De la férie : messe du samedi de la quatrième semaine de Carême
Ce jour est célèbre dans l’antiquité sous le nom de Samedi Sitientes, à cause du premier mot de l’Introït de la Messe, dans lequel l’Église, empruntant les paroles d’Isaïe, invite les aspirants au Baptême à venir se désaltérer à la fontaine du salut. A Rome, la Station fut d’abord à la Basilique de Saint-Laurent-hors-les-Murs ; mais l’éloignement rendant cette Église incommode pour la réunion des fidèles, on a désigné de bonne heure pour la remplacer l’Église de Saint-Nicolas in carcere, qui est dans l’intérieur de la ville. Que ce langage devait être doux au cœur de nos Catéchumènes ! Jamais la tendresse du Père céleste s’est-elle exprimée d’une manière plus touchante que dans ces paroles qu’il nous transmet par son Prophète ? Il donne à son Fils incarné, à son Christ, la terre entière, non pour la juger et la condamner, comme elle le mérite, mais pour la sauver [9]. Ce divin envoyé convoque tous ceux qui gémissent dans les fers, qui languissent dans les ténèbres ; il les appelle à la liberté, à la lumière. Leur faim sera apaisée, leur soif désaltérée ; naguère haletants sous les rayons d’un soleil brûlant, ils trouveront la plus délicieuse fraîcheur au bord des eaux purifiantes vers lesquelles le miséricordieux pasteur les conduit lui-même. Ils viennent de loin, de tous les points du ciel ; cette fontaine inépuisable est le rendez-vous du genre humain. La Gentilité s’appelle désormais Sion, et le Seigneur aime les portes de cette nouvelle « Sion plus qu’il n’aima les tentes de Jacob [10] ». Non, il ne l’avait point oubliée, durant ces siècles où elle servait les idoles ; la tendresse du Seigneur est égale à celle d’une mère ; et si le cœur de la mère était jamais fermé pour son fils, le Seigneur déclare que le sien restera toujours ouvert pour Sion. Livrez-vous donc à une confiance sans bornes, vous, chrétiens, qui dès l’entrée de cette vie fûtes admis dans l’Église par le Baptême, et qui depuis avez eu le malheur de servir un autre maître que celui qui vous avait adoptés.
Si, en ce moment où, prévenus de la grâce divine, soutenus par les saintes pratiques du Carême et par les suffrages de l’Église qui prie pour vous sans cesse, vous préparez votre retour au Seigneur, quelque inquiétude se glisse dans votre âme, relisez ces paroles du grand Dieu. Vous le voyez : c’est à son propre Fils qu’il vous a donnés ; c’est lui qu’il a chargé de vous sauver, de vous guérir, de vous consoler. Vous êtes dans les liens du péché ? Jésus est assez fort pour les rompre. Vous êtes dans les ténèbres du monde ? Il est la lumière devant laquelle les ombres les plus épaisses s’évanouissent sans retour. Vous avez faim ? Il est le Pain de vie. Vous avez soif ? Il est la source des eaux vives. Vous êtes brûlés, défigurés par les ardeurs de la convoitise ? Plongez-vous dans la fontaine qui rafraîchit et purifie : non plus, il est vrai, cette première fontaine qui vous donna la vie que vous avez si tristement perdue ; mais cette autre source jaillissante, le divin sacrement de la réconciliation, d’où vos âmes sortiront pures et renouvelées.
