Un document inédit, la retranscription d’un colloque privé, qui eut lieu le 11 septembre 1976 entre le pape Paul VI et Mgr Lefebvre, vient d’être dévoilé dans un livre italien La barca di Paolo (La barque de Paul), écrit par le père Léonard Sapienza, régent à la Préfecture de la Maison pontificale.
Le pape du concile Vatican II et de la Réforme liturgique reçut en ce jour de 1976, en audience à Castel Gandolfo, l’archevêque Lefebvre, récent fondateur du séminaire d’Ecône, à la tête de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X et grand opposant au dernier Concile, suspens a divinis parce qu’il refusait de célébrer selon le Novus Ordo Missae et de fermer son séminaire destiné à la formation traditionnelle des prêtres.
Si ce document a une valeur inestimable par son historicité, il ne révèle rien d’extraordinaire sur cette crise qui opposa Mgr Lefevbre à l’Église conciliaire. A la lecture de cette retranscription de la conversation entre ces deux hommes d’Église qui se connaissaient bien, on réalise cependant à quel point s’affrontaient déjà deux visions opposées sur le Concile et ses innovations, deux notions de la Tradition et de l’Église catholique. On saisit pareillement quelle importante bataille pour la Foi catholique entreprit alors le prélat français envers et contre tout, et tous, pape compris. Ces quelques lignes laissent aussi transparaître le respect de Mgr Lefebvre envers la fonction pontificale, sa profonde humilité, son désir de comprendre et de s’expliquer sans récrimination, mais surtout son indéfectible fermeté pour sauver la foi de toujours.
D’emblée le pape, qui en appelle à « l’ami », au « frère », qualifie pourtant la position de Mgr Lefebvre « d’anti-pape » :
« Je sais être un pauvre homme mais ici ce qui est en jeu c’est le pape. Vous avez jugé le pape comme infidèle à la foi dont il est le suprême garant. Peut-être est-ce la première fois dans l’histoire qu’une telle chose arrive. Vous avez dit au monde entier que le pape n’a pas la foi, qu’il ne croit pas, qu’il est moderniste, et ainsi de suite. »
Devant l’attaque, Mgr Lefebvre, tout en reconnaissant « qu’il y a peut-être eu quelque chose d’inapproprié dans mes paroles, dans mes écrits » ajoute cependant ne pas être seul, « avoir avec lui des évêques, des prêtres, de nombreux fidèles ». Il décrit au pontife « une situation dans l’Église après le Concile » qui est « telle que nous ne savons plus quoi faire. Avec tous ces changements ou nous risquons de perdre la foi ou nous donnons l’impression de désobéir. »
« Je voudrais me mettre à genoux et accepter tout ; mais je ne peux pas aller contre ma conscience. Ce n’est pas moi qui ai créé un mouvement », « [ce sont les fidèles] qui n’acceptent pas cette situation. Je ne suis pas le chef des traditionalistes… Je me comporte exactement comme je faisais avant le Concile. Je ne peux pas comprendre comment d’un seul coup on me condamne parce que je forme des prêtres dans l’obéissance à la saine tradition de la sainte Église.
« Beaucoup de prêtres et de fidèles pensent qu’il est difficile d’accepter les tendances qui sont apparues après le concile œcuménique Vatican II, sur la liturgie, sur la liberté religieuse, sur la formation des prêtres, sur les relations de l’Église avec les États catholiques, sur les relations de l’Église avec les protestants. On ne voit pas comment tout ce qu’on affirme est conforme à la saine Tradition de l’Église. »
Un dialogue de sourds s’installe entre ces deux hommes qui, chacun à leur manière, ont présidé à la destinée de l’Église catholique et ont influé, sur son auto-démolition pour l’un, sur sa survie pour l’autre.
