Depuis que la chasse turque a abattu un bombardier russe (ce qui n’a rien d’un exploit technique), les relations entre les deux pays étaient devenues glaciales. D’autant que le pilote russe blessé a été achevé dans des conditions horribles par des insurgés islamistes d’ethnie turkmène, financés et armés par le régime turc. Cela se passait dans la province d’Idlib, le long de la frontière turque.
Les mesures de rétorsion russes ont été durement ressenties en Turquie : plus de touristes, plus d’exportation de fruits et légumes, et, cerise sur le gâteau, quelques missiles sol-air discrètement livrés aux kurdes du PKK qui ont permis d’abattre plusieurs hélicoptères turcs. Il fallait tout de même que le mort soit vengé par d’autres morts, le langage économique ne suffit pas toujours.
Erdogan a trouvé à qui parler…
Le pseudo coup d’Etat de l’armée contre le pouvoir turc a changé la donne. En effet la répression et l’épuration qui ont suivi ont effarouché nos régimes droits de l’hommistes en Europe. Surtout lorsque qu’Erdogan a parlé de rétablir la peine de mort. Beaucoup de choses sont possibles dans le monde moderne mais la peine de mort est devenu le tabou absolu : les gouvernements occidentaux ont alors rappelé qu’une adhésion européenne dans ce contexte (vieux rêve chiraquien) s’éloignait irrémédiablement.
La Turquie a d’autant plus mal pris la chose qu’elle venait de promettre à Merkel de ne plus ouvrir les vannes des migrants. Ca ne lui coûtait d’ailleurs pas cher, le mal était fait pour l’Europe..
Erdogan, qui n’est pas un novice, s’est rendu compte qu’il s’était isolé de trop de monde : de la Russie, de l’Europe, des Chiites bien sûr mais aussi des régimes sunnites peu enclins à accepter son rêve de devenir la grande puissance du monde arabe. Or, en diplomatie, il ne faut pas être seul.
Il a donc fait le pas nécessaire : les observateurs avisés l’ont compris cet été lorsque de discrets entrefilets ont rapporté que la Turquie présentait ses excuses à la Russie pour l’affaire du bombardier . Qu’un chef d’Etat musulman présente ses excuses à un chef d’Etat chrétien, cela en disait long sur sa volonté de réconciliation. Un Canossa à la musulmane…
La suite coulait de source, Poutine et Erdogan se sont parlés, par intermédiaires puis directement.
Les Russes ont autorisé alors les Turcs à franchir la frontière syrienne pour, sous prétexte d’attaquer l’Etat islamique, couper en deux les forces kurdes afin de les empêcher de faire leur jonction et de créer un territoire autonome dans le Nord de la Syrie. De son côté , la Turquie s’est engagée à contrôler sa frontière et empêcher le ravitaillement en hommes et munitions des islamistes. Cela ne signifie pas que ces derniers n’auront plus d’armes, la CIA veillant à leur en fournir, mais c’est déjà ça. On constate d’ailleurs que les volontaires internationaux de l’Etat islamique n’arrivent que très difficilement à entrer en Syrie maintenant.
Et puis les discussions gazières ont repris et on reparle d’un gazoduc russo-turc.
Certains ont été troublés par ce réchauffement diplomatique : pourquoi Poutine acceptait les excuses turques et rencontrait le potentat islamiste ?
On pourrait répondre un peu familièrement : « pour embêter les occidentaux ». Il y a de ça mais c’est un peu rapide. C’est en fait surtout très habile.
Le dossier syrien est totalement entre les mains de Poutine. Son intervention a sauvé le régime, et par la-même les chrétiens syriens (majoritairement orthodoxes). La coalition se cantonne en Irak. Seuls quelques drones ciblés sur les dirigeants de l’Etat islamique sont la marque d’une présence américaine, mais l’administration Obama prend soin de laisser les Russes mener leur stratégie.
Les européens, totalement hors jeux, se sont trompés depuis le début. Aucune initiative intéressante et des déclarations aussi inutiles que tapageuses contre Bachar et Poutine : bref le néant.
Alors un rapprochement russo-turc ne fait qu’accentuer l’inutilité de l’Europe et prépare le futur affrontement (diplomatique) avec les Etats-Unis si par malheur Hilary Clinton est élu. Cette dernière, très interventionniste par nature, trouvera en face d’elle la Russie et l’Iran et pourra moins s’appuyer sur la Turquie qu’auparavant.
C’est donc tout bénéfice pour Poutine qui , une fois de plus, fait la démonstration de sa supériorité tactique.
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