Et vous renouvellerez la face de la terre.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

Très Révérend Père, bien chers Pères et Frères, bien chers fidèles,

Permettez que je vous reparle du paysan d’Ars. En effet, en cette fête de la Pentecôte, il aidera à mieux comprendre la double mission du Saint-Esprit. Mais permettez aussi que j’y fasse une petite correction à ce que l’on vous dit habituellement. Lorsque ce bon paysan passait des heures devant le tabernacle et qu’un jour le saint curé d’Ars lui en demande l’explication, il répondra ceci : « Je l’aveuse et Il m’aveuse ». U simple changement de voyelle, mais qui donne à l’expression locale son véritable sens. Cette expression locale, c’est celle qu’utilisaient les paysans, peut-être plus particulièrement quand ils allaient au marché à bestiaux. Aveuser une vache c’est la regarder avec attention, dans le détail, peut-être déjà avec intérêt, dans un but précis d’entrer en sa possession. Et c’est donc ce paysan qui va prononcer ces paroles devant le saint curé d’Ars pour caractériser ses échanges avec Notre Seigneur au tabernacle. Et par là il y découvre la mission de la troisième Personne de la Sainte Trinité, de l’Amour du Père et du Fils. Cette mission, cette double mission, pour, dans, à travers l’univers visible de la création, nous faire entendre le mystère de l’amour du Père. D’abord, à travers la création, pouvoir remonter à l’amour du Père. Et pour, dans, à travers l’univers visible de la rédemption, nous faire entrevoir le mystère de l’amour du Verbe incarné. Autrement dit, cette double mission consiste à nous unir à l’amour du Père et du Fils par la réalité qui nous entoure, et même qui est en nous, cette réalité naturelle et aussi cette réalité surnaturelle.

Ainsi, le paysan d’Ars est grand ; selon le plan du bon Dieu, il vit de toute la réalité : il a les pieds sur terre, même si sans doute celui-là est déjà à la retraite. (Mais un paysan n’est jamais vraiment à la retraite de fait), il a les pieds sur terre et en même temps, il a la tête, le cœur dans le ciel de la grâce, dans le ciel de la présence eucharistique. Mais nous insisterons peut-être un peu plus en ce jour solennel, sur la première partie de cette mission, de ce rôle du Saint-Esprit qui pourrait être exprimé par deux mots qui précisément montrent ce qui manque plus que jamais aujourd’hui.

Ayant perdu l’esprit, l’homme moderne est atteint de folie. Et ces deux mots et la réalité qui lui manque, c’est le bon sens. C’est pour nous y ramener, si on n’y est pas déjà, que le Saint-Esprit est envoyé par le Père et le Fils pour renouveler  la face de la terre. Donnons la situation de notre monde. Certes le monde, les hommes ont besoin de prière, de se retourner vers le bon Dieu, vers le surnaturel, mais avant même cela, il y a comme un autre retour à effectuer. Marcel de Corte en disait ceci : « En ce monde étrange où nous sommes, dire que le blanc est blanc et le noir noir, est une audace qui se paye parfois d’une balle dans la nuque, et presque toujours d’un silence hostile de l’opinion publique et des intellectuels qui la gouvernent ». Quiconque profère une affirmation aussi catégorique, le blanc c’est du blanc, le noir c’est du noir, est considéré comme un faible d’esprit. Pire encore, comme un personnage antédiluvien rigoureusement inadapté à son époque. C’est comme dire plus simplement que l’homme contemporain en aveusant une vache, peut se dire sans sourciller que c’est un taureau. Le destin de l’homme est donc aujourd’hui menacé, menacé d’un pôle à l’autre. Parce que l’élément essentiel qui le constitue animal raisonnable vient à lui manquer. Sa nature est atteinte. Cet élément essentiel, c’est le bon sens, mes bien chers fidèles. Ce bon sens doit l’orienter vers son but, par la création, par la réalité qui l’entoure, sans qu’elle le détourne du but final qui est le ciel. Comment mieux vous expliquer ce que le bon sens est qu’en vous disant que c’est en quelque sorte le propre du paysan qui appelle blanquette sa vache, une vache et non pas une chèvre. C’est une sorte de santé mentale et pas seulement mentale puisque c’est une santé qui touche tout notre être humain. Pour la conserver et même la développer il faut aller à la réalité. Il faut aller à la réalité de ce qui nous entoure et à la réalité de notre nature humaine, de ce que nous sommes. Nous ne sommes pas des anges, nous ne sommes pas non plus des bêtes et cela ; et aussi aller à la réalité de ce qu’est toute la création que le bon Dieu nous offre autour de nous. Le bon sens est donc l’intelligence directe, saine et droite de l’orientation qu’il nous faut suivre pour être un homme. Qu’est-ce que je dois être pour être un homme, eh bien je dois suivre cette lumière que le bon Dieu me donne sur ma destinée. La destinée passe par la réalité naturelle pour atteindre les réalités surnaturelles et enfin le ciel. Selon que le Père nous créa, selon que le Fils nous racheta.

