Le 27 juillet 1774 à Saint-Denis, l’évêque de Senez, Jean-Baptiste de Beauvais, prononça sur le corps de Louis XV une oraison funèbre dont voici quelques extraits.

« L’histoire de toutes les cours et de tous les empires n’a-t-elle pas dû vous apprendre comment les ambitieux qui environnent les rois savent, par leurs artifices, pervertir leurs intentions les plus pures ?

Regardez avec quelle attention infatigable ils veillent sans cesse autour des trônes, pour empêcher les conseils des sages et les gémissements des malheureux de parvenir aux oreilles des souverains.

Le prince ne voit ni les services qu’il doit récompenser, ni les malversations qu’il doit punir, on lui exagère les prospérités, on lui dissimule les malheurs ; la vérité, la vénérable vérité est foulée aux pieds devant les portes de son palais !

Comment un homme faible, ainsi que tous les autres humains, et que la volupté attaque par tous les sens, qui ne rencontre autour de lui que des regards conjurés pour lui plaire, … comment, sans un prodige de grâce et de vertu, pourra-t-il échapper à tant de périls ?

Comment résistera-t-il à la séduction de ces perfides adulateurs qui soufflent dans son cœur des feux coupables, soit pour autoriser leurs faiblesses par un grand exemple, soit pour s’insinuer dans sa faveur par leur lâche complaisance, soit pour le distraire des affaires par la dissipation des plaisirs, et pour se ménager plus de puissance et d’autorité, et qui ne craignent pas de sacrifier à leurs vils intérêts la gloire et l’âme de leur maître ? »

Cette oraison funèbre précède de quinze ans les événements qui mirent fin à la royauté française. Sans entrer dans les détails, elle dénonce à mot couverts, mais sévères, ceux qui furent les corrupteurs du roi de France : gens d’argents et de profit, faiseurs de fortunes indues et du malheur du peuple.

Parmi ces perfides adulateurs, une femme, connue comme la marquise de Pompadour. Née Jeanne-Antoinette Poisson, conçue et élevée dans le milieu de la finance, la Pompadour fut la corruptrice des mœurs du roi et la cheville ouvrière du tournant dramatique qui fit sombrer la fille aînée de l’Église dans les bras de Mammon.

La Pompadour fut celle qui permit que la couche du roi soit garnie de gamines hors d’âge, qui mirent le monarque à la merci d’une dénonciation scandaleuse de mœurs contre nature. Mais elle fut également celle qui fit entendre au roi les sirènes du libéralisme auxquelles tous ses prédécesseurs avaient résisté.

Elle fut d’abord et avant tout la promotrice à la Cour des Lumières et de l’Encyclopédie, et la grande amie de l’infatigable inspirateur de cette corruption généralisée de ce qui faisait l’esprit de la France : Voltaire.

Voltaire ! Menteur pathologique, ennemi de Dieu et de la France, anglomane toujours à l’affut d’une calomnie à déverser sur la France à ses ennemis, Voltaire fut un adulateur de la Pompadour et un infatigable promoteur du système qui allait renverser la royauté.

Mais Voltaire, en son temps, était surtout réputé comme poète et, avec le génie de la langue française que lui avaient développé ses maîtres jésuites à Louis-le-Grand, il commit un interminable poème rempli d’obscénités intitulé « La Pucelle ».

Son poème, qu’il a renié jusqu’à la mort comme il a renié toutes ses infamies, n’eut d’autre but que de faire haïr et Jeanne d’Arc et la France.

Voltaire a haï la France autant qu’il a aimé l’Angleterre

Voltaire a haï Jeanne d’Arc autant qu’il a haï la France.

L’influence de la Pompadour et de Voltaire sur les esprits du siècle et du roi participera à l’effondrement de la royauté chrétienne et ouvrira la voie à la marchandisation de tout.

Trois siècles et demi plus tôt, en 1429, la France couverte de cent-cinquante cathédrales magnifiques, d’un million sept cents mille clochers, de villes de toutes beauté, la France des villages florissants, la France de l’agriculture et de l’artisanat à la pointe du savoir-faire, la France joyau de l’Europe et fille aînée de l’Église, la France allait mourir.

Le dauphin Charles était le fils mal aimé d’un roi fou qui l’avait publiquement renié dans une crise de démence.

En 1429, âgé de 26 ans, il était le dauphin désavoué d’un royaume occupé par l’armée anglaise et ravagé par la guerre civile.

Il y avait alors deux camps : celui des Armagnacs défendait la légitimité royale et le modèle français, fondé sur les communautés villageoises prospérant sous la protection négociée de leurs seigneurs. Le camp des Bourguignons, anglophiles déjà, entendait passer dans le camp ennemi et contrôler la couronne au profit des villes, des banques, de la bourgeoisie et du commerce.

