« J’éprouve une urgence désespérée à écrire des chansons de geste » C’est ainsi que s’exprime l’auteur de Rolandin, le troisième roman de Rémi Usseil, une belle histoire pour Noël, mais néanmoins un roman palpitant. Pour découvrir les péripéties de l’enfance du héros médiéval épique le plus populaire de France, l’auteur nous entraine en Italie dans la fuite éperdue de ses parents. Après Berthe au grand pied, la mère de Charlemagne, puis les enfances de Charlemagne, voici Rolandin, le petit-fils de Berthe et neveu de Charlemagne.

C’est donc d’une naissance et d’une enfance tumultueuse que va éclore le compagnon de Charlemagne, ce héros légendaire. Rolandin c’est l’épopée de l’enfance de Roland. Comme dans ces précédent romans, l’écrivain qui se fait poète de temps à autre, sème son récit de vers qui apparaissent en bleu dans le texte faisant de ce nouvel ouvrage aux pages glacées, et agrémenté de belles illustrations du Moyen-âge, un très beau livre qui sert une histoire fantastique, houleuse et impétueuse dont les héros peuplent notre imaginaire collectif; une histoire où le merveilleux est à chaque ligne, dans chaque évocation, chaque prière quand nos ancêtres lointains ne séparaient pas le ciel de la terre. C’est une belle histoire, pleine de rebondissements,  qui s’accroche aux étoiles.

Seuls, probablement aujourd’hui, de ce genre littéraire, les romans de Rémi Usseil au rythme envolé et même trépidant par moment, aux personnages émouvants dans leur piété, dans leurs amours et jusque dans leurs péchés, sont le fruit d’une passion dévorante: « Je suis amoureux des chansons de geste, dit-il, j’éprouve une urgence désespérée à écrire des chansons de gestes et je veux faire partager ma passion. »

Illustration d’un des exploits précoces  de Rolandin, inspiré de la Bible.

Présentation de l’éditeur:

La belle Gisèle, sœur de Charlemagne, et le fringant Milon, duc d’Anjou, sont éperdument épris l’un de l’autre. Hélas, le roi de France s’oppose à leur union. Hors des liens du mariage, la princesse se donne à son amant et tombe enceinte : son fils sera Roland, le légendaire paladin, futur héros de la bataille de Roncevaux. Fuyant la colère de Charlemagne, mais protégés par de mystérieuses demoiselles drapées de lumière, les amants cherchent refuge en Italie et s’installent près de la ville de Sutre. C’est là que l’enfant, surnommé Rolandin, vivra ses premières années comme un simple fils de bûcheron, partageant ses journées entre l’école du docte maître Pierre et la forêt sauvage. Bien des épreuves attendent le jeune garçon, mais Rolandin n’a peur de rien, et ce ne sont pas quelques garnements, un cochon glouton, un clerc érudit, un seigneur mesquin ou un ogre affamé qui sauront l’impressionner ! Il se jettera tête baissée dans toutes les aventures, en espérant quand même être rentré chez ses parents à temps pour le souper.

Court extrait pris au hasard, qui se situe page 86. La citation arrive ci-dessous alors que le petit Rolandin a rossé à la récréation quatre garnements plus âgés que lui pour venger l’honneur de sa mère gravement insultée:

« Certains de mes lecteurs [s’étonneront d’une telle prouesse]. Qu’ils se remembrent que je leur parle de ce Roland qui fut, dans la suite de sa vie, , le meilleur chevalier de France et donc du monde, d’un paladin qui pourfendait les géants et massacrait les sarrasins par dizaines!  Qu’il eût pu dés l’enfance, tenir tête à des adversaires plus nombreux et plus grands  n’a donc rien qui doive surprendre. »

Transmettre la tradition

Rémi Usseil se définit ainsi: « Je veux être un passeur plutôt qu’imprimer ma marque personnelle. » Il se veut un passeur des grandes épopées légendaires du Moyen âge qui peuplent toujours notre fond culturel, car reprises depuis des siècles, rebondissant de générations en générations.  Il se veut continuateur des troubadours qui déclamaient sur les places publiques, dans les cathédrales, à la cour des rois et des ducs, et sur les grands chemins de pèlerinage l’histoire fabuleuse de nos héros, des histoires qui n’arrêtaient leur course qu’aux frontières de la chrétienté. Si ces histoires sont moyenâgeuses, M. Usseil est cependant un passeur du XXIème siècle avec des textes mis au goût du jour. Ainsi, explique-t-il, « les chansons de gestes sont écrites en vers tandis que 90 à 95% de mon texte est en prose »,  « j’essaye de conférer à mon récit la séduction de la prose afin de faciliter l’approche de ces textes intimidants. »

Pour bien situer cette ressource littéraire il convient de savoir que les chansons de gestes ont été regroupées au XIIIème siècle en trois matières: la Matière de Rome, la Matière de Bretagne et la Matière de France. C’est à la matière de France qu’appartiennent les chansons auxquelles Rémi Usseil redonnent vie avec tant de talent.

