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Un regard catholique sur les événements d’Ukraine, par le RP Damien-Marie de la Fraternité de la Transfiguration

« Beaucoup tombent dans la démesure et dans l’irréalisme, en

magnifiant totalement, selon le camp pour lequel leur cœur balance »

Nos lecteurs se demandent peut-être ce que notre communauté, tournée vers le monde oriental, peut penser des événements d’Ukraine, qui depuis février occupent la « une » de l’actualité… – Nous n’avons sans doute pas à prendre position sur des questions d’ordre purement politique ou militaire, mais bien sûr nous avons quelques idées sur ce conflit, et nous pouvons peut-être proposer quelques éclairages. Commençons par signaler que nul ne sait aujourd’hui à quoi aboutira ce conflit ; nous assistons peut-être à ce qui constituera l’un des tournants géopolitiques majeurs de ce siècle, et il serait téméraire de prétendre être sûr de donner la bonne analyse. Risquons quand même quelques idées.

Une guerre fratricide

D’abord ceci : on ne peut que déplorer le fait que cette guerre ait éclaté (et on doit bien parler de guerre, même si la Russie continue à ne la désigner que sous le nom d’« opération spéciale »). En effet, cette guerre apparaît bien, à plus d’un égard, comme une guerre fratricide : les Ukrainiens et les Russes constituent en fait le même peuple, ou peu s’en faut : leurs langues sont voisines, ils sont les uns et les autres des Slaves de l’Est, dotés d’une histoire et d’une culture communes. Même si politiciens et historiens sont loin d’être d’accord sur les liens entre ces deux entités, et même s’il n’est pas sûr qu’avant février 2022, les Ukrainiens aient eu un véritable sentiment national, il reste tout de même évident que ce qu’on appelle aujourd’hui l’Ukraine a été, de par le baptême de saint Vladimir en 988, le berceau de la nation russe (S. Vladimir est aujourd’hui considéré comme la grande figure fondatrice à la fois par les Ukrainiens et par les Russes – un peu comme l’était à la fin du XIXe siècle, de façon assez ridicule à un siècle de distance, l’empereur Charlemagne pour les Français et les Allemands, qui alors faisaient feu de tout bois pour justifier leur rivalité). Des frères ennemis qui s’entre-déchirent de façon meurtrière, voilà donc comment on peut donc qualifier les actuels belligérants.

En outre, autre aspect déplorable de la situation, la grande majorité des combattants ont la même foi chrétienne – foi « orthodoxe » pour la plupart (si l’on excepte l’importante minorité gréco-catholique de l’ouest de l’Ukraine, préservée car longtemps sous l’autorité de l’Empire d’Autriche). Et ce conflit militaire a déjà eu des conséquences sur le plan religieux : dès la fin du mois de mai, l’Église orthodoxe qui dépendait jusqu’alors du patriarcat de Moscou, a rompu tout lien avec celui-ci. Cela n’a été une surprise pour personne : on verrait mal cet épiscopat d’Ukraine se mettre à dos les autorités et la majorité des habitants du pays, engagés dans ce qui apparaît bien, à première vue au moins, comme une lutte patriotique contre l’envahisseur…

Et cela ajoute encore un peu plus de confusion à la situation religieuse du pays ; on y trouve en effet, d’abord la petite mais vivace Église gréco-catholique (à l’ouest du pays, magnifiée par la persécution qu’elle a subi, plus que toute autre, à l’époque soviétique) ; il y a ensuite l’Église du patriarcat de Moscou déjà citée, mais aussi, ayant fait schisme d’avec elle en 1992 dans des conditions très conflictuelles suite à l’indépendance du pays,  l’« Église  orthodoxe  ukrainienne », qui a en partie fusionné en 2018 avec l’ « Église orthodoxe d’Ukraine », mise en place sur la demande du président Porochenko et reconnue par le patriarche de Constantinople Bartholomée (ces deux derniers personnages étant notoirement « pro-occidentaux » – et on est toujours un peu gêné de voir politique et religion interférer ;  cette confusion, qu’on trouve certes du côté russe chez le président Poutine et le patriarche Kirill, est loin d’être absente dans le camp adverse)… Et en octobre 2018, suite à ces dissensions, la communion a été rompue entre les deux plus prestigieux hiérarques orthodoxes : celui de Moscou et celui de Constantinople, mettant en situation pénible leurs ouailles du monde entier…

Une guerre qui aurait pu être évitée

D’autre part, on doit déplorer cette guerre car elle aurait pu ne pas avoir lieu.

