De plus en plus de voix scientifiques s’élèvent contre l’actuel confinement strict et tirent la sonnette d’alarme en fournissant des analyses pertinentes les conséquences néfastes tant pour la santé que le psychisme des « confinés ». Ces médecins, chercheurs, biologistes ne craignent pas de proposer d’autres moyens, plus ciblés et personnalisés, et responsabilisant chaque adulte.

Le site La Recherche a fait paraître le 22 avril dernier, une tribune écrite conjointement par le médecin Jean-François Toussaint, et Andy Marc, chercheur en biostatistiques qui préconisent « un confinement personnalisé » et dénoncent un confinement qui tente de sauver des vies par des moyens qui en auront peut-être autant détruit :

« Les simulations épidémiologiques qui ont poussé les gouvernements à prendre des décisions de confinement strictes n’ont pas inclus dans leur modèle les dégâts collatéraux de perte de chance pour la population confinée. S’y ajoutent les conséquences néfastes pour la recherche ou le climat. Un paradoxe de tenter de sauver des vies par des moyens qui en auront peut-être autant détruit, analysent le médecin Jean-François Toussaint, et Andy Marc, chercheur en biostatistiques. Un confinement personnalisé leur semble une approche mieux adaptée à la situation.

Le système de soin français montre admirablement chaque jour sa capacité à aligner ses escadres face à la tempête, à réorganiser ses unités pour passer l’œil du cyclone et, par la maîtrise de ses équipes de réanimation, sauver le maximum de ceux qui se présentent éreintés à ses portes. Aucun de ses membres n’en sort indemne. Plusieurs ne s’en sont pas relevés. Que leur soit ici rendu l’hommage que tous méritent.

Les mesures prises pour freiner les conséquences de l’épidémie sur les systèmes de santé ont été suggérées par un groupe d’épidémiologistes britanniques de l’Imperial College de Londres. Tournant le dos à l’adaptation et à l’inventivité différenciées, gages de résilience du vivant, ce groupe a conseillé une réponse uniforme à la plupart des gouvernements, sur la base de modèles mathématiques de prévention des pandémies.

Une décision fondée sur la simulation ou sur la vie réelle ?

La première estimation des effets de ce confinement, unique dans l’histoire de l’humanité à cette échelle, vient d’être publiée pour l’Europe. On attend les publications suivantes, pour le continent africain notamment. Selon ces simulations, les mesures auraient contribué à « épargner » 2500 vies en France soit environ le dixième d’une vague qui risque d’en emporter de 25 à 35 000.

Or certains postulats de ces estimations numériques sont incohérents : les contaminations ne diminuent pas dès le premier jour du confinement (ceci ne s’est vu dans aucun pays) et l’intensité comme la durée de l’effet ne sont jamais les mêmes partout. Ces deux hypothèses sont pourtant à la base des simulations publiées.

Ces simulations, qui ne prennent pas compte des limites en vie réelle, annonçaient aussi un total de 70000 morts pour la Suède et de 500 000 décès pour le Royaume Uni. Or, parvenu à sa onzième semaine d’épidémie le 20 avril 2020, le premier voit son total de mortalité s’élever à 1580 et le second, qui vient de franchir le pic épidémique, déplore 16 509 décès. Les écarts des prédictions avec les données réelles sont donc considérables et c’est pourtant sur ce type d’erreur qu’a reposé la décision de confiner la moitié de l’humanité. Ce risque justifie, a posteriori, le choix prudent de la Suède qui maintient, elle aussi, son système hospitalier à flot sans effondrer son économie pour autant.

Il faut donc se reporter à la répartition réelle, maintenant connue, de la mortalité du Covid -19 pour comprendre la nature de ces vies numériquement « épargnées ». Dans le récent registre français on retrouve une distribution similaire à celle des patients décédés en Chine ou en Italie, avec un âge moyen proche de 80 ans (un sur six a plus de 90 ans) avec un taux extrêmement faible (0,1%) pour les sujets de moins de 45 ans sans facteur de risque.

Les cibles du SARS-CoV-2 sont souvent des patients à risque métabolique ou cardio-vasculaire (homme, sédentaire, obèse, diabétique ou hypertendu), ce qui explique les ravages actuels aux États-Unis.

