Depuis que le gouvernement ukrainien a annoncé qu’il renonçait – temporairement- à un accord d’association et de libre-échange avec l’Union européenne afin de promouvoir ses relations avec la Russie et la CEI, les manifestations de protestation se succèdent dans la capitale ukrainienne. Depuis le 21 novembre, c’est l’ensemble de l’opposition au président Viktor Ianoukovitch et à son gouvernement qui est quasi quotidiennement, de jour comme de nuit, dans la rue pour réclamer la démission des dirigeants en place et la tenue d’élections anticipées.

C’est dans ce contexte que ce dimanche 1er décembre, les protestataires sont parvenus à rassembler 500 000 manifestants dans le centre de Kiev et à s’emparer par la force de la mairie, actuellement toujours entre leurs mains. Les dirigeants des trois partis d’opposition Batkivchtchina (« Patrie »), Udar (« Coup ») et Svoboda (« Liberté ») y auraient entamé des négociations en vue de la formation d’un gouvernement intérimaire.

Ce mardi 3 décembre, la Verkhovna Rada (le parlement ukrainien), composée d’une majorité de députés du « Parti des régions » au pouvoir, a rejeté la motion de défiance contre le gouvernement de Nikolaï Azarov introduite par les trois partis d’opposition. A la suite de cet échec parlementaire prévisible, Arseni Iatseniouk, président du parti Batkivchtchina (« Patrie »), a appelé les contestataires à s’adresser directement au président Ianoukovitch afin qu’il limoge le gouvernement et convoque des élections législatives et présidentielle anticipées. Ainsi, des dizaines de milliers de personnes se sont déplacées pour encercler le bâtiment de l’administration présidentielle, bloquant tous les accès à celui-ci avec des barricades improvisées.

La veille le premier ministre Azarov, craignant probablement une nouvelle « révolution orange »,  déclarait à des diplomates étrangers : « Bloquer le fonctionnement des organes d’Etat est un signe d’un coup d’Etat. C’est très sérieux. Nous faisons preuve de patience, mais nous ne souhaitons pas que nos partenaires [de l’opposition] aient l’impression que tout est permis. ». Quelques heures plus tard, il rajoutait : « Les hommes politiques qui se sont joints à cette action ont radicalisé la situation de façon spectaculaire. Le caractère de masse des manifestations sort du contrôle des autorités, ce sont certaines forces politiques qui se sont emparés de son contrôle. […] Pour parvenir [à renverser le gouvernement en place], des méthodes complètement illégales sont mises en œuvre. »

Le mécontentement populaire qu’excite aujourd’hui l’opposition antirusse n’est que partiellement dû aux relations de l’Ukraine avec la Russie et l’Union européenne mais s’explique plus largement par les difficultés économiques avec lesquelles le pays se débat depuis plusieurs années. De nombreux observateurs indiquent également que le revirement de Viktor Ianoukovitch sur la question européenne n’est qu’un prétexte dont l’opposition s’est saisi afin d’obtenir des élections anticipées. C’est ce que pense, entre autres, le président russe Vladimir Poutine : « A mon avis, la situation actuelle en Ukraine n’est pas liée aux relations entre l’Ukraine et l’Union européenne. Cela relève de la politique intérieure. Il s’agit d’une tentative de l’opposition de renverser le pouvoir légitime. Ce n’est pas une révolution, ces manifestations semblent bien organisées. Je crois qu’elles ne sont pas une réaction aux événements actuels, mais plutôt qu’elles ont été préparées en vue de la campagne présidentielle de mars 2015. » a-t-il déclaré à la presse.

Les dirigeants européens commentent, eux aussi et à leur manière, les événements se passant en Ukraine. « Nous avons à maintes reprises répété que les actions de la Russie concernant les pays du ‘partenariat oriental’ ne correspondent pas à la façon de construire des relations internationales au XXIème siècle. L’UE continuera à insister pour que toutes les actions russes visant à influencer le choix du ‘partenariat oriental’ soient une violation des principes de l’OSCE. » a déclaré Herman Van Rompuy à Vilnius le 28 novembre, insinuant ainsi que l’intense activité diplomatique russe dans son étranger proche est rétrograde et même illégale. Dans le monde de M. Van Rompuy, la Russie n’a apparemment pas le droit de prévenir ses partenaires qu’elle se réserve le droit de protéger son économie si la situation le nécessite.

Le 29 novembre, Jose Manuel Barroso balayait d’un revers de main toute idée de négociations tripartites UE-Ukraine-Russie telles que suggérées par la partie ukrainienne et approuvées par Vladimir Poutine.

La présidente du parlement lituanien a, elle, carrément annulé un voyage officiel à Londres pour se rendre à Kiev. Sur place, elle a prononcé un discours devant les manifestants réunis en masse, les appelant à ne pas renoncer à l’UE et se permettant de réclamer des autorités ukrainiennes qu’elles se ravisent et signent l’accord d’association et de libre-échange. Le politicien polonais Jarosław Kaczyński, ancien premier ministre de Pologne, a également été vu à Kiev, participant à un rassemblement de l’opposition anti-Ianoukovitch. Imagine-t-on un député du parti « Russie unie » prendre la parole dans une manifestation à Bruxelles devant le siège de la Commission européenne ?

Ces personnalités de l’hyper-classe européiste nous fournissent un bel exemple de la politique du « double standard » dont l’Occident est si friand et que la Russie n’a de cesse de dénoncer depuis des années : l’activité diplomatique de la Russie dans son étranger proche, ce sont des pressions et c’est mal, tandis que les actions, voire les menaces, de l’UE et des Etats-Unis, c’est autre chose, c’est démocratique, c’est bien. En outre, ils nous donnent l’impression que, selon eux, ne pas être amoureux de l’Occident est le comble de l’imbécilité et de la soumission à la Russie poutinienne. Quand vont-ils descendre de leur piédestal et se rendre compte qu’en 2013, leur Union européenne n’est pas le centre de l’univers et ne fait rêver que de moins en moins de monde ? Car pour le moment, il semblerait surtout que l’arrogance et la russophobie de la nomenklatura européenne se mesurent à son incapacité à résoudre les problèmes, notamment économiques, de la zone euro.

Face à cette tentative de déstabilisation de leur pays, les orthodoxes ukrainiens, quant à eux,  prévoient d’effectuer le samedi 6 décembre une procession « contre l’expansion euro-sodomite » (sic). Affirmant que « l’Ukraine, la Russie et la Biélorussie font ensemble la sainte Russie », les organisateurs de la procession y inviteront les participants à solliciter la protection de saint Alexandre Nevski. L’enjeu n’est pas qu’économique, géopolitique et électoral, il est aussi spirituel et moral.

Où va l’Ukraine ? De multiples issues sont possibles, aux conséquences pouvant dépasser les frontières de l’Ukraine. Un Ianoukovitch parvenant à se maintenir au pouvoir et qui s’émancipe définitivement des oligarques qui lui ont récemment tourné le dos pour embrasser l’Occident ? Des élections anticipées portant au pouvoir des européistes ? Dans ce cas, quelle sera la réaction de la population russophone du sud et de l’est du pays ? L’Ukraine se dirige-t-elle vers une partition ? Pour le moment, tout paraît possible.

Baudouin Lefranc

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