Certes, le poids de l’histoire du XXe siècle est bien lourd dans ces contrées : on comprend le ressentiment et l’inquiétude que peuvent avoir tous les pays autrefois sous le joug soviétique, face aux autorités moscovites (d’autant qu’aujourd’hui, celles-ci sont plus réticentes qu’il y a 20 ans à condamner les crimes du stalinisme : le président Poutine a le souci de magnifier tout le passé de son pays, et pour cela cherche à imposer le silence à ceux qui exercent le « devoir de mémoire », comme on dit aujourd’hui, au sujet des victimes du Goulag). Et en Ukraine plus qu’ailleurs, la terreur stalinienne a laissé des souvenirs difficiles à effacer (avec en particulier la famine sciemment programmée par Staline pour assurer la collectivisation des campagnes d’Ukraine dans les années 1930 : 5 millions de morts au bas mot !). Néanmoins, vers l’an 2000, cela appartenait quand même au passé, et l’Ukraine n’apparaissait pas comme une nation ennemie de la Russie – cette dernière commençait à se relever de 70 ans de communisme et de 10 ans de gabegie des années Eltsine, et elle aurait pu, elle aurait dû être encouragée par le reste de l’Europe – on aurait pu voir alors naître une « Europe de l’Atlantique à  l’Oural », pour reprendre la formule-choc d’un personnage célèbre ; l’horizon géopolitique serait peut-être moins sombre aujourd’hui…

Au lieu de cela, que s’est-il produit ? – Tout le contraire. On ne peut alors que pointer du doigt le rôle trouble des États-Unis – ou, tout au moins, de certains de leurs dirigeants – qui sont intervenus peu discrètement pour humilier définitivement la Russie (« l’Empire du mal », comme disait en d’autres temps le président Reagan), et pour faire basculer l’Ukraine dans le camp occidental. Selon ces politiciens, il était entendu que la nation américaine est appelée à gouverner le monde et à y imposer ses idéaux de paix universelle (avec un peu de recul, le gens lucides sont maintenant très dubitatifs : contentons-nous d’évoquer la situation actuelle du Proche-Orient, suite aux opérations militaires lancées par les États-Unis depuis 30 ans). Et en Ukraine même, les révolutions de 2004 (« révolution orange ») et de 2014 (« révolution de Maïdan ») ont pu apparaître – à tort ou à raison, cela ne change pas pour ce qui est de ce qui en a résulté – comme fomentées de l’extérieur ; elles ont suscité l’inquiétude et parfois la révolte chez les populations russophones de l’est du pays. Ajoutons à cela le fait qu’en 2014, l’ukrainien est devenu seule langue officielle (ce qui est apparu comme une mesure vexatoire pour les nombreux russophones, mais aussi pour les minorités hongroise et roumaine). Les événements de 2014 ont abouti à la sécession d’une partie du Donbass russophone, d’où une véritable guerre, qu’on peut considérer comme les prémices de la guerre actuelle, et qui a entraîné de multiples vexations à l’encontre des populations russophones. Et on peut affirmer que la cause immédiate de la guerre actuelle a été le pilonnage massif du Donbass par les autorités ukrainiennes, début février 2022.

En restant au-dessus de la mêlée, on doit quand même reconnaître que l’État ukrainien semblait naturellement, à l’orée du XXIe siècle, appelé à jouer le rôle d’État-tampon, État neutre, entre l’immense Russie et l’Europe occidentale. Le bon sens invitait à ne pas titiller l’ours russe. Tout au contraire, les dirigeants de l’OTAN et les dirigeants étatsuniens du parti démocrate ont tout fait pour pousser leurs pions en pensant que le président Poutine les laisserait toujours faire.

Forces en présence et enjeux du conflit

Nous ne ferons pas d’analyse militaire et géopolitique détaillée, ce n’est pas notre rôle. On peut proposer à nos lecteurs intéressés une synthèse bienvenue et très judicieuse, celle qu’a prononcée le général (en retraite) Paitier aux dernières « Journées chouannes » (publiée dans Lectures françaises n° 685).

