Mgr Athanasius Schneider, évêque d’Astana, s’est penché sur la question du pape hérétique en essayant de répondre à de multiples surérogations : un pape peut-il être hérétique ? Cela s’est-il déjà produit dans l’église ? Comment celle-ci a-t-elle répondu à cette situation ? Que peuvent et doivent faire les catholiques du rang ? 

Au sein de la crise actuelle de l’Église, qui sévit depuis des décennies, et est amplifiée par l’arrivée du pape François au Vatican, son analyse traitant d’une éventuelle déposition d’un pape régnant, et de la perte de la charge pontificale du fait d’hérésie, mérite l’attention.

Tout d’abord précisons que l’auteur ne partage pas la thèse sédévacantiste. De même, à cause de sa formation conciliaire et de son attachement doctrinal au dernier Concile qu’il étudie avec la grille de lecture développée par l’herméneutique de la continuité adoptée par le pape Benoît XVI, sa lucidité quant à la crise actuelle, et surtout à ses causes, est forcément limitée.

Cependant il serait en revanche, et malavisé de rejeter cette étude d’un revers de main, et un peu superficiel de ne voir dans ce document qu’une autopsie claire et intelligible de l’opinion sédévacantiste et de son corollaire, son application contemporaine par certains comme réponse à la confusion régnante. Cette étude a la sagacité, et c’est peut-être cette caractéristique qui est la plus essentielle, de réfuter la source à laquelle s’abreuve le sédévacantisme : « un ultramontanisme, un papo-centrisme, une papolatrie malsains ». Fort justement Mgr Schneider rappelle que « le pape n’est pas un monarque absolu, qui peut faire et dire ce qu’il veut, qui peut changer la doctrine ou la liturgie selon son bon vouloir ». Or cet « absolutisme papal » infecte tout autant l’envers de la médaille, les papolatres conciliaires.

Ainsi, tant « la tentative en vue de déposer un pape hérétique à n’importe quel prix » que cette absolution « aveugle et pieuse » de toutes les actions pontificales sont « le signe d’un comportement bien trop humain, qui au bout du compte est le reflet d’un refus de porter la croix temporelle d’un pape hérétique. Elle peut également être le reflet de l’émotion bien trop humaine… L’Eglise et la papauté sont des réalités qui ne sont pas purement humaines, mais également divines. La croix d’un pape hérétique – même si elle est limitée dans la durée – est la plus grande croix imaginable pour l’Eglise tout entière.

Ce texte de Mgr Schneider a un autre mérite, grand mérite : il est une louange, même si indirecte, de l’action de Mgr Lefebvre et des communautés religieuses qui l’ont suivi dans le but courageux de garder et défendre la Tradition de l’Église catholique : « La tolérance d’un pape hérétique comme une croix n’équivaut pas à la passivité ou à l’approbation de ses mauvaises actions. On doit faire tout ce qui est possible pour remédier à la situation d’un pape hérétique. Porter la croix d’un pape hérétique ne signifie en aucune circonstance le consentement à ses hérésies ou la passivité » écrit l’évêque d’Astana. Or qui, plus que tout autre, ne fut jamais passif devant les hérésies issues du concile Vatican II et propagées par les papes conciliaires si ce n’est ce grand archevêque dont on fête aujourd’hui, en ce jour de l’Annonciation, le rappel à Dieu le 25 mars 1991 ?

Francesca de Villasmundo

Ci-dessous le texte de Mgr Schneider traduit officiellement par Jeanne Smits :

« Sur la question d’un pape hérétique

Comment traiter le problème d’un pape hérétique de manière concrète ? Voilà une question qui n’a pas encore été réglée selon un consensus général au sein de la tradition catholique tout entière. À ce jour, aucun pape ni concile œcuménique n’ont fait de déclaration doctrinale à ce sujet, et ils n’ont pas davantage émis de norme canonique contraignante au sujet de l’éventuelle gestion d’un pape hérétique pendant la durée de sa charge.

Il n’existe pas d’exemple historique d’un pape ayant perdu la papauté pour cause d’hérésie ou sous l’accusation d’hérésie. Le pape Honorius Ier (625-638) a été excommunié de manière posthume par trois conciles œcuméniques (le troisième concile de Constantinople en 681, le deuxième concile de Nicée en 787, et le quatrième concile de Constantinople en 870) en raison de son soutien à l’hérésie monothéliste, soutien qui avait contribué à la diffusion de cette hérésie. Dans la lettre par laquelle le saint pape Léon II (+ 682-683) confirma les décrets du troisième concile de Constantinople, il frappait d’anathème le pape Honorius (« anathematizamus Honorium »), s’exprimant ainsi à propos de son prédécesseur : « Honorius qui n’a pas purifié cette Eglise apostolique par l’enseignement de la tradition apostolique, mais a tenté de subvertir la foi immaculée en une trahison impie (texte grec : a permis que l’Eglise immaculée soit souillée par une trahison impie) » (Denzinger-Schönmetzer, n. 563).

Le Liber Diurnus Romanorum Pontificum, collection très diverse de formulaires utilisés par la chancellerie papale jusqu’au XIe siècle, contient le texte du serment pontifical obligeant chaque nouveau pape, au moment d’assumer sa charge, de jurer qu’il « reconnaissait le sixième concile œcuménique frappant d’anathème éternel les initiateurs de l’hérésie (le monothélisme) Sergius, Pyrrhus, etc., ainsi qu’Honorius » (PL 105, 40-44).

Dans certains bréviaires jusqu’au XVIe ou au XVIIIe siècle, Honorius était mentionné comme hérétique dans la leçon de matines du 28 juin, fête du saint pape Léon II : « In synodo Constantinopolitano condemnati sunt Sergius, Cyrus, Honorius, Pyrrhus, Paulus et Petrus, nec non et Macarius, cum discipulo suo Stephano, sed et Polychronius et Simon, qui unam voluntatem et operationem in Domnino Jesu Christo dixerunt vel praedicaverunt. » La persistance de la lecture de ce bréviaire au cours de nombreux siècles montre que de nombreuses générations de catholiques n’ont pas considéré scandaleux qu’un pape particulier, dans un cas très rare, ait été jugé capable d’hérésie ou de soutien à l’hérésie. En ces temps-là, les fidèles et la hiérarchie de l’Eglise savaient faire une claire distinction entre l’indestructible unité de la foi catholique dont le magistère du siège de Pierre a reçu l’assurance divine, et l’infidélité et la trahison d’un pape donné, dans l’exercice de son office magistériel.

