Chers frères V et B, votre profession temporaire, qu’elle soit renouvelée ou commencée, vous constitue dans l’état religieux, c’est-à-dire un genre de vie stable, qui deviendra permanent lors de votre profession perpétuelle. Vous vous engagez dans cet état pour tendre à la perfection évangélique, en vous proposant d’observer, non seulement les commandements de Dieu, mais encore les conseils évangéliques par les vœux d’obéissance de pauvreté et de chasteté selon la règle d’une vie commune approuvée par l’Eglise. Pour nous elle consiste en la règle de St Augustin et les Constitutions de l’Ordre des Prêcheurs.

1) Tendre à la perfection.

Tout chrétien, de par son baptême est tenu de tendre à la perfection. C’est Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même qui nous le commande « Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait ».

Qu’est-ce donc que la perfection ? Ici-bas la perfection chrétienne consiste dans la perfection de la charité selon le commandement de Notre-Seigneur : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces, et ton prochain comme toi-même pour l’amour de Dieu ».

Le but est donc le même pour tous les baptisés, qu’ils soient dans le monde ou qu’ils soient religieux ; seuls les moyens d’atteindre ce but sont différents. Par l’état religieux, vous choisissez le chemin le plus court et le plus rapide pour faire votre salut, alors que les fidèles qui restent dans le monde suivent une voie plus large, mais plus lente pour atteindre le but.

On pourrait objecter que dans le monde on peut aussi observer ces conseils évangéliques selon son état. Ainsi Saint Louis vivait selon l’esprit de pauvreté au milieu des richesses.

Quant à la chasteté on peut l’observer dans le mariage, mais l’amour humain légitime, le soin d’une famille, empêchent de donner tout son cœur à Dieu.

Quant à l’obéissance qui permet d’unir notre volonté à celle de Dieu, son exercice est très large dans le monde, même exercée pour vaquer à des choses légitimes, on en reste maître, on jouit d’une certaine liberté dans nos projets, nos décisions. On fera très souvent notre propre volonté.

Même animé de bonne volonté, que d’obstacles pour le chrétien qui vit dans le monde ! « Pauvres séculiers ! dit St Alphonse de Liguori, vous voudriez prier longtemps, entendre souvent la parole de Dieu, jouir d’un peu de solitude, de recueillement. Vos affaires familiales, les convenances sociales, les visites à vos amis vous en empêchent ».

Le religieux, au contraire, baigne dans une atmosphère spirituelle : les sacrements fréquemment reçus, une direction suivie, la vigilance des supérieurs, la règle qui remplit ses journées d’occupations utiles et saintes, offrent pour le bien des ressources extraordinaires, et apportent souvent des consolations ineffables.

De combien de séduction la vie religieuse nous met à l’abri ! S’il est : très difficile au chrétien vivant dans le monde de pratiquer avec constance l’esprit des trois conseils évangéliques de pauvreté, chasteté et obéissance, ce n’est pas le cas pour le religieux.

Par les vœux, il lie en toute liberté, sa volonté et l’oblige sous peine de péché à pratiquer ces trois conseils. Le vœu vient ainsi au secours de la bonne volonté qui serait tentée de fléchir. Le vœu nous préserve de l’inconstance, il fixe l’âme dans un état stable.

Le religieux ne se contente pas d’observer l’esprit des conseils évangéliques mais il les vit pratiquement.

Par la pauvreté, il renonce à toute possession, tout droit de propriété, tout désir d’acquisition de quelque bien terrestre. Il se libère ainsi des soucis attachés aux biens de la terre. Par exemple, s’il vient à passer devant une vitrine de magasin, il ne sera pas sollicité par le désir de quelque achat, puisqu’il a renoncé au droit de propriété.

Par le vœu de chasteté, non seulement il se protège de tout sensualisme, mais en renonçant aux joies légitimes d’une famille, il garde toute sa puissance d’aimer pour Dieu.

Par le vœu d’obéissance, le religieux va se libérer du plus grand obstacle à la perfection : la volonté propre, au sujet de laquelle Saint Bernard dit cette phrase admirable : « Enlevez la volonté propre et il n’y a plus d’enfer ».

Expliquons cela avec le Père Garrigou Lagrange : l’attachement à notre volonté propre qui n’est pas conforme à la volonté de Dieu est le plus grand obstacle à l’amour de conformité que nous devons avoir pour le salut. Obéir saintement à une règle approuvée par l’Eglise, et bien obéir aux supérieurs religieux comme à Dieu même qu’ils représentent, assure cette conformité progressive avec la volonté divine. L’obéissance religieuse nous fait d’abord arriver à cette conformité nécessaire à la perfection et ensuite, elle nous y conserve.

