« L’Orthodoxie n’est pas sortie de ses vieux démons »
Si de nombreux intérêts, souvent occultes, sous-tendent le conflit ukrainien, il en est un qui trouve toute sa place ici. Oui, ce conflit a aussi une dimension religieuse. L’éclairer quelque peu manifestera toutes les limites de l’Orthodoxie, et réclame même de revenir à son péché originel.
Rappelez-vous : en 330, Constantin quitte Rome pour fonder sa ville éponyme, en lieu et place de l’antique Byzance. Bien vite, l’évêque local, au prétexte du déménagement de la cour impériale, revendique une certaine autonomie religieuse d’avec Rome, voire une suprématie. L’argument est lourd de conséquence. Dans cette perspective, Rome n’est plus fondée sur Pierre, mais sur l’empereur : apparaît le spectre de l’Église nationale. Ces tensions entre l’Église byzantine et Rome iront grandissant à travers les siècles, pour aboutir au schisme de 1054, donnant naissance à l’Orthodoxie.
Un siècle plus tôt, le prince Vladimir, de la Rus’ de Kiev, rejeta le paganisme pour se faire baptiser en Crimée. On est à l’âge d’or de la Rus’ de Kiev, alors que Moscou n’existe pas encore. Religieusement rattachée à Constantinople, Kiev suit le schisme orthodoxe. L’invasion mongole au XIII° siècle entraîne la fin de Kiev. Tandis que des villes comme Smolensk et Moscou, née entretemps, s’accommodent des Mongols et prospèrent, la région de Kiev reste attachée à Constantinople, et son influence disparait. En 1686, le patriarche de Constantinople, sous joug ottoman, délègue à Moscou son pouvoir sur le métropolite de Kiev. Cette décision fut supportée par Kiev, jamais intégrée. Mais toute tentative d’indépendance religieuse fut impossible, les Russies tant tsariste que communiste n’autorisant pour seule Église que celle rattachée à Moscou, persécutant les autres, y compris orthodoxes. Le pli était donné dès Constantinople : si la religion a sa place dans l’État, elle ne l’a que sous le contrôle de l’État, et se doit donc d’être nationale.
La chute de l’URSS et l’indépendance politique de l’Ukraine relancèrent les revendications d’indépendance religieuse, soutenues par les USA. Outre les querelles nationales transposées au domaine religieux – Orthodoxie oblige – apparaît un autre point de divergence. En s’occidentalisant, les ukrainiens se laissent envahir par la décadence morale – le mouvement “femen” est né en Ukraine – tandis que l’Orthodoxie russe, sous l’influence du métropolite Cyril, dénonce toujours plus cette dépravation. Devenu patriarche de Moscou en 2007, ce même Cyril n’est pas étranger à la constitution russe de 2020 qui, entre autres, défend la conception traditionnelle de la famille et interdit toute promotion de l’homosexualité.
En décembre 2018, le patriarche de Constantinople, très occidentalisé, accorde l’autocéphalie aux orthodoxes d’Ukraine. Pour Moscou, c’est une déclaration de guerre : l’Ukraine représente 40 % du clergé de l’Orthodoxie russe, et un tiers de ses paroisses ! 20% d’entre eux restent néanmoins rattachés à Moscou, avec un nouveau métropolite nommé pour l’occasion. M. Poutine pensait arriver en libérateur de ces derniers, et s’appuyer sur eux dans sa guerre contre Kiev. Mais leur métropolite, suivi de quinze évêques, dénoncèrent cette agression pour soutenir leur pays. Cela leur vaudra quelques bombes russes sur leurs églises…
Après un millénaire, cette guerre indique que l’Orthodoxie n’est pas sortie de ses vieux démons. La séparation d’avec la Rome catholique ne se fit qu’au prix d’une soumission aux pouvoirs politiques. L’une des dernières illustrations en date (2020) est la volonté de M. Poutine de faire apposer une icône de Staline dans la nouvelle cathédrale orthodoxe russe des armées, à Moscou, sans que le Patriarche Cyril n’y trouve rien à redire. Seule la révolte du bas-clergé empêcha le projet. Cette nationalisation de la religion ne pouvait que provoquer un déchirement constant au sein des « communions » orthodoxes.
Et si la Russie était redevenue catholique, cette guerre aurait-elle eu lieu ?
Abbé P. de LA ROCQUE
Source : Lou Pescadou, FSSPX Nice-Cannes-Grasse
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