Il faut se rendre à l’évidence, Hollande n’est pas De Gaulle, et nul n’a cherché à attenter à ses jours le 15 août au mont Faron. On n’avait pas non plus déploré d’attentat lors du pèlerinage sur le lieu où Jaurès a été assassiné, ce qui est autrement remarquable. Ce jour-là Hollande paraissait oublier que Jaurès fut visé en tant que pacifiste, ce dont lui-même ne risque pas d’être suspecté.

Les théoriciens pourraient récuser cette évidence en posant l’équivalence de principe entre pacifisme et socialisme mais le maître es habiletés Mitterrand ne s’y est jamais risqué, et s’est contenté d’assimiler le nationalisme à la guerre. Ce genre de vérité prudhommesque le dispensait d’élargir la perspective, au risque de trouver aux origines des nationalismes européens un « patriotisme » français dont la charge idéologique a d’abord abusé les peuples « affranchis ». Cette ambiguïté reste savamment entretenue, la loi se gardant encore, par exemple, de préciser si notre 14 juillet actuel célèbre 1789 ou 1790, la prise de la Bastille ou la Fête de la Fédération, la guerre civile ou la paix civile. Ainsi le patriotisme français peut-il esquiver encore aujourd’hui le discrédit attaché au nationalisme, ainsi que sa responsabilité – au moins hors de nos frontières – dans les bains de sang européens. Les plus indécents des idéologues allèrent jusqu’à édifier au lendemain de 1918, des monuments aux « morts pour la paix », ce qui recule les bornes de l’impudence en faisant parler les morts pour les faire mentir aux générations futures. Nous ignorons le sentiment de Bernanos sur ce détournement, et pour cause : coquin ne faisait pas partie de son répertoire. « On a fait de nous des héros » se bornait-il à reprocher aux politiciens maquignons.

Qu’importe puisque cette traditionnelle phraséologie pacifiste de la gauche se trouve aujourd’hui réduite au silence par le « tweetage » présidentiel sur le pont du porte-avion Charles de Gaulle. Le terme tweet nous vient à point nommé pour nommer cette scansion courte et confuse où candeur et cynisme paraissent s’épauler comme compagnons de beuverie. Nous avons eu droit ce 15 août à un feu roulant de déclarations de guerre, au fanatisme, à l’intolérance, à l’injustice, au racisme, etc, etc, qui reléguait Bush II au rang de doux rêveur avec sa « guerre contre le terrorisme ». Voltaire voulait « écraser l’infâme », mais ne se souciait pas de l’infamie. Chez Bush et Hollande, la méprise, « elle » est là ! A Brejnev, on prête une sinistre plaisanterie sur sa future guerre pour la paix, mais cela restait une plaisanterie entre collègues du Politburo. Mais les socio-démocrates ne plaisantent pas.

Il ne s’agit donc plus de guerre à la guerre mais de guerre au mal, au moins dans ses manifestations politiques. C’est oublier évidemment toute la philosophie politique qui pense depuis ses origines les rapports et les distinctions nécessaires entre la politique et la morale, et aussi toute l’expérience des Etats qui ont appris à se méfier des arbitres pour régler leurs litiges : saint Louis reste une exception en raison de sa justice, de son autorité et aussi de sa force garante de son indépendance. Le réalisme du saint mérite d’être rappelé car il conduit, au delà des questions de procédures, au cœur du problème. Le mal fait partie de la condition humaine et se manifeste inévitablement dans les Etats. Hollande rêve-t-il d’interdire le mal collectif, c’est-à-dire de déshumaniser le politique ? Ceci jetterait un jour étrange sur ses réformes sociétales et les théories qui les sous-tendent, mais obscurcirait encore la question présente, puisque leur logique « libérale » tendait à nier le mal. Ce n’est manifestement pas la logique dont il se réclame en politique internationale.