Voilà que le bon sens est comme le démarrage de cette marche vers notre éternité bienheureuse. Son importance à ce bon sens, Bossuet la signifiait ainsi : « il est ce bon sens le maître de la vie de l’homme. Sans lui notre vie prend des chemins tortueux ». Sans lui, notre vie se perd dans ces constructions de l’esprit qu’on nomme aujourd’hui des théories dont on est plus que jamais friand. Chacun a sa théorie. Chacun développe sa théorie, chacun avance ses hypothèses qui deviennent vite des thèses. Alors que par le bon sens, par cette puissance illuminatrice, on va simplement jusqu’à l’évidence des choses. C’est ce qu’aujourd’hui, malheureusement, on a de plus en plus de peine à faire. Et ne nous disons pas que cela touche seulement nos pauvres contemporains ; malheureusement, cette atmosphère nous fait perdre aussi peut-être un peu ce bon sens. Parce qu’on doit suivre le fonctionnement de ceux qui nous entourent, plus ou moins, les lois, etc., certes il y a trois siècles, il eût été sans doute inutile d’en parler de ce bon sens. C’eut été comme enfoncer des portes ouvertes.

Mais aujourd’hui, après tout ce temps de révolution, de révolte contre Dieu, contre le Créateur, l’homme a perdu littéralement l’Esprit divin. Et donc il a perdu ce bon sens. Il a perdu cette intelligence qui le rattache à la nature des choses, à la réalité. Alors que notre vie doit être dirigée d’abord et avant tout par ce bon sens, tout son être au bon sens ; c’est d’être avec l’être, avec la réalité comme avec un ami. Aujourd’hui, on enseigne à nos contemporains à fuir cette réalité précisément, comme un ennemi : « enfuyez-vous de ce que vous savez bien, vous connaissez bien ». Cette fuite de la réalité a commencé avec le rationalisme. Lorsque cette raison a été comme divinisée par la révolution et cette raison qui se tourne vers l’irréalité et confond l’être des choses avec ses illusions, avec ce qu’elle construit dans sa tête. C’est dramatique. Et on comprend pourquoi Montesquieu disait « j’aime à causer avec les paysans parce qu’ils ne sont pas assez savants pour être bêtes ». Oui, aujourd’hui on se croit très, très, très intelligent, beaucoup plus que dans ces siècles de Moyen-Âge et d’obscurantisme.

