils se sont battus et se sont sacrifiés pour essayer de débarrasser la Syrie de ce groupe haineux », a encore souligné le Pentagone.« Les États-Unis ne sont pas impliqués dans ces activités (…) nous ne les soutenons pas », a-t-il affirmé, avant d’appeler les différentes parties « à prendre des mesures appropriées pour cesser les combats. »

Opération Bouclier de l’Euphrate

En effet les lignes de combats ont explosé la semaine dernière avec l’entrée de l’armée turque sur le territoire syrien du nord où se battent les Kurdes et l’Armée de Libération Démocratique, cette dernière étant une nouvelle émanation des USA et s’ajoute aux autres groupes islamistes prétendument modérés soutenus par les États-Unis. L’armée turque dispose actuellement d’une cinquantaine de chars et de centaines de soldats sur le sol syrien. Or les troupes turques se battent contre les alliés Kurdes et arabes des Américains et déclare avoir pénétré sur le sol syrien pour combattre à la fois l’ État islamique (EI) et les forces autonomistes kurdes. Mais comme rien n’est simple dans cette histoire les troupes de l’ Armée Syrienne Libre (ASL) ont fait alliance contre les Kurdes et l’Etat islamique dans le cadre de l’opération Bouclier de l’Euphrate des Forces armées turques. La formation Armée Syrienne Libre a été le premier allié des Occidentaux contre Bachar el-Assad. Mais la Turquie n’a pas dans son viseur, du moins actuellement, les troupes syriennes loyalistes, car s’en prendre aux troupes gouvernementales syriennes serait s’en prendre à la Russie et cela entrainerait immédiatement, pour le moins, les effets désastreux que l’avion russe abattu avait eu et qu’Erdogan a eu tant de mal à se faire pardonner.
 
Ce lundi les combats se concentrent au sud de la ville syrienne de Jarablos, prise mercredi dernier par les rebelles pro-Ankara de l’ASL. Le conflit syrien, qui a fait plus de 290 000 morts depuis mars 2011, a encore gagné en complexité avec l’intervention turque, d’autant plus que la Turquie est membre de l’OTAN. Objectivement, donc, l’intervention turque devrait profiter aux manœuvres de l’armée gouvernementale syrienne, qui continue de se battre pour la libération d’Alep, avec l’appui de troupes iraniennes et de l’aviation russe, et qui a repris le contrôle de Darayya dans la banlieue sud de Damas, après quatre ans de siège.
 
Renversement d’alliances
 
C’est donc un renversement d’alliances spectaculaire, qui semble s’opérer sur le théâtre des opérations, la Turquie ayant détourné l’Armée Syrienne Libre de ses objectifs premiers et de ses alliances naturelles avec la coalition américaine pour les retourner contre ses anciens alliés islamo-arabes, et contre les Kurdes, alliés traditionnels de Washington, qui propagent à partir de leurs bases syriennes leurs revendications sécessionnistes en Turquie même. Naturellement cet arrangement qui semble s’être dessiné à Saint-Pétersbourg ne sera jamais dévoilé au grand jour, la diplomatie russe ayant seulement fait part de sa « profonde préoccupation », estimant qu’« une dégradation supplémentaire de la situation dans la zone du conflit est inquiétante.» Les Russes comme le gouvernement Syrien désirent ménager les Kurdes, Damas a d’ailleurs dénoncé la violation de son territoire par la Turquie. Erdogan pour sa part ne voudra pas se mettre Washington trop à dos, tout en combattant l’Armée Syrienne Démocratique (Kurdes et alliés) formée, entrainée et rémunérée par le Pentagone. Ankara a à cœur, par ailleurs, de ménager l’avenir de son pays pour une entrée dans l’UE, même si présentement celle-ci est compromise et le sera davantage si Washington s’éloigne d’Ankara, l’UE ayant à cœur de suivre les directives qui lui viennent d’outre-Atlantique. .

Sergeï Lavrov, le chef de la diplomatie russe a déclaré ces derniers jours que la partie kurde de la Syrie avait vocation à rester partie intégrante du pays, ce qui ne peut que satisfaire à la fois Assad et Erdogan qui ne veulent ni l’un ni l’autre d’un Kurdistan indépendant. Une raison de plus de sentir derrière cette intervention turque, le souffle de Moscou, ou tout au moins la garantie de sa neutralité.

Erdogan, un allié des USA très indocile

Quant à Obama,  à peine encore président en raison de la campagne électorale qui bat son plein aux USA, il n’est pas en mesure de maîtriser son allié turc, qu’il n’a jamais vraiment réussi à maîtriser du reste… Cela apporterait d’ailleurs des arguments à ceux qui voient la main de Washington, derrière le coup d’État en Turquie, Erdogan étant un allié bien peu maniable, contrairement à l’UE.

La présence turque sur le sol syrien pourrait aussi soulever des craintes en cas de volonté expansionniste ottomane. Mais les divisions qui existent actuellement dans le pays et son retour à de bonnes relations avec la Russie dont les sanctions avaient rendu le pays exsangue, rendent cette menace assez peu inquiétante. Tout va si vite dans cette guerre moyen-orientale, la Turquie ayant déjà rompu ses engagements vis-à-vis de la Russie, qu’il faut rester attentif sur ce point comme sur les autres.

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Cependant, cette volte-face d’Erdogan, si elle se confirmait, aurait deux incidences heureuses: l’une pour l’Union européenne qui verrait s’éloigner le projet d’entrée de la Turquie dans l’UE, l’autre pour la Syrie dont la libération pourrait s’accélérer. 

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emiliedefresne@medias-presse.info

 

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