Tout n’était que meurtres, vengeances, passages de troupes qui ravageaient le pays, l’endettaient, saignaient le peuple et enfonçaient la France dans un océan de malheurs.

On ne reprendra pas ici la chevauchée de la jeune Lorraine qui, envers et contre tout et en quelques semaines, délivra Orléans de l’emprise anglaise et rejoignit Reims avec le dauphin qui y fut sacré roi de France, sous le nom de Charles VII, le 17 juillet 1429.

Jeanne d’Arc, âgée de seulement 17 ans et étrangère au monde des armes, surmonta les moqueries et les doutes. Soutenue par Yolande d’Anjou la belle-mère de Charles VII, mue par une foi inébranlable, guidée par ses voix et fidèle à l’enseignement de l’Église, elle rétablit l’autorité légitime qui finalement bouta l’Anglais hors de France et rétablit la paix.

Comment l’Église pu-t-elle désavouer une telle héroïne et sacrifier une si bonne chrétienne ? Le bûcher de Rouen n’est-il pas une macule honteuse sur l’Église de France qui condamna pour hérésie celle qui sauva la patrie ?

L’Église, vraiment ?

C’est l’Université de Paris qui mit tout en œuvre auprès des Bourguignons et du roi d’Angleterre, dès la capture de Jeanne à Compiègne, pour qu’elle soit jugée pour la foi. Le procès qu’on lui ferait n’avait qu’une seule issue possible, il en allait de l’honneur de l’Université, qui revendiquait auprès de toute la chrétienté, une suprématie devant laquelle même le pape devait plier.

L’Université c’était la science, c’était le savoir. A ce titre, c’est elle qui avait autorité pour dire le bien et le mal, le vrai et le faux, le juste et l’injuste. L’Université, au XVe siècle, c’était les jansénistes du XVIIe siècle, les Lumières du XVIIIe : une émanation de la chrétienté qui revendiquait de la réformer, de la régenter. Plus royaliste que le roi, plus chrétienne que le pape, bouffie d’orgueil et de d’ambition, l’Université de Paris, qui avait pris le parti de l’Angleterre, n’allait pas laisser une Jeanne d’Arc, qui avait fait sacrer le roi de France et s’en rapportait au pape, se dire envoyée de Dieu. Il n’en était pas question.

Quand, à l’injonction par ses juges d’abjurer ses erreurs, Jeanne répondit qu’elle s’en rapportait au pape, elle s’entendit répondre : « Il faut que vous vous soumettiez à notre mère sainte Église, et que vous teniez ce que les clercs et gens en ce connaissant ont dit et déterminé de vos dits et faits. »

Les « clercs et gens ce connaissant » étaient les membres outrecuidants de l’Université parisienne, à côtés desquels l’avis d’un pape devenait accessoire. Pour eux, s’en rapporter au pape n’était pas s’en rapporter à l’Église, a-t-on besoin d’une autre preuve ?

Le pape, lequel d’ailleurs ? Celui de Rome ou celui d’Avignon ? Au moment de l’arrestation de la jeune fille il y en avait trois, et devait s’ouvrir à Bâle un concile qui devait mettre fin au grand schisme d’Occident qui désolait la catholicité. Mais qu’importait puisque, quel que soit le pape, c’était l’Université de Paris qui détenait la vérité !

C’était elle la dépositaire des clés données à Saint-Pierre, elle en vint même à réformer le signe de croix… Elle combattit en même temps et avec la même fureur les prérogatives du pape et Jeanne la Pucelle. C’est par les ennemis acharnés de l’autorité pontificale que Jeanne fut condamnée.

L’Université de Paris avait en ce temps de singulières amitiés, on pourrait dire complicités avec des gens peu recommandables. Quand le 23 novembre 1408 la faction bourguignonne, en la personne du duc Jean 1er surnommé Jean-sans-Peur, avait fait assassiner le frère du roi, l’université fit rédiger par un des siens, Jean Petit, un véritable éloge du meurtre, justifié par le tyrannicide. La guerre civile qui s’ensuivit allait désoler la France jusqu’à sa libération par la Pucelle.

En 1418, quand les Bourguignons furent maîtres de Paris, le dauphin, futur Charles VII, mal aimé de sa mère et presque renié par son père, dut se replier sur Bourges.

L’Université était bourguignonne, on dira bientôt anglo-bourguignonne. Quand Jean-Sans-Peur mourut à son tour assassiné sur le pont de Montereau, les Anglais, qui ne cessaient de pousser leurs pions en Normandie, eurent la voie libre pour conquérir le reste.

