Le 5 juin dernier, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis ont annoncé la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar, ainsi que d’importantes mesures de rétorsion : fermetures des frontières terrestres et maritimes, suspension des liaisons aériennes, restrictions sur les déplacements de personnes.

Aussitôt, l’Egypte, le Yémen, Bahreïn et les Maldives ont emboité le pas : sous perfusion financière de l’Arabie Saoudite, ces pays n’ont rien à lui refuser.

Le grief avancé fait sourire, puisque qu’il concerne « le soutien au terrorisme ». Il est vrai que le Qatar a soutenu des groupes islamistes pratiquant le terrorisme, notamment en Syrie. Mais chacun sait que l’Arabie Saoudite a fait exactement la même chose (mais en faveur de groupes rivaux) et que plus largement, par le biais du financement de mosquées salafistes dans le monde entier, elle a plus fait pour le développement du terrorisme qu’aucun autre pays au monde.

En réalité, deux raisons plus sérieuses expliquent cette soudaine décision.

La première tient à l’excessive modération du Qatar à l’égard de l’Iran. La grande puissance chiite, remise en selle grâce à ses succès dans le conflit syrien et à l’accord sur le nucléaire signé en juillet 2015 avec les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, est l’ennemi mortel de Riyad. Pour des raisons religieuses bien sûr mais, au-delà, pour la domination du Proche-Orient.

La cause de cette modération qatarie, bien réelle, est simple : l’Iran et le Qatar se partagent un gigantesque gisement gazier dans le Golfe persique et cela nécessite un minimum de dialogue. Et puis Riyad et Doha ne s’aimant guère, il est bien évident que le second ne va pas suivre aveuglément les diktats diplomatiques du premier.

La deuxième raison, plus importante encore, est le soutien constant du Qatar envers les Frères musulmans. Cette fameuse société a été fondée en 1928 en Egypte. Organisation intellectuelle prônant le renouveau de l’islam, elle est officiellement hostile à la lutte armée. La réalité est plus complexe, mais ce qui est certain c’est qu’il y a une rivalité très forte entre les salafistes et les Frères musulmans pour la suprématie au sein de l’islam sunnite.

L’Arabie Saoudite, en tant que principale puissance salafiste, ne peut que regarder d’un mauvais oeil tout soutien à cette organisation concurrente dont l’influence est importante dans plusieurs pays arabes : en Egypte bien sûr où elle a même été au pouvoir avec Mohamed Morsi jusqu’au coup d’Etat du Maréchal Sissi. Au sein du Hamas palestinien ensuite (c’est une des causes du rapprochement entre Israël et l’Arabie Saoudite), en Turquie depuis longtemps, en Jordanie également.

L’un de ses succès d’influence les plus réussis concerne l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme, le fameux OSDH. Installé à Londres (longtemps soutenu par les services secrets britanniques), il est aujourd’hui l’unique source d’information (de désinformation devrait-on dire) de nombreux medias occidentaux sur le conflit syrien. Ses informations orientées et distillées en fonction des intérêts ponctuels des groupes armés islamistes ont beaucoup contribué à entretenir la fiction de rebelles modérés.

Le Qatar est donc le principal soutien des Frères musulmans et l’Arabie Saoudite ne l’accepte plus. Ainsi, Doha abrite plusieurs chefs du Hamas et Ryad exige qu’ils soient expulsés et livrés aux Israéliens. Le paradoxe n’est qu’apparent quand on examine le fond des choses…

Le plus cocasse dans la mise au ban du Qatar, c’est que les Américains ont été pris de court.

En effet, à aucun moment, ils n’ont été informés de la décision saoudienne. Mieux, ils ne l’approuvent pas et, embarrassés, appellent au dialogue et à la modération. Tout comme la France d’ailleurs, qui ne voit pas d’un bon oeil une brouille durable s’installer entre ses deux principaux alliés arabes.

En réalité, cette offensive saoudienne inattendue est la conséquence directe de la récente visite calamiteuse de Trump à Riyad (voir notre article précédent).

En dénonçant, contre toute raison, l’Iran comme l’axe du mal (les Américains adorent désigner des méchants à l’opprobre internationale), et en faisant à nouveau de Riyad le pivot de la politique américaine dans la région, Trump lui a donné, sans même s’en rendre compte, un blanc-sein, un droit d’agir sans retenue dont on voit déjà le premier résultat.

Ironie de l’histoire : aujourd’hui la seule puissance capable de parler à tous dans la région, c’est la Russie.

Antoine de Lacoste

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