Depuis quelques semaines l’actualité est occupée par des opérations militaires que la Russie a commencées contre son voisin, l’Ukraine (au passage, le Docteur Poutine s’est avéré particulièrement efficace pour purger l’actualité de la question ressassée de la crise sanitaire !).
Nous voulons présenter ici quelques réflexions. Afin d’éviter toute équivoque, nous précisons qu’elles n’engagent que nous-mêmes à titre personnel, et non en tant que représentant ou membre de tel ou tel groupement ou mouvement.
Et tout d’abord nous rappellerons la ligne de force de notre réflexion : « la France, la France seule » (Maurras).
L’entrée des troupes russes en Ukraine a scandalisé les libéraux et les européistes. Elle a aussi inquiété, à plus juste titre, nos amis polonais ou baltes. En sens inverse, en France, certaines voix, notamment à l’« extrême droite » l’ont appréciée favorablement. Dans le premier cas il s’agissait de solidarité entre démocrates, et, souvent, dans le second, de personnes qui admirent un pouvoir fort. Des deux côtés, il s’agit plutôt de tempérament que de réflexion. Ajoutons à cela les déferlements sentimentaux dont nous abreuvent les médias… Quant à nous, nous voudrions seulement examiner cette crise avec un peu de recul et de rationalité. Il y a bien sûr des morts et des blessés des deux côtés, et l’on ne peut que les plaindre et souhaiter la fin de leur épreuve. Néanmoins ce n’est pas les injurier que de dire que ces affrontements n’ont rien à voir en importance et en intensité avec la bataille de Verdun… Les médias en rajoutent beaucoup, et les cocoricos de ceux qui appellent à une résistance illimitée préludent probablement un abandon dès lors que les contre-sanctions économiques russe vont peser un peu sur le confort occidental. Le gaz étouffera le courage. La modération allemande s’explique déjà par là. De même des États-Unis ne veulent-ils pas fermer leur espace aérien aux Russes, ce qui laisse penser que leur volonté de contre-offensive est extrêmement limitée.
À vrai dire, aucun des deux dossiers n’est blanc ou noir. Que l’on en juge :
• Le dossier ukrainien : l’Ukraine est devenue un État lors de l’éclatement de l’Union soviétique. Il existe une langue ukrainienne et, dans le passé, il y a eu des tentatives politiques d’indépendance ukrainienne. En outre cette région regarde vers l’Occident : une partie de son territoire a été polonaise. Et les Ruthènes, situés à l’ouest de l’Ukraine, ont été intégrés de force à l’Union soviétique. Ajoutons que l’Ukraine occidentale compte de nombreux catholiques « uniates. » L’on peut comprendre dans une certaine mesure que des Ukrainiens veuillent échapper à la botte russe (depuis l’extension du servage par la grande Catherine jusqu’à la famine organisée par Staline) et rêvent à créer une nation indépendante regardant vers l’Occident (Cf le souvenir de l’hetman Mazeppa)
. Le dossier russe : historiquement la première Russie est la Rous de Kiev. Soljénitsyne, qui n’était pas un bolchévique, pensait que les Russes –Grand-Russiens–, les Biélorusses –Blancs Russiens- et les Ukrainiens–Petits Russiens– devaient rester unis. Ces peuples ont une histoire commune et les langues ukrainiennes et russes sont proches… L’indépendance de l’Ukraine peut être comprise comme un démembrement par les Russes (en revanche, l’on doit déplorer qu’il n’y ait jamais eu de décommunisation en Russie, où le souvenir de Staline et du sinistre Djerjinsky est toujours vivant, avec l’accord du Président : cette considération peut inciter certains ukrainiens a souhaité s’éloigner de l’attraction russe).
On ajoutera que la propagande russe est particulièrement détestable lorsqu’elle prétend, en se fondant sur l’existence de quelques groupuscules, que l’Ukraine est aux mains des nazis. Il paraît peu probable que l’ex-saltimbanque qui dirige l’Ukraine et qui met en avant son origine juive puisse être taxé de nazisme. Faut-il rappeler par ailleurs que Monsieur Poutine est un ancien dirigeant du KGB, organisme qui brandissait souvent, à tort et à travers, l’antifascisme comme une arme de destruction de ses adversaires ?
L’épisode militaire actuel montre une Russie prête à faire usage de la force pour appliquer la théorie du fait accompli. Elle l’a déjà fait à propos de la Crimée (pour laquelle elle allègue ses titres historiques et l’appui de la population locale). De son côté l’Ukraine n’a pas appliqué les accords de Minsk qui prévoyait l’autonomie des régions russophones du Donbass. Ajoutons à cela la politique américaine qui a tentée d’établir dans les Etats successeurs de l’Union soviétique, grâce à des « révolutions orange » influencées par elle, des gouvernements pro-américains et anti russes. De son côté, la Russie, marquée par son complexe obsidional, souhaite maintenir des protégés, (souvent ex cadres communistes) à la tête de ces Etats (comme elle a fait en Biélorussie ou au Turkménistan). L’on peut mettre en balance d’un côté le désir ukrainien d’échapper à l’attraction de son puissant voisin russe, et d’autre côté la crainte russe de voir l’Ukraine rejoindre l’OTAN et permettre l’implantation sur son territoire d’armes menaçantes… Enfin, pour envenimer le tout, la crise voit les protagonistes russes et occidentaux user d’un style cassant et parfois provocateur que l’on devrait éviter d’utiliser entre puissances atomiques.
Il convient avant tout de garder la tête froide et de ne pas céder aux émotions et aux délires médiatiques. Dans cette affaire, notre pays devrait adopter une attitude pacificatrice. Il n’est pas chargé d’arbitrer entre le KGB la CIA. L’affaire ne se solutionnera que par des négociations et par une paix sincère. Pour cela la diplomatie, et donc les contacts entre chancelleries loin des débats de la place publique, paraît la seule voie. Si l’on veut que la paix, « tranquillité de l’ordre », soit solide, la prise en compte des aspirations des deux parties est nécessaire. Personne ne doit perdre la face. Il faut cesser d’injurier ou de tenter de blesser la Russie, tout en lui faisant comprendre qu’elle-même doit baisser le ton et se calmer. Il faut aussi que l’Ukraine cesse de vouloir forcer la porte des institutions occidentales, OTAN (l’Ukraine est bien loin de l’Atlantique Nord…) ou Union européenne (dont elle ne remplit pas les critères d’admission), et qu’elle accepte une neutralisation militaire. Le maintien de son indépendance paraît à ce prix.
L’avenir passe-t-il par une réactivation des accords de Minsk, ou par des concessions territoriales ukrainiennes ? Les négociations risquent d’être longues et délicates, et les pays d’Occident, dont la France, auraient intérêt à les suivre de près, d’autant plus que des « extérieurs » pas nécessairement bienveillants, comme la Turquie et la Chine, se proposent pour jouer les bons offices…
François Marceron
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