Vers un confinement ciblé ?

La maladie peut être vécue sans grand symptôme chez quatre personnes sur cinq mais elle tourne à un combat acharné de 3 semaines pour le cinquième. L’objectif d’une mesure de prévention efficace est alors de proportionner le confinement à ceux qui ne peuvent supporter cette épreuve : personnes de plus de 65 ans, malades cardiaques et vasculaires, insuffisants respiratoires ou rénaux, transplantés, personnes obèses, etc. Ces risques particuliers étaient d’ailleurs déjà présents en 2009 lors de la pandémie H1N1 sans que nous ayons en quoi que ce soit modulé nos conseils de prévention.

Sans immobiliser 80% de la population active et surtout pas ceux qui en sortent guéris et immunisés après deux semaines – et contribuent, avec les jeunes et les plus actifs, à éteindre l’épidémie en réduisant la taille de la population cible – on peut alors diriger la prévention vers les seules personnes à haut risque, incluant des mesures spécifiques pour les soignants, tandis que l’épidémie ralentit, comme elle l’a fait en Chine et en Corée, puis cesse comme en Australie.

Transmettre et expliquer cette information maintenant connue de tous, pour que chacun d’entre nous comprenne son risque, l’évalue et décide en conséquence de se confiner ou pas est le meilleur gage de réussite. Il permet aussi de considérer les citoyens français pour ceux qu’ils sont : des adultes responsables en capacité de voter et d’agir.

Car l’épidémie n’a peut-être été ni différente ni mieux contenue en Europe que dans les états n’ayant pas eu recours à ces mesures. La pandémie est en effet tout sauf confinée : elle concerne maintenant tous les pays, toutes les régions et tous les cabinets médicaux (on estime à plusieurs millions le nombre de françaises et français ayant été en contact avec le virus). Alors que la France a passé le sommet de la vague entre le 2 avril (contaminations) et le 10 avril (valeur maximale du nombre de décès), l’issue finale pourrait donc ne pas même avoir été modifiée : aucune courbe nationale ne montre d’inflexion différenciée mais un parcours le plus souvent semblable, quelles qu’aient été les décisions prises (seul le masquage des contaminations initiales apparaît dans certains pays, pour des raisons de politique locale).

Figure 1
Figure 1. En France, le sommet de la courbe des nouvelles contaminations au pas de temps quotidien apparaît entre le 2 et le 4 avril et le maximum de la courbe des décès entre le 6 et le 10 avril 2020. © Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport

Les pays qui n’ont pas adopté la voie du confinement généralisé montrent une évolution épidémique similaire : les Pays-Bas ont en effet amorcé une décrue le 7 avril, la Suède franchit à son tour le sommet de la vague, tandis que l’Allemagne l’a passé depuis 8 jours. Pour ces trois pays, le taux de mortalité au jour du pic est de 100 par million d’habitants comme pour les autres pays européens. Ce taux est de 177 pour les trois principaux pays confinés (France, Espagne, Italie).

L’Allemagne, qui n’a pas confiné toute sa population, considère, par la voix de son président Frank-Walter Steinmeier, ne « pas être en guerre » (aucune guerre ne laisse d’ailleurs survivre 99,4% de ses soldats) mais dans un moment « révélant notre degré d’humanité ». Il est vrai que ce pays disposait avant la pandémie de plus de 20 000 lits de réanimation  – contre 5 000 en France (étendu en urgence à 12 000 au cœur de la tempête). Il a pu affronter la vague avec d’autant plus de sérénité et pense donc déjà, comme le Danemark, l’Autriche et l’Espagne, aux étapes de son très prochain déconfinement.

La phase d’extension de la maladie dépend aussi de facteurs environnementaux et de de population qui n’ont pas été pris en compte dans les modèles. Des cas sont bien rencontrés mais l’épidémie n’accélère pas sur le continent africain. L’expansion lente y suit un régime exponentiel avec toutefois des pentes beaucoup plus faibles qu’en Europe, sans doute pour des raisons climatiques, immunitaires et démographiques.