Dom John Chapman a expliqué dans son livre The Condemnation of Pope Honorius (« La condamnation du pape Honorius », Londres, 1907) que le même troisième conseil œcuménique de Constantinople qui avait frappé d’anathème le pape Honorius avait fait une claire distinction entre l’erreur d’un pape particulier et l’infaillibilité de la foi du Siège apostolique en tant que tel. Dans la lettre par laquelle ils demandaient au pape Agathon (678-681) d’approuver les décisions conciliaires, les pères du troisième concile œcuménique de Constantinople affirment que Rome a une foi indéfectible, promulguée d’autorité à l’ensemble de l’Eglise par les évêques du Siège apostolique, les successeurs de Pierre. On peut poser la question : comment était-il possible que le troisième concile œcuménique de Constantinople puisse affirmer cela en condamnant dans le même souffle un pape pour hérésie ? La réponse est évidente. Le pape Honorius Ier était faillible, il avait tort, il était hérétique, précisément parce qu’il n’a pas, comme il aurait dû le faire, affirmé d’autorité la tradition pétrinienne de l’Eglise romaine. Il n’en avait en rien appelé à cette tradition, se contentant au contraire d’approuver et de faire prendre de l’importance à l’hérésie. Mais une fois désavouées par ses successeurs, les paroles du pape Honorius Ier devenaient inoffensives par rapport à la réalité de l’infaillibilité de la foi du Siège apostolique. Elles se retrouvaient réduites à leur véritable valeur, celle de l’expression de son opinion personnelle.

Le saint pape Agathon ne se laissa pas embrouiller ni troubler par le comportement déplorable de son prédécesseur Honorius Ier, qui avait aidé à la diffusion de l’hérésie. Malgré ce fait, le pape Agathon conserva sa vision surnaturelle de l’inerrance du siège de Pierre par rapport à l’enseignement de la foi, comme il devait l’écrire aux empereurs de Constantinople : « Voilà la véritable règle de la foi, que notre mère spirituelle a toujours conservée et défendue dans le succès comme dans l’adversité. Par la grâce du Dieu tout puissant, cette Eglise ne tombera jamais dans l’erreur et ne s’écartera jamais du droit chemin de la tradition apostolique. Elle n’a jamais succombé et ne s’est jamais trouvée corrompue par les nouveautés des hérétiques. Au contraire, dès les origines de la foi chrétienne, elle a reçu le soutien de ses fondateurs, les princes des apôtres du Christ, et elle demeure sans tache jusqu’à la fin, conformément à la promesse de Notre-Seigneur et Sauveur, et à la parole qu’il adressa dans les saints Evangiles au prince de ses disciples : “Pierre, Pierre, voilà que Satan vous a recherché pour vous cribler comme on crible le froment ; mais j’ai prié pour vous, afin que votre foi ne défaille point : lors donc que vous vous serez converti, ayez soin d’affermir vos frères” (Luc XXII, 32). » (Ep. “Consideranti mihi” ad Imperatores.)

Dom Prosper Guéranger a donné une explication théologique courte et lucide de ce cas concret d’un pape hérétique. Il affirme : « Quels applaudissements dans l’abîme, quand, un jour, [Honorius Ier] le représentant de Celui qui est la lumière parut de complicité avec les puissances des ténèbres pour amener la nuit ! Un nuage avait semblé s’interposer entre le ciel et les monts où Dieu réside en son vicaire ; sans doute, l’apport social de l’intercession n’avait point été ce qu’il devait être.” L’Année Liturgique, Paris 1911, Le temps après la Pentecôte, Tome 3, p. 403.)

Il y a en outre un autre fait de poids : pendant deux mille ans, il n’y a pas eu un seul cas d’un pape déposé pendant la durée de son office à cause du crime d’hérésie. Le pape Honorius Ier a été déclaré anathème seulement après sa mort. Le dernier exemple d’un pape hérétique ou semi-hérétique est celui du pape Jean XXII (1316-1334) qui avait enseigné sa théorie selon laquelle les saints ne jouiraient de la vision béatifique qu’après le Jugement dernier lors du Second avènement du Christ. La manière dont ce cas particulier a été traité à l’époque était celle-ci : il y eut des admonestations publiques (l’université de Paris, le roi de France Philippe VI), une réfutation des théories papales erronées à travers des publications théologiques, et une correction fraternelle de la part du cardinal Jacques Fournier, qui devait lui succéder sous le nom de Benoît XII (1332-1342).

L’Eglise, dans les cas concrets très rares d’un pape coupable d’erreurs théologiques graves ou d’hérésie, parvenait décidément à vivre avec un tel pape. La pratique de l’Eglise jusqu’à présent a été de laisser le jugement définitif à propos d’un pape hérétique régnant aux soins de ses successeurs ou d’un concile œcuménique ultérieur, comme ce fut le cas pour le pape Honorius Ier. La même chose se fût probablement produite pour le pape Jean XXII s’il n’avait pas rétracté son erreur.

Des papes ont plusieurs fois été déposés par le pouvoir séculier ou par des clans criminels. Cela s’est produit particulièrement au cours de ce qu’on appelle l’âge des ténèbres (Xe et XIe siècles) où des empereurs germaniques déposèrent plusieurs papes indignes, non point à cause de leur hérésie mais en raison de leur vie scandaleuse et immorale, et de leurs abus de pouvoir. Cependant, ils ne furent jamais déposés selon une procédure canonique, car cela est impossible en raison de la structure divine de l’Eglise. Le pape reçoit son autorité directement de Dieu et non de l’Eglise ; par conséquent, l’Eglise ne peut le déposer, pour quelque raison que ce soit.

