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Un petit conte 2.0 pas si éloigné de la réalité que nous vivons : « Matinée, Macronia 2023 »

Sommes-nous si éloignés que cela de ce monde transhumaniste ?

Ce matin-là, Lucas se leva en toute hâte. Le réveil collectif n’avait pas encore sonné et déjà les borborygmes de l’eau qui chauffe dans la cafetière trahissaient l’abandon du repos nocturne au profit d’une ébullition matinale. Toute son attention résidait dans l’olfaction béate de cette odeur d’orge grillée, succédané provisoire à la pénurie de café. L’an passé c’était la moutarde, juste après le coup du manque d’huile pensa-t-il.

Le sens de l’odorat battait son plein quand le cri strident de l’enceinte connectée murale mit brutalement fin à l’exercice de la réalité des fragrances. La synthétique voix suave lui rappela son programme. Ayant dit, Alexia se mua bientôt en véritable oracle sur l’état biologique de son protégé. Tous les matins c’était la même chose. La kyrielle de capteurs en tous genres placés dans les différentes parties du corps, connectés continuellement au serveur central, renseignaient la Providence Etatique, ainsi nommait-on le contrôle présidentiel, sur toute l’activité biologique des protégés.

Nombreux étaient les paramètres scrutés : bilan sanguin exhaustif, activité cérébrale, état psychique, densité osseuse, taux hormonal circulant, sans oublier la concentration en immunoglobulines spécifiques afférentes aux derniers variants viraux upgradés in vitro et mis en circulation urbaine par chemtrails via une armada de drones d’épandage.

L’ingénierie médicale soucieuse du bien-être de la population laborieuse claquemurait les agents pathogènes de ses protégés grâce à des nano-capsules intelligentes, dernière trouvaille du génie algorithmique de la Silicon Valley estampillée Pfizer. La concentration en Ig spécifiques, point de mire des capteurs biochimiques connectés, demeurait le cœur de cette nouvelle campagne sanitaire pour le bien-être des peuples. Une légère variation de cette constante et aussitôt les nanoparticules détenant l’ARN messager microencapsulé recevaient l’injonction opérative d’une libération dûment localisée. Tout demeurait sous contrôle et l’angoisse des maladies infectieuses prenait fin avec ce miracle de la technologie bienfaisante.

Le clac ! sec de la targette se fit entendre malgré le son voluptueux d’Alexia. Le vasistas domotisé, au même horaire chaque jour, s’entrebâillait automatiquement pour permettre le renouvellement de l’air. Par de là toute la ville, les carbets Providentiels ouvraient, comme un seul homme, leurs pertuis à l’air extérieur. Le flux chaud s’engouffra dans les locaux, chargé de l’odeur âcre des brûlantes fumées incendiaires d’alentours. Le feu d’un climat devenu fou dévorait les derniers pans de nature et le bistre régnait en maître sur le monde des couleurs. Aux suies des arbres calcinés s’entremêlait le panache phosphorescent et sulfitique des roquettes multiples M142 HIMARS. Le Earth Overshoot Day, point bascule où l’espèce humaine devenue folle pille plus de réserves que Gaïa peut en produire, venait déjà de poindre.

Tout virait à la consomption. Le ciel et l’horizon, noircis par la rage guerrière, se confondaient presque avec la nuit et le brouillard. Le pays était toujours en guerre. Nato, nouvel ange gardien d’une l’Europe débarrassée des valeurs chrétiennes, sécurisait à fort coût notre bonheur, au-delà de toute espérance. La victoire sur l’axe du mal, l’accès à l’énergie, au marché, des nations propres, sont à ce prix.

La tête de Lucas lui fit mal quelques secondes, puis l’acmé de l’aura passant, un vague bien être s’empara de tout son corps. La capsule journalière de protéines, vitaminée, glissa jusque dans sa piaule dans un bruissement discret par la chatière. La sensation de satiété inhérente à ce repas en granule calma ses douleurs alvines. Il en était presque toujours ainsi après que la fin de l’Abondance et son décret éponyme furent promulgués.

Aujourd’hui, il lui faudra sortir dehors cent quatre-vingts minutes pour accomplir sa mission citoyenne et son geste salvifique pour Mère Gaïa. Sans ce travail précis, il perdrait du crédit et verrait son rang d’exemplarité morale déclassé. Le mois précédent, il avait failli quelque peu à sa mission et son accès au revenu universel fut amputé d’une trentaine de pour cent. Il se le promettait sans cesse : faire mieux pour recouvrer l’intégralité de la manne. A cela, s’exacerbait la crainte sensible d’être remisé temporairement dans un galetas moins chauffé. Le gaz demeure le privilège des bons…

Il referma la porte derrière lui, mit sa cagoule connectée et suivit avec attention les consignes du plan numérisé. Il est doux et reposant d’obéir.

