Marion Duvauchel, professeur de lettres et de philosophie
La libération d’otages est toujours l’occasion pour les médias de montrer leur frémissante sensibilité. Après l’inévitable séquence sur la joie des familles, – joie légitime au demeurant, mais dont je trouve la mise en scène médiatique assez déprimante – on a parfois quelques propos un peu précis sur le réel du monde.
La presse a découvert récemment que de nombreux jeunes partent en Syrie, pour le Jihad. On a laissé un spécialiste des services secrets s’exprimer sur cette question. Dame, le dernier qui s’est tiré en Syrie a emmené avec lui un nourrisson de quelques mois ! la mère s’est émue. Quand elle l’a épousée, elle n’avait pas noté qu’il était solidement islamisé ? Le fond d’écran choisi était pertinent : arrêt sur image sur le jeune français portant le pakol afghan, dont les propos ont glacé le cœur de tous ceux qui l’ont entendu bramer sa haine et sa bêtise.
Le journaliste avait alors souligné que les familles réclamaient l’aide de l’Etat.
Le spécialiste avait trahi un mouvement d’irritation. Il avait rétorqué, en substance, que les familles feraient bien d’éduquer, et que peut-être, elles étaient un petit peu responsable des décisions de leurs enfants. En homme bien gouverné il s’est repris très vite, sans toutefois renier son propos. Il avait probablement des consignes !
Mais les mesures pour répondre à ces pauvres parents inquiets sont déjà bel et bien prises. On nous les a présentées avec le ton habituel, ce ton qui implique que nous entrions en empathie profonde avec ces parents désarmés, démunis, malheureux.
Cela m’a rappelé l’année 2010. J’étais cette année là en poste au Cambodge. Rien à voir avec l’Arabie saoudite, où je n’ai pas enseigné mais où j’y avais des collègues qui ne rigolaient pas, ni même avec le Qatar où là, j’ai enseigné, trois ans, et où, aux dernières nouvelles, les choses se gâtaient parce que l’état du Qatar n’était pas d’accord avec les programmes d’histoire et qu’il prétendait bien les modifier.
La presse s’est bien gardée de nous en informer.
Donc ça m’a rappelé un petit film qu’un ami m’avait envoyé pour me soutenir le moral quand j’étais en Asie du Sud-est, dans un lycée qui n’allait pas bien du tout, alors qu’il y avait beaucoup de conditions pour que ça aille bien. C’était un petit film sans images, non rien, aucune image, mais de la musique, l’air bien connu de la chanson d’Armstrong :
« I see trees of green, red roses too. I see them bloom, for me and you. And I think to myself,
what a wonderful world…
Puis, la voix diminuait d’intensité, et on entendait alors s’élever une voix d’homme, nette et rapide, professionnelle.
« Bonjour vous êtes sur le répondeur de l’école de votre enfant. Dans le but de mieux répondre à vos besoins et de vous permettre de parler à la bonne parole, nous vous prions d’écouter le menu suivant avant de faire votre sélection :
Pour mentir au sujet de l’absence de votre propos de votre enfant, faite le 1
Pour excuser le fait que votre enfant n’a pas fait son devoir, faite le 2 !
Pour vous plaindre de ce que nous faisons, faites le 3.
Pour demander la démission d’un professeur, faite le 4 !
Pour demander pourquoi vous n’avez pas reçu les documents qui étaient déjà inclus dans votre lettre de convocation ainsi que les précédents bulletins, faite le 5…
Si vous voulez que nous élevions votre enfant à votre place, faite le 6…
Pour demander que votre enfant change d’enseignants pour la troisième fois cette année, faites le 7.
Pour vous plaindre du transport collège, faite le 8 ! (légère insistance sur le mot « plaindre » et sur « 8 »)
Pour vous plaindre de la cafétéria, faite les 9 !
Pause, puis, de nouveau la voix d’Armstrong qui s’élève: « I see skies of blue, And clouds of white (…) what a wonderful world…”, puis elle diminue, et s’élève alors de nouveau la même voix nette et rapide, légèrement teintée de lassitude :
« Si vous réalisez que vous êtes dans le monde réel et que votre enfant et vous-mêmes devez être responsable de vos actions, vous pouvez… raccrocher…
Ce montage a connu un tel succès en salle des profs au lycée René Descartes de Phnom Penh que les enseignants ont demandé unanimement à ce qu’on mette l’icône sur l’écran de tous les ordinateurs de telle sorte qu’ils puissent écouter et réécouter ce répondeur de collège insolite. Je revoie encore l’un de mes collègues, grisé, s’embraser au menu 6 (« si vous souhaitez que nous élevions votre enfant à votre place ». Si jamais j’avais eu quelque doute sur la réalité de la catharsis vanté par Aristote, ils se sont envolés comme des papillons à ce moment là, au Cambodge, dans la salle des profs.
Cela m’a donné une idée. Et si on proposait ça dans le cadre des mesures pour les parents de jihadistes ?
Bonjour, vous êtes sur le répondeur du site « aide aux parents de Jihadistes ». Dans le but de mieux répondre à vos besoins, et de vous permettre de parler à la bonne personne, nous vous prions d’écouter le menu suivant avant de faire votre sélection :
Pour mentir au sujet de l’éducation que votre enfant a réellement reçue, faite le 1.
Pour excuser le fait que votre enfant se soit radicalisé, faites le 2.
Pour demander la modification des programmes d’histoire, faite le 3.
Si vous voulez que l’on envoie les fils des mères qui ont transmis à leur enfant le sens du devoir et accessoirement celui de la patrie se faire tuer pour le vôtre, faite le 4.
Pour vous plaindre de l’éducation reçue dans les collèges de France, responsable de ce que votre enfant est devenu, faite le 5.
Pour rencontrer un psychologue qui apaisera vos doutes concernant une éventuelle responsabilité maternelle et paternelle dans le choix qui est le sien, faite le 6.
Pour demander une aide matérielle ou une réparation pour le traumatisme que vous subissez, faite le 7.
« Si vous réalisez que vous êtes dans le monde réel et que peut-être vous avez contribué à ce que votre enfant décide lui-même, librement, de partir faire la guerre comme il est écrit dans ce Coran que peut-être, peut-être, vous lui avez fait lire et réciter, ou dans lequel peut-être vous l’avez élevé ; si s’élève dans votre conscience l’idée que peut-être les parents ont une part de responsabilité dans le devenir de leur enfant, que le bain dans lequel vous l’avez fait grandir a pu contribuer à lui donner le désir d’aller tuer au nom d’Allah, alors, de grâce,
Surtout ne raccrochez pas » !
Ne pas mentir, ne pas se mentir, c’est la condition de possibilité de tout dialogue.
Si pareil miracle de lucidité s’exprimait, il faudrait bien sûr qu’il y ait au bout du fil des gens formés, des gens qui connaissent l’islam, qui connaissent vraiment l’islam, et qui puissent éclairer, et non des charlatans avec des doctrines de l’apaisement des plus douteuses.
On garderait la voix d’Amstrong, parce que n’est –ce pas : « what a wonderful world… »
Surtout pour les chrétiens de Syrie.
Récemment, les radicaux de l’islam en ont crucifié deux, parce qu’ils avaient refusé de réciter les premiers mots du Coran : « bismillah machin chose ».
La presse s’est bien gardée d’en parler.
Ils les ont crucifiés !
I see skies of blue etc…
Oui, what a wonderful world…
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