Redevenir un peu paysan, retrouver le bon sens. Oui, où en sommes-nous ? Tous, de fait, ne sont pas également pourvus de bon sens. C’est la nature, et donc le bon Dieu, notre Créateur, qui le permet ainsi. Mais aujourd’hui, il y a plus grave que cette inégalité naturelle. Il y a perte, c’est-à-dire il y a aliénation, il y a maladie mentale. Pourquoi ? Parce que l’homme veut être autre chose qu’une nature humaine incarnée. Il se prend pour rien moins que le bon Dieu. Vous reconnaissez là la tentation originelle, n’est-ce pas qui recommence de fait, l’histoire, c’est simplement le recommencement de cette tentation. Et aujourd’hui, cette tentation réussit plus que jamais. Il se prend pour Dieu cet homme. Libre de tout, prétendant être le juge de tout. Sans limites, sans contrainte. Et il tombe ainsi dans la démesure. Comme la grenouille, la grenouille de la fable, n’est-ce pas les enfants qui voulait devenir un bœuf. Eh bien non, ça ne peut pas réussir. Elle ne peut qu’éclater. Et le progrès technologique ne fait qu’accentuer cette maladie de l’esprit. Cette maladie du bon sens, parce que plus l’homme domine la nature, pense dominer la nature, plus il risque de perdre le bon sens parce qu’il a perdu le but de sa vie. Il prend son progrès pour le but de sa vie, il résume toute sa vie à ses progrès technologiques, à son enrichissement aux réalités d’ici-bas, alors que ces réalités devaient nous conduire selon le plan du bon Dieu, à notre éternité.

Alors, peut-on guérir ? Mes bien chers fidèles. Peut-on guérir de cette situation ? Y a-t-il encore espérance ? Bien entendu. Notre espérance est tout en cela : le regard que posait Jésus sur les lys des champs, sur le soleil, que le Père céleste, dans sa miséricorde, fait lever sur les bons et les méchants. Oui, cette solution, elle vient d’en haut. Cette solution est en Dieu, cette solution nous est envoyée par le bon Dieu. C’est le Saint-Esprit, c’est le bon Esprit, c’est l’Esprit qui donne le sens véritable à notre vie, à toutes les réalités qui nous entourent, à toutes les réalités dont on est constitué même.

Retourner au bon sens, c’est assez simple à dire, c’est retourner à la vie ordinaire : c’est peut-être un peu plus difficile à réaliser. Pour accomplir les gestes ordinaires de notre vie, de la vie humaine, il ne faut rien moins que la grâce qui dévale du ciel. Il ne faut rien moins que l’action créatrice du Saint-Esprit.

Donnons un exemple pour terminer. On pourrait regarder bien entendu notre séraphique Père Saint François. C’est un modèle de réalisme. Il a eu les pieds sur terre et il s’y est attaché où plus précisément il a utilisé cette nature et ce qu’il était lui-même, ce qui l’entourait pour remonter au bon Dieu, pour atteindre son but. Mais donnons l’exemple d’un autre Saint peut-être moins connu sous cet aspect-là, c’est Saint Jean de la Croix. On se le représente facilement comme un grand mystique, peut-être toujours perdu dans les étoiles. Et pourtant, Saint Jean de la Croix part ou décolle en quelque sorte vers les étoiles en ayant d’abord les pieds sur terre. Lorsqu’il était prieur du couvent de Los martyres à Grenade, il aimait faire sortir ses frères et les emmener dans la campagne pour que là, disait-il, ils éclatent en louanges pour toute la création, louanges de Dieu. Mais bien des fois, ses religieux devaient partir à sa recherche et ils le trouvaient en extase, non pas les yeux vers le ciel mais fixés sur un brin d’herbe sur un bouquet de thym.

Oui, c’est là, mes bien chers fidèles, que le bon sens conduit, à cette réalité naturelle qui nous entoure. A Dieu le père qui nous témoigne tant d’amour dans cette réalité naturelle que l’on veut mettre de côté aujourd’hui. Le Divin Esprit a donc aujourd’hui bien de l’ouvrage puisqu’il doit renouveler la face de la terre en redonnant aux hommes le bon sens, afin que par là, ils s’élèvent à l’amour du Père et du Fils pour les siècles des siècles, ainsi soit-il.

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il

Fr Fidèle-Marie +, ofm

Morgon, dimanche 19 mai 2024, dimanche de la Pentecôte

Version audio du sermon : 

Antoine de Fleurance

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