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Que cache la zone tampon réclamée par la Turquie en Syrie ?

Erdogan

Photo: Recep Tayyip Erdoğan

La Turquie laisse monter la tension à sa frontière dans le conflit qui oppose les Kurdes de Kobané à l’EI, alors que ses alliés de la coalition attendent qu’elle intervienne au sol pour prêter main forte aux Kurdes. Cette situation très tendue fait le jeu d’Ankara qui fait monter les enchères sur ses conditions à intégrer la coalition contre l’Etat Islamique (EI). L’une de ces conditions est l’obtention d’ une zone tampon en territoire syrien le long de sa frontière, les autres conditions qui lui sont assorties sont la création d’une zone d’exclusion aérienne, et l’instruction et l’entraînement de combattants de l’opposition modérée en Syrie et en Irak.

François Hollande toujours partant lorsqu’il s’agit de taper sur Bachar Al Assad s’est dit favorable à la création de cette zone tampon, tandis que les Américains l’étudient mais ne l’envisagent pas pour le moment. Mais Washington demande à Ankara d’autoriser l’utilisation de sa base aérienne d’Incirlik et de l’espace aérien turc par les avions de la coalition, ce qui fragilise son refus de zone tampon, d’autant plus qu’elle estime que c’est aux forces régionales d’intervenir au sol.
C’est dans ce contexte de « chantage » diplomatique que le général américain John Allen rencontre les jeudi 9 et vendredi 10 octobre, les dirigeants turcs à Ankara pour discuter des modalités d’action de la Turquie dans la coalition.

Le parlement turc a voté le 2 octobre dernier l’ autorisation à l’armée d’ intervenir « si nécessaire » en Syrie et en Irak pour lutter contre « les groupes terroristes ». Apparemment les « conditions nécessaires » ne sont pas remplies puisqu’ Ankara refuse d’intervenir pour soutenir les combattants kurdes syriens assiégés dans la ville de Kobané. Ankara redoute au contraire que les frappes de la coalition ne renforcent le régime du président syrien Bachar Al Assad.

La « zone tampon » située en Syrie le long de la frontière syro-turque permettrait officiellement d’accueillir et de protéger les réfugiés Syriens dont la Turquie ne veut plus supporter le poids. Parmi ceux-ci les 180 000 réfugiés kurdes du nord de la Syrie. En réalité les priorités d’Ankara sont de minimiser les conquêtes politiques et territoriales du PKK Syrien qui, à la faveur du retrait des troupes gouvernementales, avait établi une administration autonome en 2012 sur sa zone d’influence. L’un des autres objectifs prioritaires du gouvernement pro-islamiste d’Erdogan est d’ établir la loi sunnite dans la région en faisant tomber Bachar al Assad. Ce qui fait donc, pour le moment, des djihadistes de l’EI, ses alliés objectifs.

Si la coalition lui concédait ses exigences, il ne resterait à l’armée turque plus qu’à déblayer la Syrie des troupes de l’EI, éventuellement recyclées dans la trop fameuse « opposition modérée ». Ce qui la désignerait pour obtenir un mandat international, conjointement avec le Qatar et les Etats-Unis, pour déployer ses troupes  au prétexte du maintien de la paix.

Cela lui permettrait de prendre position contre le régime de Bachar el Assad en activant les fameux « opposants modérés » qu’elle aurait recrutés, entraînés et armés avec l’aide de la coalition et d’étendre la domination sunnite. La Turquie d’aujourd’hui est l’héritière de l’empire Ottoman d’hier, dont le but était de dominer le monde en imposant l’Islam sunnite qui est aussi la religion des combattants de l’EI. Cela affaiblirait également considérablement le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui milite dans les trois pays à minorités kurdes que sont la Turquie, la Syrie et l’ Iran. D’autant plus que le PKK menace de rompre les fragiles pourparlers de paix entamés avec Ankara en janvier 2013.

Et justement le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu a proposé au premier ministre irakien Haider Al-Abadi, lors d’un entretien à l’initiative d’Ankara, de stationner ses troupes terrestres dans la région occupée par l’Etat islamique. Selon la presse locale, le premier ministre irakien lui a signifié qu’il n’acceptait pas d’ingérence armée dans les affaires intérieures de son pays.

N’oublions pas qu’en dépit des apparences, l’Irak est forte d’une armée d’un million d’hommes, soutenus par 2000 formateurs iraniens, auxquels il convient d’ajouter les 150 000 peshmergas qui luttent en Irak contre l’EI. Bien que l’EI soit à présent à 50 km de Bagdad, la position de l’Etat irakien ne semble pas si fragile qu’il pourrait y paraître, explique Eric Cenédé, directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

En tout état de cause, cette proposition de Davutoglu à l’Irak en dit long sur les ambitions expansionnistes d’Erdogan. La défaite de l’Empire ottoman ne date que du début du XXè siècle…

Ankara a obtenu sans l’ombre d’une discussion le principe de la zone tampon de la part de François Hollande, qui heureusement n’est pas l’autorité supérieure de la coalition. Eric Cenédé affirme que la France n’a pas cessé de se « tromper » depuis l’opération de Lybie et qu’elle s’est tout spécialement « trompée » en s’en prenant à Bachar el Assad. Mais François Hollande persiste et signe. Si cette concession s’étendait à Washington, la Turquie et ses alliés sunnites transformeraient, avec l’appui des occidentaux, la région en une immense base militaire aux armes pointées contre l’Iran, la Syrie et la Russie. Ce serait une menace permanente à la sécurité et aux intérêts vitaux de la région. Le long chemin de Croix des chrétiens de ces pays ne ferait que se poursuivre, alors que leurs tourments en Irak ont servi la cause de l’entrée en guerre de la coalition.

Bagdad a averti la Turquie que si ses troupes pénétraient sur son territoire elle prendrait cela pour un casus belli. De son côté le ministre des affaires étrangères de Russie, Sergeï Lavrov, a manifesté ses craintes: « La Russie espère que la lutte contre le terrorisme international ne cache pas des tentatives de changement de régime » en Syrie, a-t-il dit hier à Moscou.

Emilie Defresne

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