La Matière de France se divise elle-même en trois cycles établis eux aussi au XIIIème siècle; le 1er cycle:  la geste du Roi chante les hauts-faits d’un Charlemagne, roi idéal, défenseur de la chrétienté, entouré de ses preux fidèles: Roland, Olivier… C’est la Chanson de Roland qui est au cœur de ce cycle. Le 2ème cycle est celui de  Guillaume d’Orange, cycle qui se situe dans le prolongement du cycle du Roi, dont l’épée Joyeuse est le symbole, que Charlemagne remet à Guillaume d’Orange et non pas à son fils Guy le Pieux qu’il juge incapable de poursuivre sa mission au service de la chrétienté. Guillaume d’Orange étant le saint de Saint-Guillem-le-Désert dans l’Hérault.  Le 3ème cycle est celui des barons révoltés, ces très puissants vassaux qui se révoltent contre leur roi à qui pourtant ils ont juré fidélité, et qui finissent tous par se repentir et se soumettre quand ils ne meurent pas.

« Le rayonnement de la matière de France est stupéfiant au Moyen-âge, elle se diffuse à une vitesse ahurissante dans toute l’Europe. »

Va naître alors une langue spécifique qui ne sera utilisée que pour la Matière de France, c’est le franco-italien. Une langue qui va naître sur le chemin du pèlerinage de Saint-Pierre vers Rome. Les pèlerins étaient accompagnés de baladins et jongleurs dont les confrères italiens vont vouloir adapter les chansons pour le public italien qui se les approprie et ainsi va se créer le franco-italien, une langue factice et spécifique , mi-italien, mi-français, d’où Rémi Usseil a puisé sa source d’inspiration puisque le Rolandino écrit en franco-italien est revenu sous sa plume en français avec le titre de Rolandin, le petit Roland.

Au Moyen âge les chansons de geste sont partout, tant orales qu’écrites, explique-t-il. « Ce sont des récits profanes bien qu’ils portent les marques de la Religion, qui se trouvent dans les bibliothèques les plus doctes », mais elles sont tout autant répandues dans le peuple. Ainsi, explique-t-il pour MPI:

« dans l’ensemble nos ancêtres croyaient » [à l’authenticité des chansons de geste], « la légende carolingienne est invoquée avec beaucoup de gravité dans des circonstances très officielles, représentée dans des églises et des cathédrales parmi les épisodes tirés de la vie des saints, consignée par écrit, en français et en latin, dans des ouvrages qui ont toutes les prétentions à la véracité, comme les prestigieuses Grandes Chroniques de France. Les auteurs de chansons de geste se plaisent à souligner le caractère véridique de leurs récits et invoquent volontiers des sources (réelles ou fictives) pour convaincre leur public de la valeur de leurs chansons. » « on croyait à Roland, à Olivier, à Ogier le Danois ou à Guillaume d’Orange, au bon saint Charlemagne, champion et lieutenant de Dieu, et dans une certaine mesure aux prouesses fabuleuses que leur prêtait la tradition. »

« A la fin du Moyen-Âge, les historiens qui commencent à réfuter les légendes épiques le font avec tout le sérieux du scientifique s’attaquant à une thèse qui rencontre une large créance. Tout cela serait absolument impensable si les hommes du Moyen-âge avaient considéré nos épopées comme de simples fictions s’avouant pour telles. Ils y ont cru, cela est certain. » « Cela ne signifie pas que chacun ait ajouté foi à la totalité des développements venus s’ajouter au fil du temps à ce noyau, récits dont la vraisemblance et le sérieux étaient variables. » « Par exemple, on ne croyait sans doute guère, en dehors du peuple, aux péripéties merveilleuses et fantasques qui dans certaines branches de notre épopée mettent en scène Aubéron le roi de Féerie, ni à certains des épisodes purement drôlatiques dont le bon géant Rainouard au Tinel, truculent précurseur du Gargantua de Rabelais, est le héros. »

« Sans forcément ajouter foi à chacun de leurs exploits, on pensait tout de même que ces héros avaient été des personnages remarquables, hors du commun, dignes d’être proposés comme exemples et comme modèles. C’est tout le sens de l’anecdote – probablement fictive en l’occurrence, mais révélatrice – du jongleur Taillefer chantant la Chanson de Roland avant la bataille de Hastings, pour encourager à la prouesse les guerriers de Guillaume : de semblables scènes ne furent sans doute pas rares au Moyen Âge. »

Il faut se rendre compte, explique-t-il par ailleurs, que Charlemagne en Europe au Moyen-âge « c’est l’équivalent de Captain América aux USA aujourd’hui », mais « le personnage mythique de Charlemagne est un roi capétien, car écrit à l’époque capétienne ». 