Il ne se déplaçait qu’à pied, l’Oncle Klaus, sage figure emblématique du Forum, avait enjoint que les protégés ne fissent point usage de véhicule ayant un moteur à énergie fossile. La pauvreté consentie, fût-ce au prix d’efforts colossaux, s’imposait partout. Pour le reste, la demande en électricité dépassait amplement la quantité produite. Linky, intelligemment, planifiait les temps de charge au prorata du classement social avec le peu de courant disponible sur le réseau, faute de charbon suffisant. Seuls les nomades de luxe usaient à l’envi des ampères encore produits.

Le masque filtrant cachait la partie du visage que le casque de réalité virtuelle laissait habituellement entrevoir. Courbé contre le vent cinglant, il réalisait calmement le premier exercice de méditation. Inspirer lentement l’air filtré par les mailles ointes de charbon actif. Expirer posément. Obtenir la paix intérieure. Faire le vide. Chasser, jusqu’à l’oubli définitif, jugements et concepts archaïques.

La voix du casque, presque éthérée, distillait d’une voix légère et harmonieuse les étapes d’un menu journalier. Ses accents colorés feutraient, telle une ouate cotonneuse, les grincements aigus des baraquements voisins en proie aux flammes. La supervision fictive transcendait la pénible réalité et le cauchemar visuel des vils objets palpables sembla un instant gommé par cet écran rivé aux yeux addictifs qui superposait une image positive sur la noirceur du vrai.

Qu’allait-on lui demander par le truchement d’Alexia ? Pourquoi se poser pareille question ? Le désir de savoir trop vite le disputait à l’aboulie si paisible d’une quiétude hébétée que les pastilles relarguaient scientifiquement dans les méandres de son psychisme fatigué. Enfin le message vocal, rehaussé d’une ordonnance textuelle holographique, s’imprima au plus profond de son âme.

– « Lucas, sois brave, sois fort aujourd’hui. Gaïa, le Forum, Emmanuel, ont besoin de toi ! ». La voix était si belle, si puissante, qu’une ivresse fugace le suspendit momentanément dans l’espace.

La charité tue, l’étape ultime de cette journée sera l’Altruisme.

Des images éparses, des souvenirs familiaux refirent surface. Une légère décharge électrique lui picota les tempes. Les conjonctives irritées, baignées de cette lumière bleuâtre roborative s’humidifièrent lentement. Il se prit à courir. Voilà que l’on militarisait son esprit.

Dès lors tout parut très clair en un rien de temps.

Il s’engagea sur le trottoir du boulevard Karl Marx. Sa démarche rapide lui donnait l’aspect d’un sicaire moderne flanqué de l’attirail technologique des puissants Gafam. Quelle fierté d’être augmenté. Il s’arrêta dans l’enfilade de la rue Peillon, voie qui abouche le grand boulevard du matérialisme athée aux pharmacies jacobines du Forum Davosien. Un i-vopo, armé d’un LBD dernier cri, arborant l’insigne du célèbre bataillon Lallement, lui scanna la peau du poignet gauche. Signal vert. Il le fit entrer dans la grande salle des narcotiques. Le rétroéclairage du masque l’emporta sur la vision extérieure. Etait-ce l’officine Attal-I ou Attil-A, il n’était pas sûr. Peu importe, le temps pressait…

Solve et Coagula.

On lui glissa une douchette scan dans la main gauche. Aussitôt la connexion fut opérationnelle. Le nom des individus qu’il croisait s’affichait sur l’écran des lunettes sans qu’il connût qui que ce fût. La vidéo surveillance de masse associée aux puissantes machines-learning de reconnaissance faciale dévoilait avec une célérité bluffante l’identité des protégés ainsi que celle des horribles zeks réfractaires au bonheur collectif. Le pointeur laser du scanner, couplé au réseau échelon de télésurveillance activera, incontinent, la vidange des nanocapsules de facteurs thrombotiques dans le tissu sanguin.

La sacralité de l’Homme, en voilà une vaste foutaise…

Il travailla sans relâche à cette guerre hybride hors limite, discriminant l’ivraie du bon grain, armé de toute sa hargne, à peine plus d’une heure. Le niveau des batteries s’amenuisant, il s’enquit tout à coup de la santé de Ranvé. Il appelait ainsi son chat. Unique compagnon de vie qu’on lui connût toutefois, également sujet de droit à part entière. Il avait hâte de le revoir. Hâte d’entendre son miaulement plaintif. Il lui donnerait bientôt sa part de lait accoutumée, juste fruit de sa collaboration au Plan. Moins de zeks, plus de lait. Le cajolerait tout en lissant son poil fauve aux ocelles moirées. Chemin faisant, une vague mélancolie assombrit son futur proche. Des images familiales revenaient à la surface des souvenirs épars. Ses parents, la maison d’enfance, sa sœur…

Un picotement temporal plus tard, le casque connecté diffusa derechef une musique au rythme envoutant. Il ne pensa plus. Il marchait, saturé d’un bonheur sonore qui remuait, au rythme des basses fréquences, ses entrailles quasi vides. Quand la musique est bonne plus besoin de penser.