C’est un dogme de foi que le pape ne peut proclamer l’hérésie ex cathedra. Il s’agit là de la garantie divine selon laquelle les portes de l’enfer ne prévaudront pas sur la cathedra veritatis, c’est-à-dire le Siège apostolique de l’apôtre saint Pierre. Dom John Chapman, expert de l’histoire de la condamnation du pape Honorius Ier, écrit : « L’infaillibilité est en quelque sorte la pointe d’une pyramide. Plus les énoncés du Siège apostolique sont solennels, plus nous pouvons être certains de leur véracité. Lorsqu’ils atteignent le maximum de solennité, c’est-à-dire : lorsqu’ils sont strictement ex cathedra, la possibilité de l’erreur est entièrement éliminée. L’autorité d’un pape, même dans les occasions où il n’est pas effectivement infaillible, doit être suivie et révérée sans réserve. Qu’elle puisse se trouver du mauvais côté est une contingence dont la foi et l’histoire ont montré qu’elle est possible » (The Condemnation of Pope Honorius, Londres 1907, p. 109).

Si un pape répand des erreurs doctrinales ou des hérésies, la structure divine de l’Eglise fournit déjà un antidote : le ministère de suppléance des représentants de l’épiscopat et le sensus fidei invincible des fidèles. Sur cette question, le facteur numérique n’est pas décisif. Il suffit qu’il y ait quelques évêques seulement qui proclament l’intégrité de la foi, corrigeant ainsi les erreurs d’un pape hérétique. Il suffit que des évêques instruisent et protègent leurs troupeaux des erreurs d’un pape hérétique, et leurs prêtres et les parents de familles catholiques feront de même. En outre, parce que l’Eglise est aussi une réalité surnaturelle et un mystère, un organisme surnaturel unique, le corps mystique du Christ, des évêques, des prêtres et des fidèles laïcs – outre les corrections, les appels, les professions de foi et la résistance publique – doivent également et nécessairement accomplir des actes de réparation vis-à-vis de la majesté divine, ainsi que des actes d’expiation pour les actes hérétiques d’un pape. Selon la constitution dogmatique Lumen Gentium (cf. n° 12) du concile Vatican II, le corps entier des fidèles ne peut se tromper en matière de foi, lorsque, des évêques jusqu’au dernier des fidèles laïcs, ils affichent un accord universel en matière de foi et de morale. Même si un pape répand des erreurs théologiques et des hérésies, la foi de l’Eglise dans son ensemble restera intacte en raison de la promesse du Christ à propos de l’assistance spéciale du Saint Esprit, de l’Esprit de vérité, dans son Eglise (cf. Jn 14, 17 ; 1 Jn 2, 27).

Lorsque, par l’insondable permission de Dieu, à un certain moment de l’histoire et dans un cas très rare, un pape répand des erreurs et des hérésies à travers son magistère quotidien ou ordinaire non infaillible, la divine Providence éveille en même temps le témoignage de certains membres du collège épiscopal, et aussi des fidèles, afin de compenser les manquements temporels du magistère papal. Il faut dire qu’une telle situation est très rare, mais non point impossible, comme l’a prouvé l’histoire de l’Eglise. L’Eglise est véritablement un seul corps organique, et lorsqu’il y a un échec et un manque à la tête du corps (le pape), le reste du corps (les fidèles), ou d’éminentes parties du corps (les évêques) suppléent aux manques pontificaux temporaires. L’un des exemples les plus célèbres et les plus tragiques d’une telle situation s’est produit lors de la crise arienne au quatrième siècle, lorsque la pureté de la foi a été maintenue non tant par l’ecclesia docens (le pape et l’épiscopat) mais par l’ecclesia docta (les fidèles), comme l’a déclaré le bienheureux John Henry Newman.

La théorie ou l’opinion (de la perte de l’office papal par déposition ou par déclaration d’une perte ipso facto) identifie implicitement le pape à l’Eglise tout entière, ou manifeste une attitude malsaine de papo-centrisme – en dernière analyse, de papolatrie. Les représentants d’une telle opinion (et notamment certains saints) sont ceux qui faisaient montre d’un ultramontanisme exagéré ou d’un papo-centrisme qui faisait du pape une sorte de demi-dieu, incapable de commettre une quelconque erreur, y compris dans le domaine extérieur à l’objet de l’infaillibilité pontificale. Ainsi, le fait pour un pape de commettre des erreurs doctrinales – ce qui inclut aussi en théorie et logiquement la possibilité de commettre l’erreur doctrinale la plus grave, c’est-à-dire une hérésie, est aux yeux de ceux qui partagent cette opinion (sur la déposition du pape et la perte de son office en raison de l’hérésie) insupportable ou impensable, même si le pape commet ses erreurs dans un domaine étranger à l’objet de l’infaillibilité pontificale.

La théorie ou l’opinion théologique selon laquelle un pape hérétique peut être déposé ou perdre son office n’avait pas cours pendant le premier millénaire. Elle est apparue seulement au cours du haut Moyen Âge, un moment où le papo-centrisme a atteint un sommet, où inconsciemment, le pape était identifié avec l’Eglise en tant que telle. C’était déjà la racine de l’attitude mondaine du prince absolu énonçant la devise : « L’État, c’est moi ! », soit, en termes ecclésiastiques : « L’Eglise, c’est moi ! »

L’opinion selon laquelle un pape hérétique perd ipso facto son office s’est répandue jusqu’à devenir opinion commune depuis le haut Moyen Âge jusqu’au XXe siècle. Cela reste une opinion théologique et ne constitue pas un enseignement de l’Eglise. À ce titre, elle ne peut pas revendiquer la qualité d’enseignement pérenne et constant de l’Eglise en tant que tel, puisqu’aucun concile œcuménique, aucun pape n’a soutenu explicitement une telle opinion. L’Eglise, cependant, a condamné un pape hérétique, mais seulement de manière posthume et non pendant la durée de son office. Même si certains saints docteurs de l’Eglise (par exemple, saint Robert Bellarmin, saint François de Sales) ont partagé cette opinion, cela ne prouve pas qu’elle est certaine, ni qu’il y ait un consensus doctrinal général à son sujet. Même les docteurs de l’Eglise ont pu se tromper : tel est le cas de saint Thomas d’Aquin en ce qui concerne l’Immaculée Conception, la matière du sacrement de l’ordre ou le caractère sacramentel de l’ordination épiscopale.