Cette oblation de notre liberté, faite au Seigneur, par amour pour lui, lui est très agréable, elle est supérieure à celle opérée par les vœux de pauvreté et chasteté, car c’est la meilleure part de nous-mêmes que nous lui offrons : non pas seulement les biens extérieurs et notre corps, mais nos facultés supérieurs.

Chers frères V et B, en offrant à Dieu les trois espèces de biens qui vous pouvez posséder, vous allez offrir à Dieu un sacrifice parfait, qui mérite le nom d’holocauste. Vous savez que l’holocauste était ce sacrifice de l’Ancien Testament où l’on brûlait entièrement la victime offerte à Dieu. Il ne restait rien.

Par ce sacrifice, vous allez tout donner à Dieu, il ne restera rien pour vous. Mais cette offrande de vous-mêmes, vous comprenez bien qu’il va falloir l’actualiser chaque jour de votre vie religieuse.

En quittant tout pour suivre Jésus, vous ne perdez pas au change !

Jésus est la Sagesse Incarnée, il est infiniment riche en toutes sortes de biens, puisque c’est lui qui les a créés et qui les distribue.

Un fils de St Dominique, le Bienheureux Henri Suso, avait été conquis par cette divine Sagesse, et son cœur en était tellement épris, qu’il grava avec un canif, sur sa poitrine, le nom de Jésus, en lui disant : « Je vous ai imprimé sur ma chair, mais je voudrais aller jusqu’à mon cœur. Suppléez à ce qui manque et écrivez dans mon cœur votre nom avec des lettres éternelles que rien ne puisse effacer ».

Vos vœux, chers frères, sont comme le sceau de Jésus-Christ imprimé dans votre cœur, c’est tout votre être qui lui appartient, pour être conduit à la vraie vie, la vie éternelle, déjà commencée ici-bas dans votre âme au baptême.

En lui livrant votre volonté, vous lui livrez le gouvernail de votre âme et il vous dit : « duc in altum ». Il va affermir votre petite volonté, instable, et la diriger vers les choses spirituelles, il vous conduira en des régions poissonneuses et sur son ordre vous lancerez le filet et la pêche sera fructueuse.

Les trois vertus de pauvreté, chasteté et obéissance que vous pratiquerez dans l’état religieux ont une étendue plus large que les vœux ; pour vous y aider vous aurez l’aide de trois autres vertus : la foi, l’espérance et la charité, avec lesquelles elles ont un rapport étroit.

2) Ces trois vertus théologales en effet, sont l’âme des trois vertus religieuses de pauvreté, chasteté et obéissance.

 La foi est l’âme de l’obéissance religieuse.

Tout chrétien a reçu cette foi au baptême. C’est un don précieux, fondement de l’édifice spirituel, mais qui reste chez bien des chrétiens vivant dans le monde, dans la partie supérieur de leur âme, sans exercer une grande influence pratique sur l’organisation de la vie. On se rappelle les vérités de foi dans une courte prière, le matin et le soir, un peu plus le dimanche à la messe, mais elles sont comme une étoile perdue au fond du ciel.

Pourquoi ? Parce que dans le monde, souvent la vie pratique s’organise seulement selon la raison, et même selon les maximes du monde.

Dans la vie religieuse, il en est autrement, la foi est l’âme de l’obéissance. Elle nous fait voir Dieu dans les supérieurs, et dans leurs ordres : des ordres qui viennent de Dieu. Toute la vie du religieux, du lever au coucher, avec toutes ses activités, est déterminée par la règle, les constitutions, les ordres des supérieurs. Le religieux obéit à la règle parce qu’elle a été donnée par Dieu au fondateur. Il obéit aux supérieurs, non pas parce que ses ordres nous semblent raisonnables ou nous plaisent, mais parce que ses ordres viennent de Dieu pour la sanctification de notre âme et le bien de la famille religieuse.

 La charité est l’âme de la chasteté.

La vertu de chasteté est une force surnaturelle qui nous permet de dominer les plaisirs des sens qui inclinent au désordre de la concupiscence de la chair. Il y a plusieurs moyens pour nous aider à conserver et développer cette vertu :

La prière,

L’humilité,

La mortification des sens,

La prudence,

La soumission à la volonté divine.