Figure 2
Figure 2. L’évolution du nombre de décès sur le continent Africain suit, dès le début de l’épidémie, une courbe exponentielle très inférieure à la courbe européenne : au bout de quatre semaines, les valeurs logarithmiques correspondaient à 5260 morts en Europe contre 456 en Afrique (Total actualisé au 21/4/20 : 1189 décès en Afrique, 103 770 en Europe ; une proportion de 1 à 100). Même si l’on peut contester l’exactitude du nombre de décès déclarés, on ne peut expliquer les deux ordres de grandeur qui sépare ces chiffres : il s’agit bien du même virome mais sa dynamique est très ralentie non pas par les mesures de confinement mais en raison d’un environnement physique, biologique et humain très différent et défavorable à la transmission du SARS-CoV-2. © Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport

Le risque à ne pas tenir compte de cette réalité, est de détourner les scientifiques et les financeurs de l’objectif principal car ce continent a plus que jamais besoin d’un soutien massif et constant dans sa lutte contre d’autres prédateurs, à commencer par le paludisme, la tuberculose et le sida. Or ce soutien est d’autant moins assuré que le cadre financier de ses donateurs s’écroule. Rappelons à ce titre que, de décembre 2019 à juin 2020, environ 30 millions de personnes seront décédées pour d’autres raisons dans le monde, dont la moitié de causes infectieuses liées à d’autres maladies que le Covid-19.

Enfin le confinement, appliqué parfois de façon outrancière dans de nombreux autres pays du monde, aura aussi servi au renforcement des régimes autocratiques, jusqu’au cœur de l’Europe. Et, malheureusement, ce mode de fonctionnement des sociétés humaines prolifère durant leurs effondrements.

Synchronisations délétères

Pour être utile à la décision publique et proportionner la réponse, les modélisations pertinentes doivent désormais prendre en compte les émergences et les interactions entre tous les niveaux (individus, populations, organisations inter-étatiques) incluant le risque de synchronisation inappropriée (paniques, confinements, affrontement, effondrement). Car c’est principalement de ce côté que va maintenant croître le décompte des victimes.

Les centaines de milliards d’euros envolés avec la chute d’une économie, qu’on savait pourtant d’une extrême fragilité, interrompront le flux des financements nécessaires aux équipements des hôpitaux et des autres services publics. Or les équipes de réanimation, de soins et leurs administrations, qui ont contribué à sauver des vies bien réelles méritent toute notre admiration pour l’engagement qui fut le leur mais elles vont maintenant avoir besoin de moyens pour toutes les autres.

Il faudra, après le confinement, également prendre en compte son impact sur les patients souffrant d’une leucémie non diagnostiquée, d’un infarctus pris en charge trop tardivement, d’une drépanocytose mal suivie, parmi toutes les pathologies qui manquent à l’appel. Les mesures à n’importe quel prix ont un coût. Il est élevé. Et, si tout cela n’a servi qu’à réduire de dix pour cent la hauteur de la vague, il faudra oser rapporter ces totaux ahurissants au nombre d’années de vies réellement gagnées pour obtenir une évaluation sincère de nos choix.

D’autant que les effets psychologiques (refus de tout déplacement par peur de la contamination) ou contre-productifs (réduction ou arrêt des consultations) de ces mesures devront se confronter aux choix des Néerlandais et des Suédois qui continuent de vaquer, prudemment certes mais librement, à leurs occupations. La perte de chance risque d’être lourde.

Les auteurs de ces simulations, tout à la charge de démontrer la qualité de leurs modèles, auront toutes les peines du monde à accepter d’inclure ces dégâts collatéraux auxquels s’ajouteront les conséquences sur la recherche, l’annulation des grands rendez-vous scientifiques, culturels ou climatiques, mais aussi l’abattement des personnes seules qui se seront laissées glisser lentement dans l’abandon.

Paradoxe que de tenter de sauver des vies par des moyens qui en auront peut-être tout autant détruit.

Jean-François Toussaint, université de Paris, médecin à Hôtel-Dieu, AP-HP, directeur de l’IRMES, ancien président des États Généraux de la Prévention  et Andy Marc, chercheur en biostatistiques, IRMES »

Francesca de Villasmundo

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