Il y a eu une période dans l’Eglise où par exemple, il existait une opinion théologique communément partagée, mais objectivement erronée affirmant que la remise des instruments constituait la matière du sacrement de l’ordre. C’était cependant une opinion qui ne pouvait s’appuyer sur l’antiquité et l’universalité, bien qu’une telle opinion fût pendant une période limitée soutenue par un pape (par le décret d’Eugène IV) ou par des livres liturgiques (pendant une période limitée). Cette opinion commune a cependant été corrigée plus tard par Pie XII en 1947.

La théorie – de la déposition du pape hérétique ou de la perte ipso facto de son office pour cause d’hérésie – est seulement une opinion théologique, qui ne remplit pas les catégories théologiques nécessaire de l’antiquité, de l’universalité, et du consensus (semper, ubique, ab omnibus). Il n’y a pas eu de déclarations du magistère universel ordinaire ou du magistère pontifical pouvant soutenir les théories de la déposition d’un pape hérétique ou de sa perte d’office ipso facto pour cause d’hérésie. Selon une tradition canonique médiévale, qui a été plus tard intégrée au Corpus Iuris Canonici (la loi canonique en vigueur dans l’Eglise latine jusqu’en 1918), un pape pouvait être jugé en cas d’hérésie : « Papa a nemine est iudicandus, nisi deprehendatur a fide devius », c’est-à-dire : « Le pape ne peut être jugé par quiconque, à moins qu’il ne soit repris pour avoir erré dans la foi » (Decretum Gratiani, Prima Pars, dist. 40, c. 6, 3. pars). Cependant le code de droit canonique de 1917 a éliminé la norme du Corpus Iuris Canonici qui évoquait le cas du pape hérétique. Le code de droit canonique de 1983 ne contient pas davantage une telle norme.

L’Eglise a toujours enseigné que même une personne hérétique, qui est automatiquement excommuniée pour cause d’hérésie formelle, peut néanmoins validement administrer les sacrements et qu’un prêtre hérétique ou formellement excommunié peut même dans un cas extrême poser un acte de juridiction en accordant à un pénitent l’absolution sacramentelle. Les normes de l’élection papale qui ont eu cours jusqu’à Paul VI inclusivement, admettaient que même un cardinal excommunié pouvait participer à l’élection du pape et qu’il pouvait lui-même être élu pape : « Aucun cardinal électeur ne peut d’aucune manière être exclu de la participation active et passive à l’élection du Souverain Pontife pour le motif ou sous le prétexte de n’importe quelle excommunication, suspense, interdit ou autre empêchement ecclésiastique ; ces censures doivent être considérées comme suspendues, mais seulement en ce qui concerne cette élection » (Paul VI, Constitution Apostolique Romano Pontifice eligendo, n. 35). Ce principe théologique doit être appliqué également au cas d’un évêque hérétique ou d’un pape hérétique, qui en dépit de leurs hérésies peuvent validement poser des actes de juridiction ecclésiastique et qui par conséquent ne perdent pas ipso facto leur office pour cause d’hérésie.

La théorie ou l’opinion théologique qui permet la déposition d’un pape hérétique ou la perte de son office ipso facto pour cause d’hérésie est en pratique inapplicable. Si elle était appliquée en pratique, elle créerait une situation semblable à celle du Grand Schisme dont l’Eglise a déjà fait l’expérience désastreuse à la fin du XIVe et au début du XVe siècle. En effet, il y aura toujours une partie du collège des cardinaux et une part considérable de l’épiscopat mondial et aussi des fidèles qui ne seront pas d’accord pour qualifier une erreur (ou des erreurs) du pape d’hérésie (ou d’hérésies) formelle, et par conséquent ils continueront de considérer le pape du moment comme le seul pape légitime.

Un schisme formel, avec deux prétendants ou davantage au trône papal – ce qui sera la conséquence inévitable de la déposition d’un pape, même canoniquement réalisée – fera nécessairement davantage de tort à l’Eglise dans son ensemble qu’une période relativement courte et très rare où un pape répand des erreurs doctrinales ou des hérésies. La situation d’un pape hérétique sera toujours relativement courte en comparaison avec les deux mille ans d’existence de l’Eglise. On doit laisser l’intervention, dans ce cas rare et délicat, à la divine Providence.

La tentative en vue de déposer un pape hérétique à n’importe quel prix est le signe d’un comportement bien trop humain, qui au bout du compte est le reflet d’un refus de porter la croix temporelle d’un pape hérétique. Elle peut également être le reflet de l’émotion bien trop humaine de la colère. Dans tous les cas, elle proposera une solution bien trop humaine, et en tant que telle, elle ressemble quelque peu au comportement dans le domaine politique. L’Eglise et la papauté sont des réalités qui ne sont pas purement humaines, mais également divines. La croix d’un pape hérétique – même si elle est limitée dans la durée – est la plus grande croix imaginable pour l’Eglise tout entière.

Une autre erreur affectant l’intention ou la tentative de déposer un pape hérétique consiste en l’identification indirecte ou subconsciente de l’Eglise avec le pape, ou à faire du pape le point de focalisation de la vie quotidienne de l’Eglise. Cela revient au bout du compte et subconsciemment, à céder à un ultramontanisme, un papo-centrisme, une papolatrie malsains, c’est-à-dire un culte de la personnalité du pape. Il y a bien eu des périodes dans l’histoire de l’Eglise ou pour une durée considérable le siège de Pierre a été vacant. Par exemple, du 29 novembre 1268 au 1er septembre 1271, il n’y eut pas de pape et en ce temps-là il n’y eut pas davantage d’antipape. Par conséquent, les catholiques ne doivent pas faire du pape, et de ses paroles et de ses actions, leur point de focalisation quotidien.