Quel contraste entre le langage de Dieu qui invite les hommes à recevoir son Fils comme un libérateur, et la dureté de cœur avec laquelle les Juifs accueillent ce céleste envoyé. Jésus s’est dit le Fils de Dieu, et, en preuve de cette divine origine, il n’a cessé, durant trois années, d’opérer les prodiges les plus éclatants. Beaucoup de Juifs ont cru en lui, parce qu’ils ont pensé que Dieu ne pourrait autoriser l’erreur par des miracles ; et la doctrine de Jésus a été acceptée par eux comme venant du ciel. Les Pharisiens ont la haine de la lumière, l’amour des ténèbres ; leur orgueil ne veut pas s’abaisser devant l’évidence des faits. Tantôt ils nient la vérité des prodiges de Jésus, tantôt ils prétendent les expliquer par une intervention diabolique ; d’autres fois, ils voudraient par leurs questions captieuses amener un prétexte de traduire le Juste comme un blasphémateur ou un violateur de la loi. Aujourd’hui, ils ont l’audace d’objecter à Jésus qu’en se déclarant l’envoyé de Dieu, il se rend témoignage à lui-même. Le Sauveur, qui voit la perversité de leur cœur, daigne encore répondre à leur impie sarcasme ; mais il évite de leur donner une entière explication. On sent que la lumière s’éloigne peu à peu de Jérusalem, et qu’elle se prépare à visiter d’autres régions. Terrible abandon de l’âme qui a abusé de la vérité, qui l’a repoussée par un instinct de haine ! C’est le péché contre le Saint-Esprit, « qui ne sera pardonné, dit Jésus-Christ, ni en ce monde, ni en l’autre. »
Heureux celui qui aime la vérité, quoiqu’elle combatte ses penchants et trouble ses idées ! car il rend hommage à la sagesse de Dieu ; et si la vérité ne le gouverne pas encore en tout, du moins elle ne l’a pas abandonné. Mais plus heureux est celui qui, s’étant rendu tout entier à la vérité, s’est mis à la suite de Jésus-Christ, comme son humble disciple ! « Celui-là, nous dit le Sauveur, ne marche point dans les ténèbres ; mais il possède la lumière de vie. » Hâtons-nous donc de nous placer dans cet heureux sentier frayé par celui qui est notre lumière et notre vie. Attachés à ses pas, nous avons gravi l’âpre montagne de la Quarantaine, et nous y avons été témoins des rigueurs de son jeûne ; désormais, en ces jours consacrés à sa Passion, il nous convie à le suivre sur une autre montagne, sur le Calvaire, où nous allons contempler ses douleurs et sa mort. Soyons fidèles au rendez-vous, et nous obtiendrons « la lumière de vie ».
Sanctoral
Saint Abraham, Prêtre, Ermite († 376)
Saint Abraham vint au monde à Chidame, près d’Édesse, en Mésopotamie, et s’illustra par son innocence et sa haute vertu. Son père et sa mère, doués des biens de la fortune, l’aimaient tendrement. Malgré son attrait pour la vie solitaire, pour ne pas déplaire à ses parents, il consentit à s’engager dans les liens du mariage. Dès que les noces furent terminées, il sortit furtivement de la maison, et ayant trouvé une caverne à deux milles de la ville, il s’y retira plein de joie, résolu d’y passer toute sa vie à servir Dieu seul. Après dix-sept jours de recherches, ses parents le découvrirent dans sa retraite, plongé dans la contemplation. Ils furent si touchés de ses supplications, qu’ils firent le sacrifice de leur fils et le laissèrent suivre sa vocation. Dès lors le nouvel ermite fit murer sa cellule, n’y laissant qu’une étroite fenêtre pour recevoir la nourriture qu’on lui apportait chaque jour. Il fit de grands progrès dans la voie de la perfection. Il acquit surtout une humilité extraordinaire et une charité extrême pour le prochain. Jamais il ne réprimanda personne durement; sa parole était toujours assaisonnée d’indulgence. Saint Éphrem nous dit qu’il ne se relâcha jamais en rien de sa vie de pénitence, qu’il ne passa pas un seul jour sans verser des larmes, et que, malgré ses austérités, il conserva toujours la fraîcheur de son visage et la vigueur de son corps. Il y avait dix-sept ans qu’il menait en ce lieu une vie tout angélique, lorsqu’il apprit la mort de ses parents. Il pria un de ses amis de vendre tout son héritage et d’en donner le prix aux pauvres, ne se réservant qu’un vêtement de poil de chèvre, une natte et une écuelle de bois. La renommée des vertus du saint solitaire se répandit de tous côtés. Dieu permit qu’une si grande piété servit à Sa gloire. Il fit construire près de sa maisonnette une cellule pour sa nièce, qui docile à ses leçons, fit de grands progrès dans la vertu et la piété. Près de la cellule était un gros village peuplé d’idolâtres, si attachés à leurs superstitions qu’ils maltraitaient tous ceux qui cherchaient à les instruire.
