« Traditionis custodes » … ou « destructores » ?
La messe est le cœur de notre sainte religion. Renouvellement non sanglant du sacrifice de Notre Seigneur Jésus-Christ, elle irrigue la vie de tous les chrétiens en leur communiquant la grâce et l’Auteur même de la grâce.
Si, le dimanche matin au lever, certains catholiques ont parfois du mal à se convaincre de l’importance de la messe, l’intelligence angélique du démon en mesure toute la grandeur et l’efficacité. Il la combat depuis les premiers temps de l’Église et nous pouvons être sûrs qu’il n’y aura jamais de trêve dans ses attaques rageuses, de plus en plus violentes et destructrices.
Il y a cinq siècles notamment, Satan lançait les protestants à l’assaut de la citadelle de la messe. Luther et ses successeurs réussirent à priver une large part de la chrétienté des grâces du saint sacrifice, dont ils niaient la valeur propitiatoire. L’Église réagit en réaffirmant solennellement, au concile de Trente, la doctrine catholique de la messe et saint Pie V rétablit le rite de toujours, en le purifiant des abus qui s’étaient introduits au cours des siècles. Par la bulle Quo primum tempore, du 14 juillet 1570, il conféra à la messe traditionnelle une validité perpétuelle : « Nous concédons et accordons que ce même missel pourra être suivi en totalité dans la messe chantée ou lue, dans quelque église que ce soit, sans aucun scrupule de conscience et sans encourir aucune punition, condamnation ou censure, et qu’on pourra valablement l’utiliser librement et licitement, et cela à perpétuité. » Il défendit également d’altérer le rite de la messe, sous peine d’encourir « l’indignation de Dieu tout-puissant et de ses bienheureux apôtres Pierre et Paul. » On ne saurait être plus clair !
Une des premières conséquences de l’introduction des principes révolutionnaires dans l’Église, au Concile Vatican II, fut la transformation de la messe. Son principal artisan, Mgr Annibale Bugnini, déclarait en 1965 : « Nous devons dépouiller nos prières catholiques et la liturgie catholique de tout ce qui pourrait représenter l’ombre d’une pierre d’achoppement pour nos frères séparés, c’est-à-dire pour les protestants[1]. » Il invita six pasteurs à collaborer à la fabrication d’un nouveau rite qui pût être célébré indifféremment par les catholiques et les protestants.
Plusieurs prélats, dont Mgr Lefebvre, tentèrent d’alerter le pape en publiant une étude intitulée Bref examen critique du Novus Ordo Missae. Les cardinaux Bacci et Ottaviani, signataires de la lettre d’envoi de ce document, y déclaraient que le nouveau rite « [s’éloignait] de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la sainte messe définie au Concile de Trente[2]. » La nouvelle messe fut néanmoins imposée, de façon parfois cruelle[3], par Paul VI.
Malgré la persécution, Mgr Lefebvre persista dans sa résistance, avec la Fraternité Saint Pie X qu’il avait fondée pour sauver le sacerdoce catholique et la messe de toujours. Grâce à lui, beaucoup de catholiques prirent conscience de l’importance du combat contre les erreurs du dernier concile.
Dans une tentative de réabsorber cette opposition, la Congrégation pour le culte divin autorisa le 3 octobre 1984 les évêques diocésains à permettre l’usage du missel romain de 1962. Mais cette permission était conditionnée au fait que les prêtres et les fidèles qui la demanderaient n’aient « aucun lien avec ceux qui [mettaient] en doute la légitimité et la rectitude doctrinale du missel romain promulgué en 1970 par le Pontife romain Paul VI » : autorisation donc de célébrer l’ancienne messe, à condition d’accepter, au moins en principe, la nouvelle… qui se trouve en opposition avec la doctrine catholique définie au concile de Trente !
