Cathédrale catholique de Changchun, Pyongyang

La Corée du Nord est de loin le pays le plus secret et le plus fermé au monde. Les seules informations dont on dispose sont issues de la propagande du régime ou des témoignages de défecteurs. Le plus grand mystère entoure le fait religieux dans ce pays, et particulièrement le sort des chrétiens qui y vivent.

C’est au XVIIIème siècle que le christianisme fit son entrée dans la péninsule coréenne. D’abord accueillie avec curiosité, la nouvelle religion dut bientôt faire face aux persécutions quand une partie de l’élite politique et intellectuelle choisit de l’embrasser. Les Joeson néo-confucéens qui dirigeaient la Corée depuis 1392 virent d’un très mauvais œil cette nouvelle foi venue d’Occident qui séduisait une partie de la noblesse. Trois vagues de persécutions antichrétiennes sont survenues : en 1801, 1839, et surtout en 1866 lors de laquelle plusieurs missionnaires français, dont Mgr. Siméon Berneux, furent exécutés avec des fidèles coréens en place publique, ce qui déclencha une expédition punitive française ratée. Ce n’est qu’en 1876 que le royaume coréen consentit à octroyer un édit de tolérance aux minorités chrétiennes, sous la pression de l’Occident.

Les années suivantes furent marquées par la floraison de missions d’évangélisation qui s’y implantèrent durablement. Abbayes, séminaires, écoles chrétiennes et églises se multiplièrent dès lors jusque dans les campagnes coréennes, même, et surtout, dans les régions montagneuses du nord. Pyongyang (actuelle capitale de la Corée du Nord) était surnommée “la Jérusalem de l’Asie”, tant le christianisme y était implanté à la fin du XIXème siècle.

Si l’annexion de la Corée par le Japon en 1910 mit un coup d’arrêt à l’expansion du christianisme sur la péninsule, les autorités nippones se montrèrent toutefois tolérants avec les missionnaires et religieux catholiques qu’ils autorisèrent à rester en Corée et maintinrent les nombreuses écoles chrétiennes dont le nombre ne fit que croitre durant les années suivantes. Parmi les nombreux petits Coréens qui y reçurent leur instruction basique figurait un certain Kim Il-sung…

Cette bienveillance relative des autorités japonaises assimila les chrétiens à des collaborateurs aux yeux de nombreux Coréens au sein du mouvement de libération qui émergeait alors. Devenu communiste, le jeune Kim Il-sung était de ceux-là. Cependant, là où certains embrassaient le marxisme matérialiste et athée, d’autres préférèrent revenir aux religions traditionnelles coréennes, le chamanisme et le chondoïsme (mélange de spiritualités orientales et de chamanisme) connurent alors un grand succès tandis que le christianisme commençait à décliner.

En 1945, à la fin de le Second Guerre mondiale, la Corée fut divisée en deux : les communistes au nord et les capitalistes au sud. Se sentant menacés par le communisme (qui avait, au cour des années précédentes, accusé le christianisme de collaboration avec l’ennemi) de nombreux chrétiens coréens fuirent vers le sud. De fait, les premières persécutions commencèrent en 1946 avec l’arrestation de nombreux clercs et fidèles. Une soixantaine de moines bénédictins allemands furent également arrêtés et envoyés en camp de travail en 1949. Kim Il-sung, désormais chef du parti communiste coréen et dirigeant de fait, affirmait alors : “Cette religion représente une vision du monde antirévolutionnaire et non-scientifique“.

Les persécutions s’aggravent dans le courant des années 1950, avec l’apparition de la doctrine Juche qui sacralise l’unité nationale, l’idéologie marxiste-léniniste et la personnalité du Leader Kim Il-song, désormais l’égal des dieux. Toute religion (en particulier le christianisme) est dès lors vue comme un concurrent au Juche et un vecteur de division. L’article 10 de la constitution nord-coréenne dit clairement : “La République populaire démocratique de Corée s’appuie sur l’unité idéologique du peuple entier“. Toute infraction à cet article est de fait punie de mort, ou, au mieux, de nombreuses années de détention en camp de travail. La répression porte ses fruits si bien que dans les années 1960, la quasi-totalité du clergé a été décimé, que beaucoup de Nord-Coréens ont abandonné le christianisme et que presque tous les exemplaires de la Bible ont disparu du pays. En effet, posséder ce livre saint du christianisme est toujours puni de dix ans de détention.

