Même si le ton est parfois grinçant, un peu comme agacé de découvrir une réalité qu’il ignorait, le fond est bon et on a l’impression que Yann Moix, pourtant peu suspect de conservatisme, découvre et admet les bienfaits du régime monarchique. Et les réponses du duc d’Anjou semble éveiller un sentiment enfoui, celui d’une aspiration à une transcendance trop longtemps niée.
Article de Yann Moix dans Paris Match du 29 septembre 2016
Louis, duc d’Anjou
Il est prétendant au trône de France
« On ne sait jamais, disait Sagan, ce que le passé nous réserve. » C’est une phrase dont Sa Majesté Louis XX, looké comme un trader qu’il n’est pas, et à qui j’accepte bien volontiers de donner du « Monseigneur », ne peut que faire son miel. Descendant des Bourbons, branche espagnole, le duc d’Anjou, avec sa belle gueule d’acteur hollywoodien, est notre roi. Sa royauté loge dans son sang et son royaume, dans ses rêves.
Ironiquement, il me donne rendez-vous (pardon : il me reçoit) avenue Hoche, et Hoche est le plus grand général de la Révolution, qui en outre mata la chouannerie. Et, qui plus est, dans un cabinet d’avocat, comme pour se défendre de vouloir redonner à la France, « pays déliquescent », l’autorité naturelle qui lui manque aujourd’hui : celle d’une transcendance à la fois politique et divine.
Monseigneur ne s’excuse pas d’être ce qu’il est, veut être, veut re-être : non point le successeur de 1848 mais le continuateur de 1830 ; non pas, bien que banquier, porter le chapeau haut de forme de Louis-Philippe, roi des Français, mais la couronne de Charles X, roi de France. Pas de trône sans autel. Je lui demande si la monarchie de Juillet est la monarchie de l’imposture ; non seulement il acquiesce, mais ne comprend même pas qu’une telle question puisse se poser. Il m’affirme toutefois que ses relations avec la famille d’Orléans (« ce sont quand même mes cousins ») sont au beau fixe.
Comme Napoléon III, il se veut proche des pauvres, et affiche un souci permanent de la question sociale. Mais il rechigne, très fermement, et très étonnamment, à faire campagne : c’est aux Français de venir le chercher. Démarcher n’est pas digne de sa stature et, même si cela peut paraître vain que de vouloir régner sans le faire savoir, c’est là une posture qui, dans le monde parasitaire des médias incessants et des démagogies perpétuelles, apparaît révolutionnaire. On pourrait se gausser, regarder de haut cette incarnation étrangement yuppie de la France éternelle. De grâce, ne nous moquons pas trop : la monarchie était également très inimaginable en 1814 et en 1830. Il suffirait, glissé-je à Monseigneur, qui acquiesce, que Jacques Juilliard, Marcel Gauchet, Pierre Nora et Alain Finkielkraut organisent un colloque et publient huit tribunes sur le thème « une nouvelle Restauration est-elle souhaitable ? » pour que le pays du régicide se pose (calmement ?) la question. N’a-t-on pas la sensation d’avoir tout essayé ?
Et les Français ne sont-ils pas chagrins, en réalité, d’avoir, depuis la disparition du septennat, perdu toute possibilité de ces pseudo-restaurations qu’étaient les cohabitations ? En cohabitation, le président de la République trône, il lévite, il incarne. Mitterrand 1986 et 1993, Chirac 1997 : des rois populaires. « Non pas un roi qui se sert de la France, mais un roi qui sert la France », me dit Louis XX avec son inénarrable accent espagnol, qui paradoxalement le rend plus européen que quiconque. Il déteste le laïcisme, cette religion de l’outrance. Et pense que c’est par la religion catholique, à partir d’elle et non contre elle, qu’il faut penser l’islam ; idée plus moderne qu’il n’y paraît : le catholique doit, par devoir autant que par définition, faire place, toute sa place, à l’autre, à l’étranger, au migrant. Ce n’est pas en dissimulant ses racines christiques que l’on peut sortir de la crise, mais en les affirmant.
Si la France ne se respecte plus, c’est, pour Sa Majesté Louis XX, héritier du trône, parce qu’elle ne respecte plus ses représentants. S’il y a crise, c’est d’abord avant tout une crise de légitimité. Le roi est vivant, vive le roi !
Par Yann Moix
Paris Match du 29 septembre 2016
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