Entretien avec Thierry Marignac, journaliste, écrivain et traducteur, spécialiste de l’Ukraine et de la Russie.
Comment analysez-vous les propos du président Macron ?
“Je ne sais pas s’il faut totalement les prendre au sérieux parce qu’il est quand même dans la droite ligne des néoconservateurs, c’est-à-dire qu’il se sert de la provocation comme système de gouvernance. Maintenant, en ce qui concerne la réalité sur le terrain, envoyer des troupes serait totalement délirant. Cela reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore. En écartant l’option nucléaire, que feront les Occidentaux avec les Ukrainiens ? Ils vont foncer sur le Donbass et la Crimée ?
Il se trouve qu’en Crimée, la population a toujours été pour une écrasante majorité pour le rattachement à la Russie. J’ai fréquenté la Crimée dix ans et je n’ai rencontré personne me disant le contraire. Au Donbass, les gens étaient plus indécis au départ, mais après dix ans de guerre dans ce territoire séparatiste, les antirusses ne sont plus là. Il ne reste que les prorusses.
Ça signifie entrer dans des zones hostiles, avec des combattants aguerris, ce qui nous emmènera dans une guerre de partisans en forme de bourbier. Car ce à quoi nous avons affaire là-bas, ce sont des haines ancestrales. C’est autre chose que des querelles de bobos de centre-ville.”
N’est-ce pas la seule solution pour l’Ukraine de retrouver ses frontières ?
“Ce n’est pas possible. Premièrement, parce que les Russes ont gagné sur le terrain. Deuxièmement, les gens en Crimée et au Donbass seraient terrorisés de réintégrer l’Ukraine et ne se laisseraient pas faire. Ça signifierait des combats acharnés et des massacres. Que feraient alors les Européens ? Participeraient-ils aux massacres de la population ou tenteraient-ils au contraire d’empêcher les Ukrainiens de les commettre, alors qu’ils sont en pleine soif de revanche ? Très peu probable. Faut-il alors tout raser et foncer sur Moscou ? Historiquement, ça ne s’est jamais bien passé pour ceux qui ont essayé.
Les mots de Macron, c’est ne pas du tout réfléchir à ce qu’il se passerait après.”
Vous dites que la Russie a déjà gagné la guerre. Pourquoi ?
“Parce qu’ils ont reconquis les territoires séparatistes et détruit l’armée ukrainienne.”
La guerre n’est-elle pas plutôt embourbée que gagnée par l’un ou par l’autre ?
“Mais la Russie, contrairement à ce qu’on dit, n’a aucune intention d’arriver à Brest ! Le simple fait de garder ce qu’elle a gagné est suffisant. Quant à arriver à Kiev, les Russes y ont pensé au départ avant de vite faire machine arrière quand ils ont compris que ce n’était pas possible.”
Une plus grande implication de l’Occident n’est-elle pas inéluctable si le conflit se dirige vers une défaite ukrainienne ?
“Inéluctable je n’en sais rien, j’espère que non. Mais c’est complètement irréaliste.”
Qu’est-ce que les Ukrainiens demandent aujourd’hui ?
“Mis à part quelques factions extrémistes dont un certain nombre sont aux postes de commande, je crois que les Ukrainiens aujourd’hui en ont surtout marre et qu’ils préféreraient négocier. Nous avons déjà envoyé énormément d’armes et de munitions pour le résultat qu’on connaît. Des troupes au sol de l’Occident ne feraient qu’un nouveau fracas et ouvriraient la porte du désastre.
Ils n’ont pas plus de chances que les Ukrainiens de gagner là-bas. Ils sont exactement sur le terrain où les Ukrainiens se sont cassé les dents, or eux connaissent le terrain.”
Source : La Manche libre, 9 mars 2024 (avec l’aimable autorisation de Thierry Marignac)
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