Tous ces moyens se trouvent en abondance dans l’état religieux, mais celui qui les surpasse et en est l’âme, c’est l’amour de Jésus-Christ ou autrement dit la charité. Elle est l’âme de la chasteté. « Avec l’amour de Dieu, dit St Jean de la Croix, l’âme est forte contre la chair, son ennemie, car là où règne le véritable amour de Dieu, ni l’amour de soi, ni l’intérêt personnel n’ont d’entrée ».

St Robert Bellarmin ne dit pas autre chose : « Rien ne mortifie plus efficacement, plus rapidement, plus complètement la concupiscence qu’un vrai amour de Dieu, roi du cœur et maître de toutes ses affections. Dès que l’amour de Dieu possède totalement une âme et l’embrasse, tout mouvement charnel disparaît aussitôt et s’évanouit ».

 L’espérance est l’âme de la pauvreté.

L’espérance est cette vertu théologale qui nous fait tendre vers Dieu en nous appuyant sur ses promesses, sur sa miséricorde, sur sa toute puissance qui n’abandonne pas ceux qui l’implorent. Quand elle est affermie, l’espérance mérite le nom, de confiance en Dieu.

L’espérance du chrétien dans le monde n’a pas l’élan qu’elle devrait avoir. Pourquoi ? Parce que le chrétien compte trop sur les biens temporels qu’il désire acquérir : se faire une situation, en donne une ensuite à ses enfants. Il s’installe dans le monde comme s’il devait y vivre toujours.

La conséquence est qu’il désire moins Dieu et la vie éternelle.

Dans la vie religieuse, la vertu de pauvreté vient dilater l’espérance.

Quand on rentre dans un ordre mendiant, sans revenu, on est obligé de compter sur l’assistance de Dieu, qui suscite des bienfaiteurs pour nous faire vivre. Même si une communauté est fidèle à sa vocation, il peut arriver des moments difficiles, mais Dieu n’a jamais permis que ses amis meurent de faim, ou soit dans une indigence extrême qui les empêche de remplir leur mission.

Nous en avons de nombreux exemples dans la vie de St Dominique, mais prenons en un plus récent pour montrer que le Seigneur vient au secours des religieux qui ont confiance en Lui.

Cela se passait en Normandie pendant la guerre de 1870 contre les prussiens. La supérieure générale des Sœurs de la Miséricorde des Ecoles Chrétiennes, Mère Placide, qui résidait au Couvent de St Sauveur le Vicomte (Manche), voit arriver des sœurs de son institut qui fuyaient les régions envahies par les allemands.

Or le couvent n’avait que des ressources fort limitées. De plus quelques jours après, l’autorité militaire demande à Mère Placide de recevoir 150 soldats blessés pour les soigner et les nourrir. Quelques religieuses pensaient tout bas : « Nous allons toutes mourir de faim ! ».

La Mère Placide, calme et confiante en Dieu, dit à une de ses filles : « Allez mettre cette image de notre Mère fondatrice dans les deux mesures de blé qui nous restent et mettez le moulin en marche pour avoir la farine nécessaire pour faire du pain ».

On continua ainsi à moudre le blé plusieurs mois ; il y eut une multiplication du froment, de la viande et du cidre attestée par de très nombreux témoignages au procès de béatification.

Cet exemple montre bien que la foi, l’espérance et la charité sont l’âme des trois vœux :

⋇ La foi qui fait voir la Volonté de Dieu dans l’ordre de l’autorité militaire,

⋇ La charité qui voit Jésus-Christ dans ces soldats blessés et affamés,

⋇ L’espérance dans la toute Puissance divine qui vient en aide à ceux qui se dévouent au service de Dieu et mettent toute leur confiance en Lui.

Chers frères V et B, en ce jour de votre profession, que la Très Sainte Vierge Marie, Mère de notre ordre et notre Père St Dominique, vous accordent cette foi, cette confiance et cet amour de Dieu, qui vous aideront à actualiser chaque jour de votre vie, cette donation de tout vous-mêmes à Dieu.

Avrillé,  Mercredi 14 août 2024, en la Vigile de l’Assomption

Accès au site des Dominicains d’Avrillé : https://www.dominicainsavrille.fr/

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– Dimanche 12 mai  2024 : Sainte Jeanne d’Arc et la Croix de Jésus
– Dimanche 19 mai 2024 : Le Saint Esprit âme de l Église et sanctificateur des âmes : sermon du dimanche de la Pentecôte
– Dimanche 30 juin 2024 : Morts au péché et vivants pour Dieu
-Dimanche 4 août 2024 : Saint Dominique restaurateur de la vie apostolique

Fabien Laurent

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