Malgré ces efforts du régime pour éradiquer le christianisme et ces nombreuses persécutions, la religion chrétienne n’a jamais été formellement interdite par la loi. L’article 68-1 de la Constitution dispose : “Le citoyen jouit de la liberté de religion. Ce droit est assuré par la permission d’établir des édifices religieux et d’y tenir des cérémonies.” Un discours bien lisse et bien éloigné des réalités. Ce double-langage entre la loi et la réalité caractérise la plupart des dictatures communistes : la constitution soviétique, ainsi que celles des autres “démocraties populaires” excepté l’Albanie, avaient le même contenu inspiré en théorie des Droits de l’Homme et garantissant une totale liberté de religion.

La liberté religieuse est loin d’être un acquis, mais il est nécessaire de nuancer les déclarations des uns et des autres : “Croire en Dieu peut vous conduire en prison“, déclarait l’humanitaire Michel Varton au micro d’Eugénie Bastié, dans les colonnes du Figaro. Ce n’est pas tout à fait exact : si l’attrait envers les religions est fortement découragé par le discours du régime (qui y voit des “obstacles à l’édification du socialisme”), le seul fait d’affirmer sa croyance en Dieu n’entraîne pas une condamnation (d’après des sources sud-coréennes, même certains membres du gouvernement). C’est plutôt l’expression publique de certains comportements religieux (jugés “attentatoires” par le régime) qui est susceptible de faire condamner une personne : posséder une Bible, prêcher ou prier dans l’espace public, distribuer un contenu à caractère religieux etc… Il ne faut cependant guère minimiser l’ampleur de la répression : des milliers de chrétiens seraient encore incarcérés dans des camps de travail pour avoir possédé des livres ou des objets à caractère religieux.

Il existe cinq lieux de culte chrétiens à Pyongyang, dont la cathédrale Changchun qui est le principal édifice chrétien du pays et qui sert d’alibi au régime pour contrer les accusations de christianophobie. Il n’y a cependant ni clergé, ni liturgie. Les fidèles se contentent de s’y réunir afin de prier pour la longévité du régime, sous la direction de fonctionnaires laïcs missionnés par le Parti qui font office de célébrants. Certains spécialistes parlent d’une relative amélioration depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un. Des centaines de personnes auraient été amnistiées et on évoquerait même la réouverture d’une académie théologique à Pyongyang. Mais sans Bible ni aucun autre support chrétien, on peut se demander quel enseignement y sera prodigué aux futurs étudiants. Il s’agit pour le régime de contrôler étroitement le christianisme sur son territoire et de le rendre “compatible” avec ses propres valeurs afin de neutraliser toute opposition qui pourrait en émerger, une méthode inspirée de l’ancien Bloc de l’Est. La création de la Fédération Catholique de Corée (“sous étroit contrôle étatique”, selon un défecteur) va dans le même sens.

A l’heure actuelle, la Corée du Nord serait le pays le plus persécuteur au monde pour les chrétiens, selon une étude de l’ONG chrétienne Portes Ouvertes. De fait, la majorité des personnes chrétiennes n’osent pas se revendiquer comme telles publiquement, ce qui explique le très faible nombre d’églises par rapport au nombre de fidèles, qui serait de 406 000 d’après le professeur David Alton. Cela équivaut à 2% de la population totale.

Il est à noter que la pression du régime s’est relativement relâchée envers le bouddhisme et le chondoïsme (qui possède même un parti politique représenté au Parlement !) tandis que le christianisme y est toujours contrôlé, surveillé, dénigré et souvent brimé. Si l’on parle souvent (et à juste raison) des horribles persécutions subies par nos frères d’Orient, le sort des chrétiens nord-coréens n’est hélas évoqué ni par les médias officiels, ni par ceux de la réinformation, ni même par le Vatican.

Nicolas Kirkitadze

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