Ces chansons apparaissent au XIème siècle ce qui explique cet anachronisme. Il faut donc oublier la rigueur historique en lisant l’œuvre purement littéraire de Rémi Usseil, fidèle en cela à l’esprit qui a présidé à l’apparition du genre des chansons de geste qu’il continue.

Champion de Dieu

Même avant la canonisation de Charlemagne effectuée sous l’influence de Frédéric Barberousse, Charlemagne jouissait d’une réputation unanime de saint dans le peuple. Si Charlemagne ne s’est pas contenté de combattre  les Sarrasins [778 bataille de Roncevaux], c’est en effet l’œuvre principale de son règne que la conversion des peuples d’Europe et la défense du christianisme  : « C’est un roi saint, explique l’auteur, un roi patriarche, un roi champion de Dieu » qui apparaît dans la geste du Roi.

Le fait que toute l’Europe médiévale n’ait jamais cessé d’être aux prises avec les incursions, les razzias, les rafles, et les invasions sarrasines, explique aisément que Charlemagne ait été hissé sur un tel piédestal sans cesse renouvelé jusqu’au XVIème siècle, dont la chanson de Roland reste le cœur du cycle légendaire, et qu’aujourd’hui encore, en dépit d’efforts incessants de la part des autorités publiques pour effacer ou salir ce fond culturel et religieux, il fasse partie de l’imaginaire collectif de tout un peuple et même d’un continent, tant sa légende s’imbrique en profondeur dans l’Histoire de la nation (des nations), car une civilisation s’élabore en relief dans ses arts et ses sciences, mais en creux, ses arts et ses sciences se construisent eux-mêmes en réaction à la nature et à l’oppression des ennemis.

« Au moment où Charlemagne affronte en combat singulier l’émir de Babylonne, un géant chef de tous les sarrasins, pour venger la mort de Roland, Dieu envoie du ciel l’archange Gabriel qui vient le motiver pour la victoire ». « C’est sur ordre de Dieu que Charlemagne combat les sarrasins, explique M. Usseil,  non par haine, mais à son service. » 

Si les chansons de geste sont inspirées très librement de l’Histoire, elles sont cependant des sources littéraires importantes pour les historiens spécialistes du Moyen-âge, qui permettent de connaître la société de l’époque, par exemple, de conclure de l’importance de Dieu et des saints pour les hommes du Moyen-âge qui ne séparaient guère le ciel de la terre dans les chansons de geste, la matière littéraire qui faisait l’unanimité de la société à l’époque.

Mais à leur tour les chansons de geste ont influencé l’Histoire, ainsi, souligne l’auteur, « le sentiment national s’est lentement forgé durant tout le Moyen-Âge central et tardif, en un long processus dans lequel le mythe, les symboles et la poésie jouèrent un rôle notable, que l’on sous-estime souvent. A mon sens, ce sentiment commence à se dessiner timidement au début du douzième siècle ou à la toute fin du onzième (…)  c’est-à-dire précisément au moment où naissent les premières chansons de geste, qui en seront à l’origine le principal véhicule et même, disons-le, en partie les créatrices. »

« Mon Rolandin, qui est avant tout un conte merveilleux est presque un conte de Noël, dont le sujet principal est la famille. Le chevalier Roland pourra, plus tard, incarner de grands thèmes guerriers, féodaux et patriotiques, mais dans mon récit, ce n’est encore qu’un jeune enfant, qui se trouverait bien encombré d’un si pesant fardeau. »

Rolandin, 214 pages, le roman  de Rémi Usseil, préfacé par Jacques Trémollet de Villers, est paru le 22 novembre 2017 aux éditions des Belles Lettres comme ses deux ouvrages précédents. Cela peut être un parfait cadeau pour Noël, à la fois beau, exaltant la piété, instructif et divertissant comme un bon roman. Pour grands et petits, un ouvrage précieux à conserver.

Les citations de cet article proviennent principalement d’une interview que Rémi Usseil m’a accordée pour MPI et aussi d’une interview donnée au micro de Jacques Trémollet de Villiers .

L’auteur:

Rémi Usseil a suivi des études de Lettres Modernes à l’Université Stendhal, à Grenoble. Féru de littérature médiévale et de mythologie, il a rédigé son mémoire, consacré au personnage de Gauvain dans les romans de la Table Ronde, sous la houlette de Philippe Walter, spécialiste de la littérature arthurienne. Aujourd’hui, il s’emploie à faire découvrir ces épopées méconnues que sont les chansons de geste.

Emilie Defresne

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