Contentons-nous de rappeler que dans cette guerre, comme dans tout conflit, tous les torts ne peuvent être d’un seul côté. Il nous semble alors que beaucoup tombent dans la démesure et dans l’irréalisme, en magnifiant totalement, selon le camp pour lequel leur cœur balance, la figure du président Poutine ou celle du président Zelensky. Gardons un peu de recul, et, si l’on veut être informé, sachons varier nos sources d’information. La propagande est une arme de guerre, il est donc normal que les forces en présence l’utilisent, et il est prudent d’en tenir compte pour ne pas tout « gober ».

Enfin, on doit reconnaître qu’il y a des enjeux dans ce conflit qui dépassent les questions militaires ou diplomatiques. Et quand on a des convictions chrétiennes fortes, on doit s’élever à un niveau un peu supérieur : celui des idéaux civilisationnels et des valeurs morales. Et c’est un fait que, malheureusement, les dirigeants des États-Unis et des démocraties occidentales défendent une vision du monde difficilement compatible avec la foi chrétienne ; une vision du monde où l’individu est dieu et maître, et où les idéaux révolutionnaires poussent toujours plus loin la révolte contre l’ordre naturel. Et ce n’est sans doute pas un hasard si c’est dans l’Ukraine occidentalisée que, depuis quelques années, cette révolte est la plus évidente : c’est en Ukraine que se sont fondées les harpies qui se dénomment les « femen » ; c’est aussi en Ukraine que se trouve les principales entreprises de « marchandisation » de l’enfant accessibles pour nos pays, avec la GPA (gestation pour autrui) qui y est devenue un « business » très juteux pour certains. Un chrétien peut difficilement se sentir solidaire de gens favorisant de tels idéaux. Et le président Poutine a beau jeu de dénoncer la décadence de l’Occident matérialiste et individualiste.

Le bon sens réclame que cette guerre malheureuse puisse s’achever de façon non humiliante pour l’une et l’autre partie. Ce qui veut dire, pour les belligérants, déposer les armes, et se faire des concessions mutuelles pour obtenir une paix véritable. Quelques dirigeants ou ex-dirigeants appellent à la négociation ; puissent-ils être entendus ! Et c’est pour nous, catholiques, une douleur que le St-Siège, autorité morale encore prestigieuse, ne puisse jouer ce rôle comme elle a pu le faire dans le passé : le pape François a longtemps fait l’effort louable de ne pas trop prendre parti (on se souvient qu’en mars, il a consacré la Russie et l’Ukraine au Cœur Immaculé de Marie), mais depuis l’exacerbation du conflit en septembre, il semble épouser beaucoup plus les positions occidentales.

Que conclure de tout cela, avec un regard catholique ? – D’abord, se dire que Dieu gouverne toutes choses et que, s’il a permis cette guerre, c’est pour que les hommes orgueilleux reprennent conscience de leur petitesse et de la vanité de leurs politiques bassement humaines et souvent mal inspirées. Ensuite ; prendre conscience que le message de Fatima, qui a dominé le XXe siècle en prédisant que la Russie répandrait ses erreurs, si le pape et les évêques ne la consacraient pas au Coeur Immaculé de Marie, – ce message reste d’actualité au XXIe siècle : les hommes d’Église, gangrenés par l’esprit conciliaire, apparaissent moins capables que jamais de tenir des discours et de faire des gestes forts pour que la grâce de Dieu puisse agir. L’universalisme, que seule l’Église catholique a vocation à incarner, est maintenant exercé par des pouvoirs maçonniques supra-nationaux… Dans ces conditions, la Russie – non encore convertie à la foi romaine, on doit bien le reconnaître – pourrait retrouver un « pouvoir de nuisance » dont on la croyait définitivement privée, suite à l’effondrement de l’U.R.S.S., il y a 30 ans. Il nous reste à demeurer lucide et à prier pour que tant de sang ne soit pas versé en vain et qu’à la fin le Cœur immaculé de Marie triomphe.

RP Damien-Marie

Source : La Simandre, novembre 2022

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