Depuis des années lecteur assidu du magazine gratuit Science Connection publié cinq fois par an par la Politique scientifique fédéralei, j’ai pour la première fois chiffonné et jeté au panier cette excellente publication, non qu’elle ait démérité mais à cause des propos ahurissants et inacceptables repris dans l’article du directeur général actuel du nouveau AfricaMuseumii Monsieur Guido Grysels dans le numéro 59 de janvier – février 2019.

Ce musée, monstrueuse mutation de l’anciennement dénommé Musée Colonial de Tervuren, vient de rouvrir après cinq ans de fermeture pour rénovation.

Ce qu’en dit l’article de Monsieur Grysels m’a amené à me poser la question du rôle d’un musée et plus spécifiquement d’un musée national. Je pourrais me contenter de dire que tout le monde sait qu’un musée sert à sauver un patrimoine, à l’étudier et à le faire connaître. Quand on va contre la pensée unique, il convient d’avantage de se justifier. J’ajouterai donc que ce rôle de sauvegarde du patrimoine ne saurait se concevoir que dans un but de sauvegarde du souvenir de notre passé, de notre héritage (qui dit patrimoine dit héritage) et donc de renforcement de la conscience de ce qui unit un peuple et définit son identité. A quoi bon cet exercice si l’objectif est de tuer le souveniriii , d’oublier son passé et de créer des citoyens sans traditions ni terre ni attaches ?

Tout ce que l’on peut voir dans les musées va dans le sens du rôle indiqué : accumulation d’objets liés à notre passé, conservation, étude de ce patrimoine et présentation de ce dernier dans les collections permanentes ou lors d’expositions temporaires sur un sujet ou une thématique donnée. Ces notions, bien sûr, sont prises au sens large : le passé peut aller de la préhistoire lointaine à il y a quelques jours ; le sujet peut couvrir tous les héritages religieux, artistiques, littéraires, techniques, scientifiques, industriels, artisanaux, héritages directs liés au lieu où nous sommes nés (dont le paganisme) ou venus d’ailleurs (philosophie grecque, organisation romaine, christianisme…) ou même plus indirectement les autres cultures croisées par nos ancêtres et nous-mêmes dans le cadre des voyages de découverte, de guerres, d’alliances ou de colonisation. Toutes les contributions, les témoignages, l’histoire et l’archéologie y contribuent.

Tous les musées ont des réserves, des salles d’exposition, des gardiens, une équipe scientifique, un conservateur. Les plus petits parfois consacrés à un peintre ou un écrivain local par exemple présentent aussi ces caractéristiques même si une seule personne cumule parfois le rôle de conservateur, de gardien et d’expert.

Le nouveau musée africain de Tervuren, qui présente toujours cette structure, assure t-il encore ce rôle ? Je vous laisse juger sur base de l’article cité au premier alinéa ci-dessus et disponible en ligne (voir note 1) :

L’article de Science Connection indique l’analyse faite dès 2001 à l’arrivée de M. Grysels à la direction du musée, les changements décidés, les idées et l’idéologie qui ont présidé à la refondation du musée dont l’exposition permanente datait des années cinquante et faisait parfois qualifier le musée de Tervuren de dernier musée colonial.

On y lit que si le passé colonial est observé avec un regard d’aujourd’hui une seule conclusion s’impose « … le colonialisme, en tant que système et mode de gouvernance, est immoral et … nous devons nous en distancier totalement. Aucun pays n’a le droit d’en soumettre un autre. … Ce discours, nous le tenons explicitement dans la nouvelle exposition. On ne peut que considérer le colonialisme comme un système non éthique. Ce système allait de pair avec une idéologie raciste et, surtout dans les premières années, de la violence… »

J’avoue ne pas voir dans ces affirmations rien de bien scientifique mais beaucoup d’idéologie et je doute que ce musée ait encore ce rôle de connaissance scientifique et historique d’un passé à resituer dans son époque et les idées d’alors pour une compréhension juste.

