Force est de constater que le plus tragique dans les attentats de Paris, ce n’est pas la mort de 130 personnes. En effet notre génération ultra-connectée nous fait voir tous les jours et en direct la mort de milliers de nos frères humains : passagers russes en retour de vacances, Palestiniens depuis plusieurs décennies, chrétiens d’Orient martyrisés, et je ne parle même pas des milliers d’Africains qui meurent faute d’accès à l’eau potable ou à un hôpital. Pour tous ceux-là, un auto-collant de la Croix Rouge ou un tee-shirt « Palestine libre » suffisaient alors à soulager leur conscience. On revendique l’ « indignation », on soigne les « prières universelles » du dimanche, mais on sait que tout cela est bien loin. Encore assez loin. Un peu comme les amis Facebook, on les revendique mais on ne les voit pas.

Sauf que vendredi 13 novembre, ceux qui avaient des yeux pour voir ont vu. Ils ont vu la mort. La leur ou celle des autres. La France tout entière a pleuré ses morts. Mais ce n’est toujours pas le plus tragique. Car on oublie de préciser qu’il faut rajouter à cette liste macabre le nom des assassins. Ceux qui quelques semaines plus tôt n’auraient pas rechigné à rouler des pétards à un concert de La Fouine ou de la Mafia K1 Fry se sont retrouvé l’arme à la main et prêts à faire le grand saut. Il y a ceux qui « s’explosent la gueule » à coups de Bavaria et ceux qui le font au sens propre.

La vraie tragédie est là. A Paris, deux groupes de jeunes sont morts. Les uns célébrant l’hédonisme insouciant (que ce soit au Bataclan ou dans les bars « branchés » du Marais), les autres montrant au monde entier leur frustration d’en être exclus. Ces « jeunes djihadistes » sont autant prêts à s’expédier dans l’autre monde qu’un adolescent harcelé qui vide la boîte de Vallium de la pharmacie familiale. Ce sont les James Dean de « Rebel without a cause » ou le « Live fast die young » des punks authentiques. A la différence que James Dean a écorché un platane et les punks une bonne partie de leurs avant-bras. Que ce soit dans la musique ou dans le Coran, on peut être jeune et y chercher une rédemption par le suicide. Quand la conscience universelle repose sur le « tu ne tueras point », seul un art vraiment mineur et décadent (ou une doctrine religieuse mineure et décadente) peut persuader un individu que la mort apportera plus de bonheur que la vie. Encore une fois, qu’on se défonce à la coke ou au Captagon, qu’on s’imagine mieux dans les bras de Satan ou dans ceux de 1000 vierges ravies de faire une partouze céleste avec un meurtrier, les motivations de l’acte restent les mêmes : rejet de la culture occidentale (raciste et rétrograde pour les bobos ; anathème et maudite pour les combattants d’Allah), scepticisme au sujet de la République (vociférations des uns à la vue d’une crèche de Noël municipale ; hurlements des autres face à une laïcité athée incompatible), goût moderne du « vivre vite » (orgies chez Dodo La Saumure contre stages intensifs à l’auto-destruction).

Monsieur Valls, en affirmant qu’ « aucune excuse ne doit être cherchée, aucune excuse. Aucune excuse sociale, sociologique et culturelle car, dans notre pays, rien ne justifie qu’on prenne des armes et qu’on s’en prenne à ses propres compatriotes » (AFP) , soit ment, soit fait preuve d’une grande ignorance des faits récents : tueries dans les campus américains par des compatriotes très loin du Coran, guerres de rues à Baltimore, règlements de compte à Marseille (Dieu sait qu’il entend encore les balles siffler), Charlie, Air France, et la liste est longue.

Peut-être suffira-t-il d’attendre de voir combien de drapeaux français flottent sur les tours et les balcons de Seine Saint Denis et des quartiers Nord de Marseille en ce vendredi de deuil national pour se persuader qu’après tout l’unité fait peu d’émules. Nos maîtres du « vivre vite » nous ont appris que ce slogan était synonyme de « mourir vite ». Qu’on soit issu d’une société matérialiste et pessimiste, ou d’un État naissant hystérique, qu’on ne pige rien à Lautréamont ou qu’on peine à déchiffrer le coran qu’on a dans la main, on s’attend à l’assaut final, au pogo définitif, convaincu qu’on peut être jeune et lutter pour une cause.

Heureusement, bien au-dessus de tous ces bruyants, les contemplatifs nous ont légué le contre-poison, l’antidote au « mourir vite », le Cantique des Cantiques : « Qu’il me baise des baisers de sa bouche ! Car ton amour est meilleur que le vin ; tes parfums ont une odeur suave, ton nom est une huile épandue ; c’est pourquoi les jeunes filles t’aiment. Entraîne-moi après toi ; courons ! Le roi m’a fait entrer dans ses appartements ; nous tressaillirons, nous nous réjouirons en toi : nous célébrerons ton amour plus que le vin. Qu’on a raison de t’aimer ! L’Epouse. Je suis noire mais belle, filles de Jérusalem , comme les tentes de Cédar, comme les pavillons de Salomon. »

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