L’évêque d’Édesse, affligé de l’aveuglement de ce peuple, résolut de lui envoyer Abraham comme le plus capable de les convertir par sa charité et sa patience. Le Saint se défendit en vain. On le conduisit à Édesse, où l’évêque l’ordonna prêtre et l’envoya travailler à l’oeuvre du Seigneur. Fort mal reçu des habitants, frappé, menacé de mort, le Saint ne perdit point courage et entreprit hardiment de bâtir une église. L’édifice achevé, Abraham pria le Seigneur d’y rassembler les habitants infidèles en les convertissant à la foi; puis, animé d’un nouveau zèle, il brisa leurs idoles, et renversa leurs autels. Le peuple, dans sa colère, se rua sur lui, et, après l’avoir accablé de coups, le chassa du village; mais le Saint revenu pendant la nuit dans son église y demeura en prière. Le lendemain, le peuple, l’ayant aperçu, se jeta de nouveau sur lui et le battit si cruellement que, le croyant près d’expirer, il le traîna au loin par les pieds avec une corde; mais Dieu, qui est le Maître de la vie et de la mort, lui rendit promptement la santé. Abraham passa ainsi trois ans dans une continuité de souffrances et de douleurs, sans que rien pût ralentir son zèle. Enfin Dieu exauça ses prières; ces infidèles, touchés de la charité et de la patience d’Abraham, se rendirent à l’église et demandèrent à être instruits. Le saint prêtre expliqua alors à ce peuple les mystères de la religion et en baptisa un grand nombre. Il demeura quelques temps encore avec ses néophytes pour les affermir dans la foi, puis se retira dans sa première cellule. Enfin le Seigneur appela à Lui Son fidèle serviteur, âgé de soixante-quinze ans, pour le récompenser de ses travaux, ses prières et ses austérités. C’était le 16 mars 376.
Bienheureux Torello de Poppi, Ermite italien, Tertiaire franciscain (+ 1282)
Né en 1202 dans la ville toscane de Poppi, le bienheureux Torello de Poppi était issu de la famille noble des Torelli. Lorsqu’il perdit ses parents à l’âge de dix-huit ans, il songeait à se consacrer au service de Dieu et faisait de généreuses aumônes aux pauvres. Mais il avait deux mauvais amis et fut bientôt corrompu par leur exemple et leur influence, de sorte qu’il devint le scandale de la ville. Un jour, alors qu’il avait environ trente-six ans, le bienheureux Torello de Poppi s’amusait avec ses amis à une partie de quilles. Pendant le jeu, un coq se perchait sur son bras et chantait trois fois. Torello prit cela comme un avertissement du ciel, abandonna sans tarder ses amis et alla se confesser à un prêtre de l’abbaye de San Fedele, une des maisons des bénédictins de Vallombreuse.
Torello se rendit ensuite dans les montagnes voisines du Cosentino à la recherche d’un endroit approprié pour un ermitage. Après avoir erré pendant huit jours dans les bois, il trouva une grotte dans un endroit isolé appelé Avellaneto, non loin de Poppi. Après avoir acheté les terres autour de cette grotte et donné ce qui restait de sa propriété aux pauvres, il construisit un petit ermitage près de la grotte et cultiva un petit potager pour se nourrir. Mais il mangeait très peu et jeûnait plusieurs jours d’affilée. Il limitait son sommeil à trois heures par jour et dormait sur un lit de broussailles et de brindilles épineuses. Pour vaincre les tentations persistantes de la chair et du diable, il se flagellait sans pitié et s’immergeait parfois dans l’eau glacée. Sous son habit en laine, il portait une chemise en peau de porc dont quelques poils seulement avaient été enlevés. Il poursuivit cette vie de pénitence pendant environ quarante-cinq ans ; et comme nous le dit Wadding, il devint membre du Tiers-Ordre de Saint-François au cours de la quatrième année de sa conversion.