On peut déshériter les enfants d’une famille. Mais on ne peut pas déshériter le père d’une famille, pour coupable ou monstrueux que soit son comportement. Telle est la loi de la hiérarchie que Dieu a établie jusque dans la création. Cette même loi est applicable au pape, qui pendant la durée de son office est le père spirituel de toute la famille du Christ sur terre. Dans le cas d’un père criminel monstrueux, les enfants doivent s’écarter de lui ou éviter le contact avec lui. Cependant, ils ne peuvent dire : « Nous allons élire un nouveau et bon père pour notre famille. » Cela irait contre le bon sens et contre la nature. Le même principe devrait être applicable par conséquent à la question de la déposition d’un pape hérétique. Le pape ne peut être déposé par personne, seul Dieu peut intervenir et Il le fera en son temps, car Dieu ne peut défaillir en sa Providence (« Deus in sua dispositione non fallitur »). Au cours du concile Vatican I, Mgr Zinelli, relateur de la commission conciliaire sur la foi, évoqua en ces termes la possibilité d’un pape hérétique : « Si Dieu permet un si grand mal (à savoir, un pape hérétique) les moyens pour remédier à cette situation ne manqueront pas » (Mansi 52, 1109).

La déposition d’un pape hérétique encouragera au bout du compte l’hérésie du conciliarisme, du sédévacantisme, et une attitude mentale semblable à celle qui caractérise une communauté purement humaine ou politique. Elle favorisera également une mentalité comparable au séparatisme dans le monde protestant, ou à l’autocéphalisme dans la communauté des Eglises orthodoxes.

La théorie ou l’opinion permettant la déposition et la perte d’office se révèle en outre comme ayant à sa racine la plus profonde – encore que ce soit inconsciemment – une sorte de « donatisme » appliqué au ministère papal. La théorie donatiste identifiait quasiment les ministres sacrés (prêtres et évêques) à la sainteté morale du Christ Lui-même, exigeant par conséquent pour que leur office soit valide l’absence d’erreurs morales ou d’inconduite dans leur vie publique. Ladite théorie exclut de manière semblable la possibilité qu’un pape fasse des erreurs doctrinales, c’est-à-dire des hérésies, déclarant du même coup son office invalide ou vacant, comme le faisaient les donatistes en déclarant l’office sacerdotal ou épiscopal invalide ou vacant en raison d’erreurs dans la vie morale.

On peut imaginer qu’à l’avenir l’autorité suprême de l’Eglise (le pape ou un concile œcuménique) puisse stipuler les normes canoniques suivantes – ou des normes qui leur ressemblent – pour le cas d’un pape hérétique ou manifestement hétérodoxe :

  • Un pape ne peut être déposé d’aucune manière et pour aucune raison, même pour raison d’hérésie.
  • Tout pape nouvellement élu, en prenant son office, est obligé en vertu de son ministère d’enseignant suprême de l’Eglise de prononcer un serment de protection de la totalité du troupeau du Christ des dangers des hérésies et d’éviter dans ses paroles et ses actions toute apparence d’hérésie, conformément à son devoir de raffermir dans la foi tous les pasteurs et les fidèles.
  • Un pape qui répand des erreurs théologiques manifestes ou des hérésies ou qui aide à la diffusion d’hérésies par ses actions et omissions doit obligatoirement être corrigé de manière fraternelle et privée par le doyen du collège des cardinaux.
  • À la suite de corrections privées infructueuses, le doyen du collège des cardinaux est obligé de rendre sa correction publique.
  • En même temps que la correction publique, le doyen du collège des cardinaux doit appeler à la prière pour que le pape retrouve la force de confirmer sans ambiguïté l’Eglise tout entière dans la foi.
  • En même temps, le doyen du collège des cardinaux doit publier une formule de profession de foi, rejetant des erreurs théologiques enseignées ou tolérées par le pape (sans nécessairement nommer le pape).
  • Si le doyen du collège des cardinaux manque ou échoue à faire cette correction, l’appel à la prière, et la publication d’une profession de foi doivent être faits par n’importe quel cardinal, évêque ou groupe d’évêques et si même les cardinaux et les évêques manquent ou échouent à le faire, n’importe quel membre des laïcs catholiques ou groupe de laïcs catholiques doit le faire.
  • Le doyen du collège des cardinaux ou un cardinal, ou un évêque ou un groupe d’évêques, ou un laïc catholique ou un groupe de laïcs catholiques ayant fait la correction, appelé à la prière et publié la profession de foi ne peuvent être sujets à une quelconque sanction ou peine canonique, et ils ne peuvent être accusés de manque de respect envers le pape pour cette raison.

Dans le cas extrêmement rare d’un pape hérétique, la situation spirituelle de l’Eglise peut être décrite grâce aux paroles du saint pape Grégoire le Grand (590-604), qui en son temps qualifia l’Eglise de « vieux navire tout brisé, qui fait eau de toute part ; et dans la grosse tempête qui le secoue chaque jour ses planches pourries ont des craquements de naufrage » (Registrum I, 4, Ep. Ad Ioannem episcopum Constantinopolitanum).

L’épisode de l’Évangile racontant comment Notre Seigneur calme la mer déchaînée et sauve Pierre, qui coulait dans l’eau, nous enseigne que même dans le cas le plus dramatique et humainement désespéré d’un pape hérétique, tous les pasteurs de l’Eglise et les fidèles doivent croire et avoir confiance en Dieu quant à l’intervention de sa Providence, sachant que le Christ calmera la tempête qui fait rage, restaurant chez les successeurs de Pierre, ses vicaires sur terre, la force de confirmer tous les pasteurs et les fidèles dans la foi catholique et apostolique.

Le saint pape Agathon (678-681) qui eut la tâche difficile de limiter les dommages causés par le pape Honorius Ier à l’intégrité de la foi, a laissé les paroles vives d’un ardent appel à chaque successeur de Pierre, qui doit toujours avoir à l’esprit son grave devoir de garder intacte la pureté virginale du dépôt de la foi : « Malheur donc à moi, si je néglige de prêcher la vérité de mon Seigneur, qu’ils ont, eux, prêchée intacte ! Malheur à moi si j’ensevelis dans le silence le trésor que j’ai reçu mission de distribuer à ceux qui le feront fructifier, je veux dire cette vérité que par mes enseignements je dois faire profondément pénétrer dans les âmes des chrétiens… Que dirai-je lors de mon examen futur par le Christ Lui-même, si je rougis – à Dieu ne plaise ! – de prêcher ici la vérité de ces paroles ? Quelle satisfaction pourrais-je invoquer à mon profit, et pour les âmes qui m’ont été confiées, lorsqu’Il demandera des comptes stricts de l’office que j’ai reçu ? » (Ep. “Consideranti mihi” ad Imperatores).