J’aimerais déjà attirer l’attention du lecteur sur l’usage du terme colonialisme terme péjoratif adopté par la propagande communiste dès les années 40 au lieu de colonisation à connotation plus positive. Le caractère de propagande idéologique des choix opérés, très mondialiste et sorosienneiv , oserais-je dire, apparaît clairement dans la suite de l’article de Science Connection qui indique les nouveaux objectifs du musée.

On y retrouve le projet du nouveau musée sous les libellés suivants :

Concernant l’objectif de sensibilisation : « … sensibilisation, s’inscrivant dans une perspective d’Éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire (ECMS)…. valoriser la diversité culturelle et naturelle, en vue de la promotion du développement durable. »

Concernant les moyens : « … formation des (futurs) enseignants et animateurs socioculturels etc …nécessité de redéfinir les objectifs de la mission éducative du musée et donc les contenus des activités de sensibilisation. … Les activités sont adaptées aux besoins et profils des différents publics cibles (souligné par moi), notamment les élèves et (futurs) enseignants, les jeunes extrascolaires et les familles. »

Concernant son rôle : « … L’AfricaMuseum attache une importance primordiale à son rôle sociétal et entend contribuer significativement à un monde inclusif, solidaire, équitable et durable. »

La lecture de l’article dans son ensemble est encore plus éclairante, je vous rappelle que cet article est disponible en ligne et vous en conseille vivement sa lecture et vous laisserai conclure. En ce qui me concerne, je trouve que les citations ci-dessus font penser à la définition d’une campagne de propagande plus qu’à un musée.

Cependant, mis à part ces aspects idéologiques retenus sous motif de modernisation alors qu’ils sont surannés et tirés de la propagande soviétique des années 40-50 destinée à déstabiliser les colonies et à les remplacer par des républiques populaires soumises à Moscou, les articles relatifs au Musée de Tervuren dans ce 59e Science Connection ne sont pas inintéressants (il en est quatre dont aussi : Une nouvelle architecture pour un nouveau musée, L’art contemporain à l’AfricaMuseum, La nouvelle exposition permanente ; leur lecture devrait vous confirmer dans vos conclusions.

Pour ma part je dirais qu’après n’avoir plus pu aller visiter ce musée pendant 5 ans pour raison de rénovation, après celle-ci il ne faut plus y aller aujourd’hui.

Beaucoup d’entre nous ont eu, dans leur famille ou parmi leurs amis, d’anciens colons ayant vécu et travaillé au Congo belge et si vous allez quand même, un de ces jours, visiter le musée (où la statue de Léopold II a été enlevée, m’a-t-on affirmé), comparez leurs souvenirs avec les commentaires affichés au musée et sa thématique, jugez de leur pertinence. N’oubliez pas qu’aux hommes libres, juger d’une réalité est un devoir, que seuls les esclaves n’en ont pas le droit et que les hommes encore libres, sans jugeote, sont des esclaves potentiels de la propagande.

Il serait également salutaire de lire préalablement le livre de Kakou Ernest Tigori « L’Afrique à désintoxiquer – Sortir l’Europe de la repentance et l’Afrique de l’infantilismev». L’auteur originaire de Côte d’Ivoire, prix Mandela 2017, porte un regard africain bien intéressant et éclairant sur l’Afrique qui ferait trépigner de dépit les responsables de la mutation du musée et constituera pour vous un excellent antidote à la potion empoisonnée que le nouveau musée de Tervuren se propose de vous faire avaler.

*******

ii J’avoue abhorrer ces dénominations incultes et linguistiquement asexuées comme celles de Belvue pour le musée situé dans l’ancienne maison de la famille Bellevue ou pire encore le nom de Bozar pour le Palais des Beaux Arts, heureusement créé par un francophone autrement on aurait eu droit à ShoKu (prononcer chaud Q) pour Schone Kunsten (excusez ce mouvement d’humeur de l’auteur de l’article).

iii Souvenir est à préférer à mémoire : la mémoire est la capacité à retenir quelque chose qu’on a appris – ou que l’on vous a appris – alors que le souvenir est ce qui reste d’un vécu.

iv Voir Renaissance Européenne numéro 118 de janvier-février-mars 2019 article Désigner l’ennemi.

v Paru chez Dualpha en 2018, ISBN 9782353744091, www.francephi.com .

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