La marine américaine vient de mettre enfin un terme au pire scandale de corruption de son histoire. L’entrepreneur Leonard Glenn Francis, basé à Singapour, avait quasiment le monopole du ravitaillement des navires de guerre et des sous-marins américains dans les ports de toute l’Asie. Il facturait des ardoises très salées, pour des centaines de millions de dollars en 2011. Les enquêtes pour fraude, bizarrement, n’aboutissaient jamais. « Fat Leonard », comme on l’appelait à cause de ses 150 kilos, arrosait tout le monde, des officiers de marine jusqu’aux agents même du NCIS, le célèbre service d’enquêtes criminelles de la marine des États-Unis.

« Fat Leonard » était devenu une légende au sein de la marine américaine, pour les gigantesques orgies qu’il organisait pour les marins. Le Quartier Général de la Flotte du Pacifique des États-Unis étaient tellement préoccupé par le problème qu’il avait essayé de décourager le personnel de la Marine d’accepter les faveurs de Francis. Mais ses efforts étaient systématiquement entravés par des amiraux, amis de « Fat Leonard ».
En dépit de signes croissants de fraude, la Marine continuait d’attribuer des contrats de fourniture à la société de l’entrepreneur singapourien, Glenn Defence. En 2011, Glenn Defence empochait encore 200 millions de dollars des Américains pour ses service dans les ports s’étendant de l’Extrême-Orient russe à l’Australie.

Glenn Francis avait méthodiquement payé un réseau d’informateurs au sein de la Navy. Il avait des espions à l’intérieur du bureau régional de la Marine à Singapour, à l’ambassade des États-Unis à Manille jusqu’à la salle de garde de l’USS Blue Ridge, navire de commandement qui sert de navire amiral à la 7e flotte de la Marine en Asie.
En échange d’argent, des services de prostituées ou de vacances de luxe offertes dans les meilleurs hôtels, les informateurs de Francis lui communiquaient des dossiers classés et des informations sur l’avancement des enquêtes pour fraude à son encontre. Une de ses « taupes » les plus précieuses était John Beliveau II, un superviseur au sein même du NCIS !

En juin 2006, un officier de marine à Hong Kong rapportait au NCIS que Glenn Defence avait surfacturé la marine de 68 000 $ pour pomper les eaux usées du porte-avions USS Ronald Reagan lors d’une visite au port de trois jours. Un agent de NCIS, basé au Japon, avait obtenu les factures et enquêté cinq jours. Mais plutôt que de poursuivre, il avait clôturé l’affaire et avait démissionné de l’armée. Aujourd’hui, il témoigne :« Des membres de la Marine ont fait de ma vie un enfer quand ils ont appris que j’enquêtais sur Glenn Francis ». Le commandant du porte-avions Reagan, notamment, faisait partie des invités réguliers de « Fat Leonard »…

En même temps que les préoccupations éthiques, le Quartier Général de la Flotte du Pacifique s’alarmait du coût des factures de Glenn Defence. Bien que la firme ait reçu de bonnes critiques pour son service et sa fiabilité, la Marine était devenue inconfortablement dépendante de Glenn Defence dans plusieurs ports asiatiques, où « Fat Leonard » détenait le monopole du carburant et des fournitures. Il était devenu clair que Glenn Francis avait obtenu des contrats trop avantageux avec la Marine. Il avait toute latitude pour fixer ses prix.
Une équipe d’officiers d’approvisionnement et de logistique, basée à Hawaï, avait donc commencé à concevoir des tactiques pour empêcher Glenn Defence de facturer des services inutiles. Les agents d’approvisionnement soupçonnaient, par exemple, la société de Glenn Francis de surestimer le nombre de gallons d’eaux usées pompées. La solution fut d’équiper tous les navires et sous-marins d’une jauge pour mesurer le montant exact. « Il était juste trop gourmand » déclare un membre du service. « S’il n’avait pas exagéré, il aurait pu travailler pour la Marine pendant encore 100 ans. »

En dehors de la corruption, d’autres circonstances ont entravé le travail du NCIS. Après les attentats du 11 septembre 2001, par exemple, la plupart des agents du NCIS spécialisés dans les délits financiers avaient été réaffectés à la division antiterroriste. Avant cela, le NCIS avait 140 agents spéciaux dans le monde affectés à des crimes économiques. En 2002, il n’y en avait plus que huit et, jusqu’en 2008, le NCIS n’avait pas un seul agent stationné en Asie pour contrôler la fraude ou les crimes financiers. Les agents du NCIS enquêtaient surtout sur les pièces contrefaites ou de mauvaise qualité et Glenn Defense, sur ce point, avait la réputation de fournir un service fiable et de haute qualité. Pour le reste, « Fat Leonard » achetait beaucoup de bonnes volontés chez les amiraux et les officiers supérieurs de la Navy, les inondant de cadeaux et de repas princiers.

À l’été 2013, le NCIS a intentionnellement envoyé de fausses informations dans ses dossiers, déclarant que plusieurs enquêtes sur Francis avaient été fermées par manque de preuves. Le pari était qu’une des « taupes » de Francis lui transmettrait l’information, l’incitant à baisser sa garde. Cela a marché. « De bonnes nouvelles », écrivait Glenn Francis, en juillet 2013, à un de ses employés. « La Thaïlande et les affaires de la Corée ont tous été clôturées. Il reste seulement le Japon en attente ». Deux jours plus tard, pensant qu’il était tranquille, il s’envolait pour San Diego pour rencontrer deux amiraux de la Marine et obtenir de nouveaux contrats. Au lieu de cela, il était arrêté dans sa suite d’hôtel.
Outre Francis, 12 personnes – y compris un amiral et neuf autres membres du personnel de la Marine – ont plaidé coupable. Cinq autres accusés sont encore accusés, mais l’affaire ne semble pas avoir de fin. 200 personnes sont encore sujettes à enquête, parmi elles, environ 30 amiraux en exercice ou à la retraite. Les services de la Justice américaine ont ouvert une boîte de Pandore qu’ils essaient maintenant désespérément de refermer.
Mais Leonard Francis Glenn n’est pas décidé à être la victime expiatoire de ce gigantesque scandale qui illustre la faiblesse de la société américaine devant le veau d’or. Un de ses avocats, Ethan Posner, a déclaré que Glenn Defence possédait un « dossier extraordinaire » qui mettait en cause la sécurisation des navires de la Marine et la protection du personnel naval américain. L’avocat a refusé de commenter davantage, mais Fat Leonard est un homme d’affaires. Il pourrait bien signer un accord avec les autorités américaines en échange de son silence sur d’autres « affaires », bien plus sensibles, qu’essaie de dissimuler la Navy.

Source : Washington Post

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