Lorsque le premier pape, saint Pierre, était matériellement enchaîné, l’Eglise tout entière implorait sa libération : « Pierre était donc gardé dans la prison ; mais l’Eglise faisait sans interruption des prières à Dieu pour lui » (Actes, 12, 5). Lorsqu’un pape répand des erreurs, voire des hérésies, il est dans des chaînes spirituelles, ou une prison spirituelle. Donc, l’Eglise tout entière doit prier sans cesse pour sa libération de cette prison spirituelle. L’Eglise entière doit faire preuve d’une persévérance surnaturelle dans cette prière, et une confiance surnaturelle dans le fait que c’est Dieu qui en définitive gouverne son Eglise, et non le pape.

Lorsque le pape Honorius Ier (625-638) adopta une attitude ambiguë vis-à-vis de la diffusion de la nouvelle hérésie du monothélisme, saint Sophrone, patriarche de Jérusalem, envoya un évêque de Palestine à Rome, lui disant ces paroles : « Allez au Siège apostolique, où sont les fondations de la sainte doctrine, et ne cessez de prier tant que le Siège apostolique n’aura pas condamné la nouvelle hérésie. »

Face au cas tragique d’un pape hérétique, tous les membres de l’Eglise, à commencer par les évêques et jusqu’aux simples laïcs, doivent utiliser tous les moyens légitimes, telles les corrections privées et publiques du pape fautif, les prières constantes et ardentes ainsi que les professions publiques de la vérité afin que le Siège apostolique puisse de nouveau clairement professer les vérités divines confiées par Notre Seigneur à Pierre et à tous ses successeurs. « Car le Saint Esprit n’a pas été promis aux successeurs de Pierre pour qu’ils fassent connaître, sous sa révélation, une nouvelle doctrine, mais pour qu’avec son assistance ils gardent saintement et exposent fidèlement la révélation transmise par les Apôtres, c’est-à-dire le dépôt de la foi » (Ier Concile du Vatican, Constitution Dogmatique Pastor Aeternus, Ch. 4).

Il faut rappeler à chaque pape et à tous les membres de l’Eglise les mots sages et intemporels du concile œcuménique de Constance (1414-1418) concernant le pape en tant que première personne de l’Eglise liée par la foi, tenue de garder scrupuleusement l’intégrité de la foi :

« Puisque le pontife romain exerce un si grand pouvoir parmi les mortels, il est bon qu’il soit d’autant plus lié par les liens irréfutables de la foi et par les rites qui doivent être observés en ce qui concerne les sacrements de l’Eglise. C’est pourquoi nous décrétons et ordonnons, afin que la plénitude de la foi puisse briller dans un futur pontife romain avec une singulière splendeur dès les premiers instants où il sera devenu pape, que désormais quiconque sera élu pontife romain fasse en public la confession et profession suivante » (39e session du 9 octobre 1417, ratifiée par le pape Martin V).

Lors de cette même session, le Concile de Constance décréta que tout pape nouvellement élu devrait faire un serment de foi, proposant la formule suivante, dont nous citons les passages les plus essentiels :

« Moi N. élu pape je professe et promets de cœur et de bouche au Dieu tout-puissant, dont j’entreprends de gouverner l’Eglise avec son secours, et en présence du bienheureux Pierre Prince des apôtres, que tant qu’il plaira au Seigneur de me conserver cette vie fragile, je croirai et tiendrai fermement la foi catholique selon la tradition des apôtres, des conciles généraux et des saints Pères, (…) dont je conserverai la foi tout entière, jusqu’à donner ma vie et répandre mon sang pour elle. Je jure pareillement de poursuivre exactement le rite transmis des sacrements ecclésiastiques de l’Eglise catholique. »

Combien est-il opportun, un tel serment papal, et combien urgent est-il de mettre un tel serment en pratique, spécialement en notre temps ! Le pape n’est pas un monarque absolu, qui peut faire et dire ce qu’il veut, qui peut changer la doctrine ou la liturgie selon son bon vouloir. Malheureusement, au cours des siècles passés – contrairement à la tradition apostolique des temps anciens – le fait pour les papes de se comporter comme des monarques absolus ou comme des demi-dieux en est venu à être si communément accepté qu’il a fini par façonner la vision théologique et spirituelle du moment des évêques et des fidèles, spécialement parmi les gens pieux. Le fait que le pape doit être le premier dans l’Eglise à éviter les nouveautés, obéissant de manière exemplaire à la tradition de la foi et de la liturgie, a parfois été effacé de la conscience des évêques et des fidèles par l’acceptation aveugle et pieuse d’une sorte d’absolutisme papal.

Le serment papal du Liber Diurnus Romanorum Pontificum considère comme l’obligation principale et la qualité la plus insigne d’un nouveau pape sa fidélité inébranlable à la tradition telle qu’elle lui a été transmise par tous ses prédécesseurs : « Nihil de traditione, quod a probatissimis praedecessoribus meis servatum reperi, diminuere vel mutare, aut aliquam novitatem admittere; sed ferventer, ut vere eorum discipulus et sequipeda, totis viribus meis conatibusque tradita conservare ac venerari. » (« Ne rien changer à la tradition reçue, à ce que j’ai trouvé gardé avant moi par mes prédécesseurs qui plurent à Dieu, ne pas y porter atteinte, ni l’altérer, ni permettre d’innovation ; avec une affection fervente en tant que leur vrai disciple et successeur, sauvegarder avec révérence le bien transmis, de toute ma force et de tous mes efforts. »)

Le même serment papal désignait en termes concrets la fidélité à la lex credendi (la règle de la foi) et à la lex orandi (la règle de la prière). En ce qui concerne la lex credendi (la règle de la foi), le texte du serment affirme :

« Verae fidei rectitudinem, quam Christo autore tradente, per successores tuos atque discipulos, usque ad exiguitatem meam perlatam, in tua sancta Ecclesia reperi, totis conatibus meis, usque ad animam et sanguinem custodire, temporumque difficultates, cum tuo adjutorio, toleranter sufferre. » (« Je promets de garder avec toute ma force, fût-ce au prix de la mort et en répandant mon sang, l’intégrité de la vraie foi, dont l’auteur est le Christ et qui par vos successeurs et disciples a été transmis à mon humble personne, et que j’ai trouvée dans votre Eglise. Je promets également de supporter avec patience les difficultés du temps. »)

En ce qui concerne la lex orandi, le serment papal affirme : « Disciplinam et ritum Ecclesiae, sicut inveni, et a sanctis praecessoribus meis traditum reperi, illibatum custodire. » (« Je promets de garder intactes la discipline et la liturgie de l’Eglise telle que je les ai trouvées et qu’elles m’ont été transmises par mes saints prédécesseurs. »)

Au cours de ces cent dernières années, il y a eu quelques exemples d’une forme d’absolutisme papal concernant les changements apportés à la tradition liturgique de l’Eglise. Si nous considérons la lex orandi, il y a eu des modifications radicales faites par les papes Pie X, Pie XII et Paul VI, et concernant la lex credendi, par le pape François.