L’Université, dont Jean-sans-Peur avait été le protecteur cria vengeance et organisa la riposte en poussant à la coalition entre le fils du défunt, le duc Philippe, la mère de celui-ci, Isabeau femme du roi de France et l’Anglais, Lancastre. Ce sera l’inconcevable traité de Troyes qui préparait le dépeçage de la France.

Le 21 mars 1420, l’Université députait à Troyes ses ambassadeurs (parmi lesquels Pierre Cauchon) qui allaient de toute leur autorité morale, soutenir le calamiteux traité : Catherine, sœur du dauphin Charles, était donnée comme épouse au roi d’Angleterre qui convola le 2 juin suivant. Le roi d’Angleterre devenait gendre du roi de France, son fils deviendrait héritier du royaume.

Henri V d’Angleterre rendit l’âme le 31 août 1422, Charles VI mourut à son tour deux mois et demi plus tard : un bébé de 9 mois, devenait roi de France et d’Angleterre. La France allait devenir anglaise.

L’Université de Paris jura d’observer le traité et désormais, pour pouvoir être gradué de l’université parisienne il faudrait jurer d’observer le traité de Troyes, dit « traité de paix ». Pierre Cauchon reçu l’évêché de Beauvais… Le dauphin Charles, qu’on accusait d’avoir participé à l’assassinat de Jean-sans-peur, fut condamné au bannissement, l’oncle du bébé, duc de Bedford, devenait régent des deux royaumes. La France n’était plus.

Comment l’Université de Paris, qui avait prêté allégeance au roi d’Angleterre, aurait-elle pu reconnaître l’inspiration divine de celle qui, en rétablissant l’autorité du roi de France, avait contrecarré ses plans et rendu totalement illégitime l’odieux traité de Troyes ? Faire condamner la Pucelle était pour elle une question vitale. Elle n’eut nul besoin de la pression anglaise pour dire Jeanne hérétique. L’orgueilleuse corporation savait mieux que le pape ce qui était chrétien, mieux que quiconque qui était roi de France, elle allait se charger de discréditer la libératrice.

Quand les Bourguignons se saisirent de Jeanne à Compiègne le 25 mai 1430, l’Université toutes affaires cessantes, envoya sur place Pierre Cauchon pour qu’on la lui livre. C’est lui qui organisa qu’elle soit vendue aux Anglais. C’est lui qui fut chargé de la faire condamner. Derrière l’odieux évêque s’exprimait l’Université de Paris, opposant par principe à toute autorité au-dessus d’elle comme fera deux siècles plus tard, le Parlement de Paris qui dira mieux que le pape et le roi où se situent le bien et le mal et qui doit gouverner la France.

Sait-on que d’autres femmes que Jeanne se sont dévouées à la cause de la France souveraine ? On a évoqué Yolande d’Anjou qui ne cessa de soutenir le parti de son gendre et de la Pucelle, mais connaît-on Pierronne de Bretagne ? Elle faisait partie de ces femmes qui soutenaient Jeanne dans ses campagnes. Arrêtée à Corbeil par les Bourguignons un mois avant Jeanne, elle assura que Dieu était avec elle et, déférée à Paris, elle fut jugée, reconnue coupable et brulée vive le 3 septembre de la même année, neuf mois avant celle qu’elle disait inspirée de Dieu, parce qu’elle la disait inspirée de Dieu.

Il faudra que l’Église retrouve son unité pour qu’elle reprenne en main l’odieux procès. Un quart de siècle plus tard Calixte III, à qui l’Université de Paris n’opposait plus la tutelle d’aucun concile pour asseoir son autorité, à la demande de la famille de Jeanne constitua à Rouen un authentique tribunal ecclésiastique qui réhabilita la Pucelle. Sa condamnation n’avait pas été l’œuvre de l’autorité ecclésiastique légitime, sa réhabilitation le fut.

Brisant le cercle qui isolait le dauphin et le désespérait, Jeanne a rendu le roi à la France et la France au roi tout en jurant fidélité à l’Eglise.

La France de Jeanne est celle de l’amour de Dieu et de la patrie, qui respecte le travail, aime sa terre, protège les petits, et donne aux femmes, quand les hommes n’y croient plus, le pouvoir de leur montrer la voie du salut.

Pour rédiger ce texte, je me suis servie notamment de :

L’Université de Paris au temps de Jeanne d’Arc, et la cause de sa haine contre la libératrice, par Jean-Baptiste-Joseph Ayroles, de la Compagnie de Jésus

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