Après le scandale de la réunion inter-religieuse d’Assise — 26 octobre 1986 — Mgr Lefebvre, constatant l’état de grave nécessité étendu à toute l’Église, décida de sacrer quatre évêques, le 30 juin 1988, pour continuer le sacerdoce catholique. Il fut immédiatement condamné par le pape Jean-Paul II dont le motu proprio Ecclesia Dei adflicta institua une commission « dans le but de faciliter la pleine communion ecclésiale des prêtres, des séminaristes, des communautés religieuses ou des religieux individuels ayant eu jusqu’à présent des liens avec la Fraternité [Saint-Pie X] » et proposa aux évêques « une application large et généreuse » de l’indult de 1984. Il s’agissait encore de pousser la résistance catholique à l’acceptation du « caractère vivant de la Tradition », « authentiquement interprétée par le Magistère ecclésiastique, ordinaire et extraordinaire, spécialement dans les Conciles œcuméniques, depuis Nicée jusqu’à Vatican II ». Malgré ses contradictions flagrantes avec la doctrine catholique (songeons à l’œcuménisme, à la liberté religieuse et à la collégialité épiscopale), le Concile était présenté comme l’expression de la Tradition vivante de l’Église. Nous étions en plein modernisme et Rome espérait se servir des semi-réfractaires comme d’un fer de lance pour diviser la résistance des traditionalistes et les intégrer dans le panthéon de l’Église conciliaire ; ce qui ne manqua pas d’arriver dans de nombreux cas. Cependant, les œuvres de Tradition continuaient de croître et de se multiplier.
En avril 2005, le cardinal Ratzinger devint le pape Benoît XVI et sembla adopter une politique plus conciliante vis-à-vis des traditionalistes. Par le motu proprio Summorum pontificum (2007), il affirmait que la messe traditionnelle n’avait jamais été abrogée et que tout prêtre avait le droit de la célébrer, au moins en privé, sans autorisation. Toutefois il cherchait encore à concilier l’inconciliable en défendant la thèse de la continuité de la foi entre missel traditionnel et nouveau missel : « Le missel romain promulgué par Paul VI, écrivait-il, est l’expression ordinaire de la lex orandi de l’Église catholique de rite latin. Tandis que le missel romain promulgué par saint Pie V doit être considéré comme expression extraordinaire de la même lex orandi. » Grâce à ce motu proprio, plusieurs prêtres redécouvrirent la messe traditionnelle et, par elle, l’enseignement bimillénaire de l’Église, et prirent conscience de la crise profonde qu’elle traverse actuellement.
Cela ne pouvait échapper à l’œil du pape François qui, depuis son élection, mène une guerre sans merci contre les communautés traditionnelles. Par le motu proprio Traditionis custodes du 16 juillet dernier, il vient purement et simplement d’abroger Summorum pontificum et de restreindre la célébration de la messe de saint Pie V. Si son attitude ne se caractérise pas par la délicatesse, elle a du moins le mérite de la cohérence dans l’erreur. Il n’y a plus d’ambiguïté : la nouvelle messe est la messe du concile Vatican II qui exprime une nouvelle ecclésiologie et une nouvelle foi, en nette contradiction avec la messe traditionnelle, dont les modernistes ne peuvent supporter l’existence que provisoirement et dans un but démagogique.
Prions pour que cet oukase romain ouvre les yeux des prêtres et des fidèles qui croyaient pouvoir concilier l’attachement à la liturgie traditionnelle et la reconnaissance du concile Vatican II. Nous tous, catholiques, ne luttons pas seulement pour la messe traditionnelle mais pour la foi authentiquement catholique, la doctrine immuable, la morale et les sacrements de toujours, et donc contre les erreurs qui s’y opposent, fussent-elles propagées par les autorités. Que Notre-Dame du Rosaire, victorieuse à Lépante, soit notre « général » dans cette croisade pour l’honneur et le règne de son divin Fils.
Abbé Pierpaolo Maria PETRUCCI, curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet
Source : Le Chardonnet n° 370 d’octobre 2021
Notes de bas de page
[1] Osservatore Romano , 15 mars 1965
[2] Cardinaux Ottaviani et Bacci, lettre remise à Paul VI le 29 septembre 1969, accompagnée d’un Bref examen critique du nouvel ordo missae.
[3] À ce sujet, lire ou écouter le témoignage de Mgr Lefevre, lors d’une conférence à Annecy, le 27 septembre 1987 : « J’ai vu des prêtres pleurer »
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