Pie X est devenu le premier pape de l’histoire de l’Eglise latine à faire une réforme si radicale de l’ordre du psautier (cursus psalmorum) qu’elle aboutit à la construction d’un nouveau type de divin Office en ce qui concerne la distribution des psaumes. Le cas suivant est celui du pape Pie XII, qui a approuvé pour l’usage liturgique une version latine radicalement modifiée du texte millénaire et mélodieux du psautier de la Vulgate. La nouvelle traduction latine, qu’on appelle le « psautier de Pie XII », était un texte artificiellement fabriqué par des universitaires qui, dans son artificialité, était à peine prononçable. Cette nouvelle traduction latine, critiquée judicieusement au moyen de l’adage « accessit latinitas, recessit pietas », a été ensuite de facto rejetée par toute l’Eglise sous le pontificat de Jean XXIII. Pie XII a également modifié la liturgie de la Semaine sainte, un trésor liturgique millénaire de l’Eglise, en introduisant des rituels partiellement inventés ex novo. Des changements liturgiques sans précédent ont cependant été exécutés par Paul VI au moyen d’une réforme révolutionnaire du rite de la messe et du rite de tous les autres sacrements, une réforme liturgique qu’aucun pape avant lui n’avait osé mettre en œuvre avec une telle radicalité.

Un changement théologique révolutionnaire a été fait par le pape François dans la mesure où il a approuvé la pratique de certaines Eglises locales d’admettre dans des cas particuliers des adultères sexuellement actifs (qui cohabitent dans ce qu’on appelle des « unions irrégulières ») à recevoir la sainte communion. Même si ces normes locales ne représentent pas une norme générale au sein de l’Eglise, elles signifient néanmoins une négation pratique de la vérité divine de l’indissolubilité absolue d’un mariage sacramentel validé consommé. Son autre altération en matière de questions doctrinales est relative au changement de la doctrine biblique, d’une constance bimillénaire, sur le principe de la légitimité de la peine de mort. Le changement doctrinal suivant est représenté par l’approbation par le pape François de la phrase du document inter-religieux d’Abu Dhabi du 4 février 2019, qui affirme que la diversité des sexes ainsi que la diversité des races et la diversité des religions correspondent à la sage volonté de Dieu. Cette formulation en tant que telle exige une correction papale officielle, sans quoi elle contredira évidemment le Premier commandement du Décalogue et l’enseignement sans équivoque et explicite de Notre Seigneur Jésus-Christ, de telle sorte qu’elle contredit la Révélation divine.

Sur cette toile de fond demeure l’épisode impressionnant et qui donne à réfléchir de la vie du pape Pie IX, qui à la demande d’un groupe d’évêques suggérant une modification minime du Canon de la messe (il s’agissait d’introduire le nom de saint Joseph), répliqua : « Je ne peux pas faire cela. Je ne suis que le pape ! »

Chaque pape et tous les fidèles devraient dire assidûment, spécialement en notre temps, la prière ci-dessous de Dom Prosper Guéranger, dans laquelle il loue le saint pape Léon II pour sa défense énergique de l’intégrité de la foi à l’issue de la crise causée par le pape Honorius Ier :

« Prévenez, ô Léon, le retour de situations à ce point douloureuses. Soutenez le pasteur au-dessus de la région des brouillards perfides qui s’élèvent de la terre ; entretenez dans le troupeau cette prière qui sans cesse doit monter à Dieu pour lui de l’Eglise (Act. XII, 5) : et Pierre, fût-il enseveli au fond des plus obscurs cachots, ne cessera point de contempler le pur éclat du Soleil de justice ; et le corps entier de la sainte Eglise sera dans la lumière. Car, dit Jésus, le corps est éclairé par l’œil : si l’œil est simple, le corps entier resplendit (Matth. VI, 22).

« Nous connaissons maintenant la force du roc qui porte l’Eglise ; nous savons que les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle (Matth. XVI, 18). Car jamais l’effort de ces puissances de l’abîme n’alla plus loin que dans la triste crise [du pape Honorius] à laquelle vous avez mis un terme ; or leur succès, si douloureux qu’il fût, n’était point à l’encontre des promesses divines : ce n’est point au silence de Pierre [ du pape Honorius et au son soutien de l´hérésie], mais à son enseignement, qu’est promise l’immanquable assistance de l’Esprit de vérité » (L’Année Liturgique, Paris 1911, Le temps après la Pentecôte, Tome 3, pp. 403-404).

Le cas extrêmement rare d’un pape hérétique ou semi-hérétique doit en définitive être enduré dans la souffrance à la lumière de la foi au caractère divin et en l’indestructibilité de l’Eglise et de l’office pétrinien. Saint Léon le Grand formula cette vérité, en disant que la dignité de saint Pierre n’est pas amoindrie dans ses successeurs quelle que soit leur indignité : « Cuius dignitas etiam in indigno haerede non deficit » (Serm. 3, 4).

