Cet article, traduit de l’américain avec l’aimable autorisation de l’auteur, Peter Korotaev, par Thierry Marignac, est tiré de la lettre d’informations paraissant sur la plateforme Substack (où publie Seymour Hersch) « Events in Ukraine ». Il suit et complète avec un regard ukrainien le document « La Guerre avant la guerre » de Thierry Marignac, paru en 2023 aux éditions Konfident, confirmant nombre des informations et hypothèses de cet ouvrage.
Les centres d’appel et d’arnaque : 1ère partie
24 JUIN 2024
C’est une bonne histoire. Une institution fondamentalement ukrainienne tient la place centrale — le centre d’appels. La semaine dernière, un incroyable scandale a éclaté dans la capitale de l’arnaque en Ukraine (ce n’est pas Kiev), impliquant un tristement célèbre ancien (ou pas si ancien) membre botoxé et stéroîdé du parti de Zelenski, son paramilitaire privé, un membre patriotique du régiment Kraken (affilié à Azov), pour le contrôle des revenus des centres d’appels et d’arnaque.
Mais tout d’abord, une petite introduction au travail de ceux-ci.
Investissements lucratifs
Je connais des tas de gens qui ont travaillé dans des centres d’appels. Ralph, un ami zimbabwéen dont j’ai déjà parlé, a bossé dans l’un d’entre eux. C’était un grand pas par rapport à l’usine de béton où il était avant — le comble là-bas, était survenu quand le patron avait fait subir un test HIV impromptu à lui et tous ses collègues africains.
Que se passe-t-il dans un centre d’appels ? Ralph y gagnait bien sa vie et son métier visait essentiellement les personnes âgées du premier monde — Canada, Australie, États-Unis. La quarantaine COVID était encore en vigueur (pas en Ukraine) et les riches occidentaux s’ennuyaient. Ils voyaient une publicité sur YouTube leur promettant de faire de gros profits dans des investissements boursiers. Ils cliquaient dessus et laissaient leur adresse électronique et leur numéro de téléphone.
Grosse erreur ! Ralph et ses collègues allaient les appeler tous les jours pendant des semaines et des mois, le temps qu’il faudrait pour les convaincre d’investir 50 dollars américains. S’ils changeaient de numéro — l’entreprise de Ralph les retrouvait quand même. Parfois, ils allaient jusqu’à fondre en larmes, et acceptaient de faire « l’investissement » pour qu’on cesse de les appeler. À ce moment-là, bien sûr, il était temps de proposer un investissement plus important…
La compagnie était enregistrée en France, et appelait à partir de numéros français, mais occupait plusieurs étages d’un immeuble de la capitale ukrainienne (l’officielle, pas celle du crime). À un étage se trouvaient des Africains et des Indiens parlant bien l’anglais, pour les pays anglophones. Il existait un autre étage avec des Africains francophones. Il s’agit d’un gros marché.
Ralph me disait qu’il se sentait parfois coupable, mais je lui ai répondu de ne pas s’en faire, ces parasites occidentaux et leurs gestionnaires de retraite engrangent des milliards en exploitant le Tiers-Monde. Il gagnait bien sa vie et en envoyait à sa mère et à son fils à Harare.
Gros paris
Ma petite amie aussi travaillait dans un centre d’appels, mais d’un genre différent. Trouver du travail en Ukraine n’est pas très facile. Elle avait de bons diplômes universitaires, mais son domaine exigeait d’elle des abîmes de cynisme, de népotisme et une capacité financière qu’elle ne possédait pas. Alors elle essaya les restaurants etc, mais voilà le hic, il se trouve que cela implique également un service de « traiteur », ce qui implique des services « d’escorte », et la question surgit : « Qu’êtes-vous prête à faire avec nos clients ? ».
Pour cette raison, travailler dans un centre d’appels est un moindre mal. Elle travaillait dans une des plus grosses firmes de paris en ligne d’Ukraine — encore un classique ukrainien, bien que comme les centres d’appels, ce soit en fait un classique d’Europe orientale. Tous mes élèves de lycées étaient obsédés par les paris en classe sur leur téléphone, et les adultes aussi. Le pari en ligne est devenu une telle catastrophe sur les lignes du front parmi les soldats, que même les médias occidentaux en ont parlé. C’est encore un gros marché, avec des publicités partout, des femmes succinctement vêtues portant des pancartes « Favbet » etc.
Elle travaillait des douze heures d’affilée, où elle était soumise à toutes sortes d’écart de langage par des grands-villageois déséquilibrés exigeant de recevoir leurs bonus de 0.04 $, parce qu’ils avaient perdu tout leur fric. Une fois, Elle reçut un appel d’un homme vivant à Kherson alors contrôlé par les Russes qui lui souhaitait un cancer de la gorge et un missile sur le centre d’appels.
Plus intéressant, le monde des paris sert au blanchiment d’argent. Ces compagnies de paris en ligne sont essentiellement des banques non enregistrées. D’énormes sommes d’argent passent à travers elles, et les clients y ouvrent des « comptes » pour abriter leur argent. Parfois ils ne s’en servent même pas pour parier mais comme d’un système bancaire alternatif.
AZOV
Dans mon prochain article, j’explorerai les liens entre Azov, les services de sécurité de l’État et les centres d’appels arnaqueurs. Mais pour l’instant, quelques informations de fond sur l’expérience criminelle du bataillon Azov.