Comme saint François, il possédait un pouvoir surnaturel sur les loups, qui étaient nombreux dans les montagnes du Casentino au XIIIe siècle. Il a accompli plusieurs miracles en faveur des enfants enlevés par les loups et pour d’autres qui ont été attaqués et mordus par des loups, avant et après sa mort. A l’âge de quatre-vingts ans, le bienheureux Torello retourna à l’abbaye de San Fedele pour faire une confession générale de toute sa vie et demander que son corps soit enterré à l’abbaye. Malgré les supplications des moines pour qu’il passe ses derniers jours sous leur garde, Torello retourna à son ermitage, où l’avait rejoint un autre ermite, Pierre de Poppi. Et là, il mourut le 16 mars 1282, âgé de 80 ans. La béatification du Bienheureux Torello de Poppi est annoncée par le pape Benoît XIV le 7 mars 1761.
Sur la tombe du bienheureux Torello de Poppi, dans l’église abbatiale, un homme exilé de Sienne a prié pour qu’on lui permette de retourner dans sa ville natale. Il promit de célébrer chaque année la fête du bienheureux Torello et de faire peindre un tableau du saint ermite. Sa prière fut exaucée et il recruta les services d’un artiste. Mais ce dernier n’avait jamais vu le bienheureux Torello et ne savait que faire. Puis il eut un rêve ou une vision dans laquelle il vit Torello, portant l’habit du Tiers Ordre et tenant un louveteau dans ses bras. Et c’est ainsi que le tableau représente le bienheureux Torello de Poppi.
Martyrologe
A Rome, la passion de saint Cyriaque diacre. Après une longue et rigoureuse prison, il fut couvert de poix en fusion, étendu sur une claie, tiré violemment avec des cordes de nerfs, meurtri de coups de bâton et enfin, avec Large, Smaragde et vingt autres, décapité par ordre de Maximien. La fête des saints Cyriaque, Large et Smaragde se célèbre le 6 des ides d’août (8 août), jour où les corps de ces vingt-trois martyrs furent exhumés par le bienheureux pape Marcel et reçurent de lui une honorable sépulture.
A Aquilée, l’anniversaire des bienheureux Hilaire évêque, et Tatien diacre. Sous l’empereur Numérien et le préfet Béroine, ils endurèrent le supplice du chevalet et plusieurs autres tourments, avec Félix, Large et Denis, et accomplirent ainsi leur martyre.
En Lycaonie, saint Papas martyr. Pour la foi du Christ, il fut flagellé, déchiré avec des ongles de fer, contraint de marcher avec des chaussures garnies intérieurement de pointes, puis attaché à un arbre, où il expira. L’arbre jusque là stérile donna désormais des fruits.
A Anazarbe, en Cilicie, saint Julien martyr, qui sous le préfet Marcien, fut longtemps torturé. A la fin on l’enferma dans un sac avec des serpents et on le jeta à la mer.
Au Dominion du Canada, les saints martyrs Jean de Brébeuf, Gabriel Lalemant, Antoine Daniel, Charles Garnier et Noël Chabanel, prêtres de la Compagnie de Jésus. Après avoir beaucoup travaillé à évangéliser les Hurons, ils eurent à, subir, les uns en ce jour, les autres à différentes dates, d’horribles tourments et ils moururent courageusement pour le Christ.
A Ravenne, saint Agapit, évêque et confesseur.
A Cologne, saint Héribert évêque, célèbre par sa sainteté.
Dans la cité des Arvernes (auj. Clermont-Ferrand), en Gaule, la mise au tombeau de saint Patrice évêque.
En Syrie, saint Abraham ermite, dont le bienheureux diacre Ephrem a écrit les belles actions.
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