Le pape accuse Mgr Lefebvre de l’avoir critiqué durement lors de la fameuse grande-messe de Lille. Mgr rétorque qu’« il a le droit de se défendre. Les cardinaux qui m’ont jugé à Rome m’ont calomnié ». Il brosse ensuite le portrait désolant des séminaires diocésains et des monastères :
« Quand je regarde les autres séminaires, je souffre : il y a des situations inimaginables. »
Mais Paul VI ne veut pas entendre cette réalité tout en se targuant de faire ce qu’il faut pour le bien de l’Église :
« Mais Nous n’approuvons absolument pas ces comportements. (…) Nous sommes les premiers à déplorer ces excès. Nous sommes les premiers et les plus soucieux à chercher un remède. Mais ce remède ne peut pas être trouvé dans un défi à l’autorité. »
Pourtant lorsque Mgr Lefebvre essaye d’aborder le problème de la liberté religieuse parce que « ce qu’on lit dans le document conciliaire est contraire à ce qu’ont dit Vos prédécesseurs » le pape coupe court et intime à l’archevêque « s’il n’est pas contre le Concile, d’y adhérer alors ainsi qu’à tous ses documents. » « Il convient de choisir entre ce que dit le Concile et ce qu’ont dit tout Vos prédécesseurs » rétorque le fondateur de la F.S.S.P.X. qui demande alors au pape, puisque le Concile admet le pluralisme, « une église, une chapelle, où les gens pourraient prier comme avant le Concile ». Demande refusée par Paul VI :
« Nous sommes une communauté. Nous ne pouvons admettre une autonomie de comportement aux différentes parties ».
Obéir au Concile pluraliste est donc une obligation… Le colloque s’envenime alors, Paul VI accusant Mgr Lefebvre de ne pas être en communion avec lui :
« Comment pouvez-vous vous considérer en communion avec Nous, quand vous prenez position contre Nous, devant le monde, pour Nous accuser d’infidélité, de volonté de destruction de l’Église?
« Vous l’avez dit et écrit. Je serais un pape moderniste. En appliquant le Concile œcuménique, je trahirais l’Église. Vous comprenez que si c’était ainsi, je devrais donner ma démission et vous inviter à prendre ma place pour diriger l’Église. »
Mais « la crise de l’Église existe » lui répond Mgr Lefebvre. Ce dont, avec un aplomb magistral, Paul VI en rend responsable l’évêque français :
« Nous en souffrons énormément. Vous avez contribué à l’aggraver avec votre solennelle désobéissance, avec votre défi ouvert contre le pape. »
« Je ne suis pas jugé comme il le faudrait » s’exclame Mgr Lefebvre avant de révoquer les nombreux abus qu’il voit dans l’Église. « Il y a des abus », reconnaît le pape. « Mais le bien apporté par le Concile est grand », affirme-t-il. Fuyant encore la triste réalité de cette auto-démolition de l’Église par Vatican II, Paul VI s’extasie devant le Concile :
« Il faut reconnaître qu’il y a des signes, grâce au Concile, d’une vigoureuse reprise spirituelle parmi les jeunes, le sens des responsabilité parmi les fidèles, les prêtres, les évêques croit. »
« Êtes-vous conscient, que vous allez directement contre l’Église, le pape, le Concile œcuménique ? Comment pouvez-vous vous arroger le droit de juger le Concile ? » continuait-il en s’adressant au prélat et en l’accusant de diviser et de faire du mal à l’Église.
« Faites une déclaration publique, dans laquelle vous retirerez vos récentes déclarations et vos récents comportements », concluait Montini. Mgr Lefebvre refusera de faire cette déclaration qui aurait sonné comme la reconnaissance du Concile et de ses décrets libéraux auxquels il s’opposait fermement.
Les décennies qui ont suivi ce colloque sont là pour témoigner de la clairvoyance de Mgr Lefebvre sur l’esprit mortifère conciliaire et de l’aveuglement de Paul VI et des papes qui lui ont succédé sur le concile Vatican II et ses funestes fruits pour le salut des âmes. Comme l’avait prophétisé le grand prélat attaché à la Tradition bimillénaire de l’Église catholique, si l’orientation dans l’Église continuait à être donnée par le Concile, les forces du mal auraient « tôt fait de triompher partout » :
« Les malheurs de l’Église, désormais évidents, connus de tous, affirmés par le Pape lui-même et par tous les Évêques et les clercs, par les fidèles, malheurs dont se réjouissent les ennemis de l’Église, ne peuvent que s’aggraver tant que ceux qui sont à la barre de l’Église ne reprendront pas l’orientation et le cap de toujours.
Il faut en finir avec cet œcuménisme libéral contraire au véritable apostolat et à la vraie mission de l’Église. Sinon les forces du mal, ne trouvant plus de résistance même dans l’Église, auront tôt fait de triompher partout. » écrivait-il en 1978
Avec le pontificat bergoglien, expression ultime du Concile, fondamentalement en phase avec les règnes conciliaires précédents, -même si Jorge Maria Bergoglio se présente superficiellement plus révolutionnaire que ses prédécesseurs alors qu’il ne fait qu’évoluer dans leur continuité doctrinale, celle de Vatican II-, les forces du mal triomphent partout, dans le monde et dans l’Église conciliaire « néo-protestante et néo-moderniste »…
Francesca de Villasmundo
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