On pourrait se trouver dans la situation véritablement extravagante d’un pape qui pratique l’abus sexuel de mineurs ou de subordonnés au Vatican. Que devrait faire l’Eglise dans une telle situation ? L’Eglise devrait-elle tolérer un prédateur sexuel papal de mineurs ou de subordonnés ? Pendant combien de temps l’Eglise devrait-elle tolérer un tel pape ? Devrait-il perdre la papauté ipso facto en raison de l’abus sexuel de mineurs de subordonnés ? Dans une telle situation une nouvelle théorie ou opinion canonique ou théologique pourrait apparaître, visant à permettre la déposition d’un pape et la perte de son office en raison de crimes moraux monstrueux (par exemple, l’abus sexuel de mineurs et de subordonnés). Une telle opinion serait la contrepartie de l’opinion permettant la déposition d’un pape et la perte de son office à cause de l’hérésie. Cependant, une telle nouvelle théorie ou opinion (la déposition d’un pape et la perte de son office en raison de crimes sexuels) ne correspondrait certainement pas à l’esprit et à la pratique pérennes de l’Eglise.

La tolérance d’un pape hérétique comme une croix n’équivaut pas à la passivité ou à l’approbation de ses mauvaises actions. On doit faire tout ce qui est possible pour remédier à la situation d’un pape hérétique. Porter la croix d’un pape hérétique ne signifie en aucune circonstance le consentement à ses hérésies ou la passivité. De même des gens ont à supporter, par exemple, un régime inique ou athée telle une croix (combien de catholiques ont vécu sous un tel régime dans l’Union soviétique, et supporté cette situation comme une croix en esprit d’expiation) ; ou des parents qui doivent supporter comme une croix un enfant adulte devenu incroyant ou immoral ; ou des membres d’une famille obligés de supporter comme une croix, par exemple, un père alcoolique. Les parents ne peuvent pas « déposer » leur enfant dévoyé de son appartenance à leur famille, de même que les enfants ne peuvent pas « déposer » leur père dévoyé de l’appartenance à leur famille ou de son titre de « père ».

La voie plus sûre qui consiste à ne pas déposer un pape hérétique représente une vision plus surnaturelle de l’Eglise. Cette voie, avec ses contre-mesures et contre-réactions pratiques et concrètes, ne signifie d’aucune façon la passivité ou la collaboration avec les erreurs papales, mais un engagement très actif et une vraie compassion à l’égard de l’Eglise, qui, au temps d’un pape hérétique ou semi-hérétique, fait l’expérience de son Golgotha. Plus un pape répand des ambiguïtés doctrinales, des erreurs ou même des hérésies, plus lumineuse sera la foi catholique pure qui brille dans les petits dans l’Eglise : la foi d’enfants innocents, de sœurs religieuses, la foi tout spécialement des religieuses cloîtrées, qui sont les joyaux cachés de l’Eglise, la foi des laïcs héroïques et vertueux de toutes conditions sociales, la foi de prêtres et d’évêques individuels. Cette flamme pure de la foi catholique, souvent nourrie de sacrifices et d’actes d’expiation, brillera plus vive que la lâcheté, l’infidélité, la rigidité spirituelle et l’aveuglement d’un pape hérétique.

L’Eglise est d’un tel caractère divin qu’elle peut exister et vivre pendant une période de temps limité nonobstant un Pape régnant hérétique, précisément en raison de cette vérité : le pape n’est pas synonyme de l’Eglise et il ne lui est pas identique. L’Eglise est d’un tel caractère divin que même un pape hérétique n’est pas capable de détruire l’Eglise, même s’il endommage gravement sa vie, et pourtant son action n’a qu’une durée limitée. La foi de l’Eglise tout entière est plus grande et plus forte que les erreurs d’un pape hérétique et cette foi ne peut pas être vaincue, pas même par un pape hérétique. La constance de l’Eglise tout entière est plus grande et plus durable que le désastre relativement passager d’un pape hérétique. La vraie pierre sur laquelle réside l’indestructibilité de la foi et de la sainteté de l’Eglise est le Christ lui-même, le pape n’étant que son instrument, de même que chaque prêtre ou évêque est seulement un instrument du Christ, le Souverain Prêtre.

La santé doctrinale et morale de l’Eglise ne dépend pas exclusivement du pape, puisque de par la loi divine la santé doctrinale et morale de l’Eglise est garantie dans les situations extraordinaires d’un pape hérétique par la fidélité de l’enseignement des évêques, et au bout du compte aussi par la fidélité de la totalité des fidèles laïcs, comme l’ont suffisamment démontré le bienheureux John Henry Newman et l’histoire. La santé morale et doctrinale de l’Eglise n’est pas à ce point dépendante des erreurs doctrinales relativement passagères d’un pape unique qu’elle impliquerait de ce fait la vacance du siège papal. Tout comme l’Eglise peut supporter un temps son pape, comme cela s’est déjà produit dans l’histoire pour une période pouvant aller jusqu’à plusieurs années, de même l’Eglise est par constitution divine si forte qu’elle peut également supporter un éphémère pape hérétique.

L’acte de déposition d’un pape pour cause d’hérésie ou la déclaration de la vacance du siège papal en raison de la perte de la papauté ipso facto de la part d’un pape hérétique constituerait une nouveauté révolutionnaire dans la vie de l’Eglise, et ce en regard d’une question de haute importance concernant la constitution et la vie de l’Eglise. Il faut suivre, dans une affaire aussi délicate – même si elle est de nature pratique et non strictement doctrinale – la voie plus sûre (via tutior) du sens pérenne de l’Eglise. Nonobstant le fait que trois conciles œcuméniques successifs (le troisième concile de Constantinople en 681, le deuxième concile de Nicée en 787, et le quatrième concile de Constantinople en 870), et le saint pape Léon II en 682, ont excommunié le pape Honorius Ier pour cause d’hérésie, ils n’ont pas déclaré, pas même implicitement, qu’Honoris Ier avait perdu la papauté ipso facto pour cause d’hérésie. En fait, le pontificat d’Honorius Ier a été considéré valide même après son soutien à l’hérésie dans ses lettres au patriarche Serge en 634, puisqu’il a régné encore quatre ans après cela, jusqu’en 638.

Le principe suivant, formulé par le saint pape Étienne Ier (+ 257), bien que dans un contexte différent, doit constituer une ligne directrice quant au traitement du cas très délicat et rare d’un pape hérétique : « Nihil innovetur, nisi quod traditum est », c’est-à-dire : « Que l’on n’innove rien en dehors de ce que porte la tradition. »

21 mars 2019

+ Athanasius Schneider, évêque auxiliaire de l’archidiocèse de Sainte Marie in Astana

© Jeanne Smits pour la traduction« 

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