Pour autant il n’en fut pas plus rasséréné qu’à l’ordinaire. Le palliatif musical perdait dans la durée de son pouvoir sédatif. L’accélération de son rythme cardiaque et la zone d’activité cérébrale en émoi donnèrent aux capteurs internes les informations nécessaires pour faire refluer le phénomène de la conscience. Les méandres de la psychologie demeuraient sans secret et transparents au système de contrôle. Il marcha vers sa tanière une quinzaine de minutes. Le flux savamment généré sous la barrière hémato-encéphalique eut vite raison des tourments. Le bonheur revint et des larmes grisâtres inondèrent ses pauvres yeux exténués.

La conscience de l’Homme n’est jamais qu’un flux d’énergie quantique modifiable à souhait.

Il ôta son masque connecté pour se frotter les orbites irritées. La vue des ruelles défoncées, sans lumière et recouvertes de cendres le mit au désespoir. Le ciel embourbé de particules fines ionisées laissait entrevoir vaguement le soleil. Les fréquences radio des sites HAARP annihilaient la formation des nuages à pluie. Tout était sale. Il était bientôt onze heures. L’éclat du jour n’était pas plus intense que celui d’une lune par temps clair.

Bien souvent le Forum l’avait confirmé. L’activité humaine augmente sensiblement les gaz à effet de serre en pillant nécessairement les ressources sacrées de Gaïa. Lucas en restait à la fois meurtri et convaincu. Les familles, les naissances, les enfants, leur nombre, sont autant de cancers. Ils détruisent Gaïa, inéluctablement. La pieux Malthus l’avait jadis prédit.

Le Forum, aujourd’hui au faîte de la connaissance anthropologique, mettait tout en œuvre pour pallier ces maux. L’individu éclairé par l’Éducation Nationale Bienveillante devait progressivement abandonner l’idée mortifère de Nature des choses, concept obscurantiste d’une philosophie réaliste éculée. Les êtres rendus aptes à la vie sociale ne l’étaient que dans la mesure où ils s’émancipaient du soi-disant genre qui les réduisait biologiquement. La subjectivité de l’intellect éclairé à l’aune du progrès et de la modernité voilà la mesure de toute chose ! Lucas le savait, il ne doutait plus. Le souvenir de sa jeune sœur ayant réalisé la transformation biologique de son identité refoulée peinait pourtant à s’effacer. Ne pouvant revenir sans compromettre son existence vitale sur les interventions chirurgicales qui l’avaient rendue jeune homme quelques temps, elle avait mis fin à ses jours dans la dignité sublime. Ses cendres, cet engrais spirituel, enrichissaient maintenant l’arbre du square Bergoglio. Lucas éprouvait une fierté mêlée de tristesse à la souvenance de ce geste courageux, héroïque, transcendent.

Il arriva au seuil de la maison collective. Le droit de possession ayant enfin cesser, la loi Wargon pacifiait depuis peu les angoisses de la copropriété et, partant, les joies du bonheur associatif. L’escalier central unique déroula ses degrés vers sa chambre. Gaïa, Emmanuel et le Forum devaient déjà savoir. Étaient-ils satisfaits ?

Ranvé reconnu son odeur à travers la grille de chatière. Il se mit à miauler d’excitation. Le bonheur des retrouvailles en famille mit du baume au cœur de la chambrée. Alexia, imperturbable, congratula Lucas pour son beau travail écocitoyen. Le lait fut versé dans la vieille écuelle de plastic, Ranvé frétillait, Lucas s’attendrit tandis que, dehors, dans les ruelles adjacentes au boulevard, les camions frigos de la Société Nationale d’Équarrissage débarrassaient la voirie des corps violacés et figés que sa douchette asservie au fichier source avait scannés. Un contingent d’inutiles, trop vieux, trop jeunes, improductifs, « ceux qui ne sont rien », revenait, grâce à lui, à la Terre presque stérile.

Olivier Nucor

MPI vous conseille, dans la même veine, « Pax Dystopia » de Nicolas d’ASSEIVA : Vers la fin des années 2050, au sein d’un monde froid et aseptisé, contrôlé par l’implacable « Coalition Démocratique Nouvelle », le médialiste québécois Loghan Fortier ne s’est jamais senti à sa place. Grand lecteur, rêvant du monde d’avant, il tombe un jour sur un ouvrage intitulé « Pax Dystopia ». Ecrit 40 ans plus tôt, paru en 2021, ce livre décrit en détail ce qu’il s’est passé et comment l’humanité a basculé.

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