Il faut donc aborder la notion de mal, pour seulement rappeler que si toutes les sociétés connaissent le mal, elles ne lui donnent pas les mêmes formes, et que les présentes conceptions postchrétiennes occidentales paraissent vouées à faire l’unanimité contre elles. Rappelons encore que le propre des idéologies est de véhiculer des idées au service d’intérêts, ce qui explique que le politique y recoure si volontiers avec l’aide de la presse au service de ces mêmes intérêts. Autant par ses propos que par ses interventions solitaires au Mali et en Centrafrique, Hollande renoue en Afrique avec la plus ancienne tradition coloniale de la France « émancipatrice et civilisatrice », pour aider, éduquer, implanter la démocratie, faire et défaire les régimes, en conservant au moins du néocolonialisme une transaction particulièrement douteuse : l’immigration comme soupape de sécurité à des sociétés traditionnelles déracinées par l’exploitation de leurs sol et sous-sol, pour la survie de pouvoirs égoïstes. Mme Eva Joly a su décrire le phénomène mais sans se demander pourquoi les agissements des multinationales perduraient dans ces seules régions. Le retour du colonialisme idéaliste et intéressé s’accompagne ainsi d’une exhortation présidentielle à la jeunesse africaine à être digne de ses pères qui ont débarqué en Sicile et sur nos côtes méditerranéennes. Non, le social-démocrate ne plaisante pas…

Au Moyen-Orient la politique du tandem Hollande-Fabius se veut belliqueuse et systématiquement ignorante des leçons du printemps arabe, mais peine à identifier son ennemi. En Syrie, Hollande a dû abandonner celui désigné d’abord, Bachar el-Assad, en raison des hésitations américano-israéliennes sur le « bon cochon à tuer ». Aujourd’hui sa consigne est de changer de camp, en commençant par promettre des armes en Irak contre l’allié potentiel d’hier en Syrie. Cette reconversion devrait comporter un certain rapprochement avec l’Iran mais il se trouve que M. Fabius, par malheur éveillé et inspiré par l’affaire du nucléaire iranien au point d’éblouir la diplomatie américaine sur son propre terrain, n’a pas simplifié cette évolution de nos alliances !

L’actualité en Ukraine, chargée de tout le poids d’une longue Histoire, ne peut être analysée ici. Rappelons seulement qu’à tort ou à raison, Kissinger a critiqué l’amateurisme d’une technostructure européenne qui aurait provoqué les réflexes de la realpolitik russe, et surtout que les postures de Poutine et de Hollande sont trop opposées pour permettre à la France un rôle constructif : entre autres, à tort ou à raison, Poutine est chez lui un chef d’Etat approuvé. Concernant l’attitude des Européens en Ukraine, un commentaire s’impose pourtant, qui ramènera au Moyen-Orient.

Obama reproche aux Européens leur faiblesse dans cette crise, alors qu’il est le dernier à pouvoir s’y autoriser. L’Europe dépend de la Russie sur le plan énergétique, ce qui limite sa marge de manœuvre et implique aussi, pour maintenir l’équilibre, un surcroît de dépendance militaire à l’égard des USA. Or c’est la prétendue maladresse américaine qui a mis le pipeline géorgien à portée des canons russes et contraint à son abandon. Sa politique arabe maintient son contrôle sur un pétrole dont elle-même pourrait maintenant se dispenser. La politique permanente de la France sinon de l’Europe aurait consisté à conserver ou à s’ouvrir un accès au pétrole en Lybie comme en Irak, en ménageant pour cela le pouvoir syrien comme l’autorisait l’expérience des printemps arabes, voire en l’Iran. Certes l’Iran et la Russie s’accordent pour verrouiller l’accès des Européens au pétrole des républiques musulmanes, mais ceux-ci auraient pu tenter de desserrer l’étau par une attitude conforme à leurs intérêts c’est-à-dire plus prudente à l’égard de l’Iran. On le sait, dans toutes ces questions, les Européens ont suivi la politique américaine, quand ils ne l’ont pas devancée. Ils ont même contribué à instaurer en Serbie sous le nom de Kosovo une base US, mafieuse et musulmane, fournissant du même coup à la Russie une jurisprudence dont l’Europe n’a pas fini de faire les frais.

Ce bref survol permet au moins de mesurer la distance entre une politique française et celle suivie par l’occupant de l’Elysée. Il dispose pour cela d’une armée de métier qui lui permet de dilapider sélectivement le sang de France dans l’indifférence générale et pour la satisfaction sans doute des petits maîtres de Terra nova pour qui c’est faire coup double. A l’heure où la moindre insignifiance se voit qualifiée de « citoyenne », il n’envisage pas de revenir à l’armée de citoyens dont Athènes et la république romaine ont donné le modèle. La démocratie en tant que kratos, pouvoir autoritaire et contraignant, préfère disposer d’un outil coupé de la société civile, dont elle peut user et abuser tandis que la « grande muette » persiste à placer son honneur et sa fidélité dans un dévouement qui a peu à voir avec l’obéissance[1].



[1] Simone Weil, La pesanteur et la grâce, Agora, 1988, p. 178.

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