Arsène Avakov, alias « Le Diable » est une figure essentielle de « l’État profond » qui dirigea le Ministère de l’Intérieur dans la période 2014-2021, célèbre pour son rôle dans les coulisses du Maïdan (et l’attentat des snipers qui fit de nombreuses victimes), de même que pour la création du bataillon néo-nazi Azov.
Azov a été formé aux jours féroces de l’Euromaïdan et de l’Antimaïdan de Kharkov, le noyau du bataillon était composé de nationalistes tels qu’Andreï Biletsky, qui avait travaillé des années comme gros-bras d’Avakov dans ses conflits avec d’autres oligarques de la ville. À ce sujet je recommande le livre de Michael Colborne, From the Fires of War : Ukraine’s Azov movement.
Pendant toute la période qui a suivi le Maïdan on pouvait avancer qu’Avakov figurait parmi les hommes les plus puissants du pays, sinon le plus puissant du pays. Il était au sommet de la vaste pyramide de paramilitaires d’extrême-droite, tous jusqu’au cou dans le sang et les activités criminelles. Parfois il arrêtait ou tuait quelqu’un jugé irrégulier — comme dans l’affaire du bataillon Tornado ou Sashko Bily — parce qu’il essayait d’avoir une boutique indépendante et ne crachait pas au bassinet.
En 2014, Avakov déclara qu’il allait fermer tous les casinos clandestins d’Ukraine. Cela ne se réalisa pas, mais il en ferma beaucoup. Selon de multiples rumeurs, c’était Avakov qui dirigeait le « toit » (крыша ou « krycha ») — le terme populaire pour désigner le racket — payez pour la protection ou sinon… Ce qui fut même confirmé par le gouvernement de Zelenski en 2019, lorsqu’Arakhmiya, chef du parti de Zelenski déclara qu’Avakov « était impliqué dans des tas d’affaires de corruption, y compris les jeux clandestins, que nous légaliserons ».
Juste après la démission d’Avakov en 2021, il semblait que le gouvernement de Zelenski faisait des progrès majeurs dans la lutte contre son empire nazi criminel. Ou, plus probablement, des progrès majeurs pour leur faire accepter le nouveau « toit » et punir ceux qui n’étaient pas d’accord.
En août de cette année-là, il y eut des arrestations de masse de membres d’Azov à Kharkov, la terre natale d’Avakov et d’Azov. Ils étaient tous membres du Corps National, le parti politique d’Azov et dirigé par Andrii Biletski, l’homme célèbre pour avoir promis en 2010 « d’entraîner les races blanches du monde dans une croisade finale…contre les Untermenschen dirigés par les Sémites ».
Selon les sources de Strana.ua du SBU le groupe jouissait d’une impunité légale jusqu’au départ d’Avakov. En dehors de la protection, ils collaboraient souvent avec la police dans des opérations violentes. Lorsque le SBU arrêta le groupe criminel dirigé par « Willy le glaçant » — Sergueï Velichko un leader du Corps National ancien membre des « Hooligans de Kharkov » — on annonça que le groupe comptait 50 membres et gagnait un million de grivnias par mois.
Ce groupe criminel pratiquait l’extorsion violente aussi sur les entreprises, en particulier les pompes funèbres (encore une activité populaire des criminels dans les « sauvages années 1990 »). Dans un des enregistrements rendus public par le SBU, un des membres d’Azov impliqués menace un homme d’affaires de « l’enterrer personnellement » s’il ne paie pas le racket.
Ces dialogues sont bourrés de jurons et de l’argot criminel visant les hommes d’affaires qu’on rackette, en lui-même une indication sur le genre de Purs Guerriers de la Race Blanche qui constituait les rangs d’Azov :
J’en ai marre d’attendre ici, on te retrouvera à une autre adresse, pédé, et on te fera t’asseoir sur une bouteille. On te retrouvera, Vasya, je te le dis…
Parce que si on ne menace pas de sodomiser quelqu’un avec une bouteille, ça n’est pas un dialogue d’extrême-droite ukrainienne !
Que je ne te revois plus jamais dans les parages, t’as compris ? Qu’est-ce que tu regardes, espèce d’animal. C’est tout, ça n’est plus à toi, rien. Il faut qu’on te tape dessus, là tout de suite. Tu crois qu’on connaît pas la bagnole que tu conduis, tes itinéraires ? Tu te crois immortel ? Si je te revois… Je t’enterre demain. Pense à ta famille, à ta santé. Tu trouveras plus de boulot. Valera, c’est nous qui faisons les règles dans cette ville, tu n’auras plus rien, tu comprends ?
Comme d’habitude, bien que le tribunal ait démontré que les Azov de Kharkov se livraient au racket depuis 2018, leur chef ne fut condamné qu’à 2 mois de prison.
Azov et ses affiliés étaient aussi impliqués dans un éventail très large d’activités criminelles. Ils menaient souvent des manifestations contre « la construction illégale » qui étaient payées par diverses entreprises du bâtiment pour bloquer les chantiers de leurs concurrents. Et j’ai traduit un long article sur la contrebande hyper-lucrative de marchandises à la frontière.
La contrebande et les activités qui lui sont connexes comme le racket de civils par la torture et la violence sexuelle avait rendu le bataillon Tornado tristement célèbre mais en réalité tous les bataillons d’extrême-droite s’y livraient, comme l’a révélé Human Rights Watch.
Je vous quitte sur le photo d’un intrigant personnage.
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