Personne ne peut encore dire avec certitude si la trêve proclamée en Syrie est durable ou non. Elle a certes passé le cap de la première semaine mais chacun sait qu’il suffirait de peu de choses pour que les combats reprennent ici  ou là.   

Mais là n’est pas le plus important; ce cessez le feu est l’occasion pour chaque camp de faire le point sur la situation qui, bien sûr, est loin d’être figée.

Il est certain que deux pays ont décidé que cette trêve aurait lieu : les Etats-Unis et la Russie. Pour une fois leurs motivations se recoupent, au moins partiellement. Ce sont elles les super-puissances,  et il s’agit de le montrer au monde. Cela paraît évident aujourd’hui mais que de chemin parcouru en quelques mois par la Russie !

L’année 2015 aura été la date charnière de ce point de vue. Poutine a en effet enchaîné les initiatives, toutes couronnées de succès : fin des combats en Ukraine, sans toutefois abandonner les séparatistes pro-russes, annexion de la Crimée (réintégration devrait-on dire) sans effusion de sang, et début de l’intervention en Syrie. Seule ombre au tableau : les sanctions internationales perdurent et gênent incontestablement l’économie russe. L’embargo décidée en retour sur les produits agricoles européens n’est pas sans effet non plus, en particulier sur les exportations françaises, accélérant ainsi la crise du monde agricole. Mais nos dirigeants, obsédés par leurs fantasmes anti-poutiniens, n’en ont cure, et la situation reste bloquée.

Chacun sa zone d’influence

Ce retour au premier plan de la Russie lui permet dorénavant de discuter d’égale à égale avec l’Amérique. Elle a donc pris la main sur le dossier syrien, laissant l’Irak aux Etats-Unis. Il y a moins d’un siècle, c ‘était la France qui faisait la loi en Syrie et l’Angleterre en Irak; ce que pensent aujourd’hui la France et l’Angleterre sur ces sujets n’intéressent évidemment plus personne…

Ce nouvel équilibre arrange au fond Obama qui, face à l’incurie européenne, ne voulait pas être le seul acteur de poids dans la région. De plus, les positions intransigeantes de la Turquie et de l’Arabie Saoudite, ses proches alliés, contre le régime syrien, le mettaient en porte à faux. Il est donc plus commode de laisser faire les Russes tout en les critiquant pour le principe.

La situation est différente en Irak : c’est l’Amérique qui est la cause du chaos et le monde entier le sait aujourd’hui. La prise de Bagdad par l’Etat Islamique, hypothèse tout à fait plausible  il y a quelques mois, relèverait de sa responsabilité directe. Obama le sait et ne peut donc se retirer du dossier irakien. De plus, l’Iran étend son influence sur son ancien ennemi et les Etats-Unis doivent veiller à la contenir pour ne pas fâcher davantage le royaume saoudien.

Pour toutes ces raisons, Poutine contrôle parfaitement la situation diplomatique en Syrie. De plus les opérations militaires se passent assez bien. Les bombardements, très efficaces, ont desserré l’étau autour de Lattaquié et Damas, et la reprise complète d’Alep peut être envisagée. Le régime est provisoirement sauvé, les milices islamistes affaiblies et Daech sur la défensive. La Turquie rumine sa haine mais ne peut rien pour l’instant, à part envoyer quelques obus sur les Kurdes.

La trêve permet maintenant à chacun de jauger ses forces, et peut-être de figer certaines positions dans l’optique, sans doute inévitable,  d’une future partition. Mais cela ne saurait concerner l’Etat Islamique dont il faudra bien un jour se débarrasser. Poutine le sait bien mais il sait aussi que l’armée syrienne n’y suffira pas. Une autre stratégie doit donc être élaborée. L’Europe n’y aura pas sa part, tant elle a été incapable de la moindre initiative utile. En réalité l’Europe n’a aucune existence diplomatique, le dossier syrien en est une illustration emblématique.

Mais après tout, cela vaut peut être mieux pour les derniers chrétiens d’Orient : Poutine a montré à plusieurs reprises qu’il savait être fidèle envers ses coreligionnaires, notamment lors des combats pour la reprise de Maloula. Laurent Fabius, lui, préférait le Front al Nosra (affilié à Al Quaïda) qui « faisait du bon boulot »…

Antoine de Lacoste

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