Lors du discours sur l’état de l’Union, le 13 février 2013, le président Obama a annoncé le lancement d’un marché transatlantique sans entraves. L’annonce a « surpris » le landerneau politique et journalistique. Pourtant, la chose n’est pas nouvelle pour tout chercheur s’intéressant aux arcanes du monde politique européen et américain. En effet, même si de nombreux signes avant-coureurs ont existé au cours du XIXè siècle et début XXè siècle, le véritable démarrage commence après 1945. La position dominante des Etats-Unis sur l’Europe occidentale et de nombreux relais dans les hautes sphères politiques à Londres, Bruxelles ou Paris ont permis de poser les premiers jalons d’un maillage serré de part et d’autre de l’Atlantique.

Un acteur essentiel et, malheureusement, largement méconnu parmi les défenseurs de la cause nationale était l’Américain Clarence Streit (1896-1986). Très lié aux élites anglo-saxonnes désireuses d’instaurer un monde sans frontières, cet ancien journaliste au New-York Times bénéficiaire des bourses d’études Cecil Rhodes publia en 1939 un livre clef de la doxa mondialiste « Union now » avec un sous-titre révélateur : « Proposition pour une union fédérale des démocraties de l’Atlantique Nord ».  Son programme consistait à unir l’hémisphère occidental dans un cadre politique commun. Appuyé par d’éminents responsables américains comme les présidents Roosevelt ou Truman, ses ambitions prirent forme au lendemain de la Seconde guerre mondiale avec la création du « Comité pour une union atlantique » en 1949. Fort de cet arrière-fond, il rédigea un premier document en 1954 : « Déclaration pour une unité atlantique ». Ce texte proposait déjà la suppression de tous les obstacles au commerce avec des tarifs douaniers réduits. Des personnes occupant de hautes fonctions ont signé et soutenu ce projet. Nous pouvons relever : le général William Donovan (patron des services secrets américains, l’OSS, durant la Seconde guerre mondiale), le président Truman, le général George C. Marshall, Julian Huxley (premier président de l’UNESCO et frère d’Aldous auteur du « Meilleur des mondes »), l’économiste Maurice Allais, le gaulliste Michel Debré ou encore Edmond Giscard d’Estaing (père de Valéry)[1]. Une deuxième mouture renforçant les liens transatlantiques vit le jour le 12 novembre 1962. Cette « Déclaration pour une unité atlantique » appelait à l’instauration d’une « Communauté économique européenne et d’Amérique du Nord comme socle d’une communauté économique atlantique »[2]. Parmi les nombreux signataires, relevons le nom du socialiste Guy Mollet qui, déjà en septembre 1956, avait prouvé son peu de foi en la cause française en cherchant à créer une « Union franco-anglaise ». Cette dernière ne faisait que reprendre une initiative du général de Gaulle qui, le 16 juin 1940, avec le soutien de l’apatride Jean Monnet avait tenté de créer un seul et même Etat anglo-français.

 

 

Malgré toutes ces tentatives, ce n’est qu’après la chute du mur de Berlin que les choses se sont accélérées. La Commission européenne s’est véritablement jetée dans la bataille pour rédiger, en liaison avec son partenaire américain, toute une série de documents permettant la mise en forme réelle d’un seul et même bloc euro-atlantique. Tous ces textes sont disponibles sur le site de la Commission européenne. Nous pouvons relever : la « Déclaration transatlantique » (1990), le « Nouvel agenda transatlantique » (1995), le « Partenariat économique transatlantique » (1998) et le « Conseil économique transatlantique » (2007)[3]. La finalité de ces documents est de conduire à une standardisation des normes transatlantiques selon le modèle Made in USA. Tout ce travail est rehaussé grâce à l’action d’un institut euro-américain très puissant, le Transatlantic Policy Network (TPN), qui bénéficie du soutien des plus grandes multinationales (Boeing, Microsoft, Nestlé, Coca-Cola, …). L’enjeu dans cette affaire repose sur une volonté d’uniformisation d’un espace économique conduisant à des répercussions géopolitiques. En effet, près de deux milliards de dollars de marchandises et de prestations de services transitent chaque jour de part et d’autre de l’Atlantique. A l’échelle mondiale, ces flux transatlantiques représentent un tiers du volume des échanges commerciaux et 40% du volume des prestations de services. Cette caractéristique est un moyen permettant aux dirigeants anglo-saxons de tenir la dragée haute face au concurrent chinois. Ce bloc euro-atlantique de 800 millions d’habitants appelé « G-2 » par la Fondation Bertelsmann permettrait de faire poids et d’imposer des normes américaines à l’ensemble du monde. Officiellement, ces ambitions doivent aboutir à l’unité transatlantique pour 2015. Bien entendu, entre la théorie et la réalité, il y a toujours un monde. Cet idéal mondialiste est semé d’embûches. Enfin, remarquons que sur les billets de 10 ou 20 euros, un pont part de l’Europe vers le grand large ….  les Etats-Unis. Rien n’est laissé au hasard.

Pierre Hillard



 

 

[1] http://streitcouncil.org/uploads/PDF/Declaration%20of%20Atlantic%20Unity%201954-%20reprinted%20in%20F&U%201954.pdf

[2] http://streitcouncil.org/uploads/PDF/242%20NATO%20Leaders%20Sign%201963-%20F&U.doc.pdf [3] http://eeas.europa.eu/us/index_fr.htm

 


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