Déjà un mois d’hiver a passé en Ukraine, où l’on avait plutôt prévu une stabilisation des positions militaires des uns et des autres. Déjouant les pronostics, qui s’attendaient à un gel des positions, les forces séparatistes sont en train d’enfoncer et de refouler les troupes ukrainiennes. Cela explique le retour précipité de Petro Poroshenko en Ukraine, après un court séjour au sommet mondialiste de Davos.
L’année 2014 dans le Donbass et la Novorossiya
Rappelons l’essentiel des évènements depuis le début de cette guerre civile en Ukraine, qui est devenue de facto une guerre de sécession.
Suite au coup d’état du Maidan, manifestement manipulé de l’extérieur (par les USA entre autres), le président, Viktor Yanoukovych, régulièrement élu et en fonction du 25 février 2010 au 22 février 2014, a été remplacé par Petro Poroshenko. Globalement, le soutien populaire envers Viktor Yanoukovych coincide largement, mais – il faut le noter – pas entièrement, avec les provinces (oblast) où la langue russe est majoritairement utilisée.
[Vote en faveur de Viktor Yanoukovych (en bleu)]
[Le russe comme langue majoritaire (en vert)]
Il convient d’insister sur un point important : les nombreuses vidéos disponibles sur internet montrent que les forces séparatistes parlent aussi ukrainien. Certaines personnes combattant pour la République séparatiste de Donetsk répondent en ukrainien à des questions qu’on leur pose en russe. Il faut donc se garder d’un simplisme linguistique consistant à opposer deux populations qui seraient monolingues, chacune dans sa langue. Cette présentation est en pratique de la propagande visant à assimiler les séparatistes du Donbass à des Russes de Russie, par le truchement du mythique « rebelle pro-russe ». Il est clair que les vrais Russes de Russie ne parlent pas ukrainien.
Le 8 juillet 2012, le russe est devenu langue officielle dans 13 des 27 provinces de l’Ukraine, où elle était parlée par au moins 10% des habitants. En février 2014 le nouveau parlement ukrainien a annulé le statut officiel du russe, une provocation aberrante, et hélas sans doute délibérée, qui a déclenché une grave crise politico-linguistique, qui a ensuite progressivement dégénéré en guerre civile. La tension politico-linguistique monte pendant le mois de mars 2014 et aboutit le 7 avril à la proclamation de la République populaire de Donetsk, qui annonce la tenue d’un référendum pour le 5 mai 2014. Cette proclamation est en fait l’aboutissement d’un processus remontant à une décennie au moins, puisque dès 2005 la province de Donetsk réclamait plus d’autonomie au sein de l’Ukraine.
Le 16 mars 2014, la Crimée, peuplée de façon écrasante de vrais Russes, a voté pour son retour pacifique à la patrie russe, après une parenthèse commencée le 19 février 1954. On comprend mal pourquoi ce référendum d’auto-détermination populaire est contesté, alors que cette réintégration n’a fait aucun mort ni aucun dégat matériel. Il faut toute la mauvaise foi servile de l’Union Européenne pour oser contester un référendum d’auto-détermination populaire, en tout point conforme aux principes démocratiques qu’elle prétend défendre et qu’elle n’incarne pas.
Le 11 mai 2014, dans la foulée de celui de Donetsk, a lieu un référendum d’autodétermination aboutissant à la proclamation de la République populaire de Lougansk. Le 17 mai 2014, le procureur général d’Ukraine déclare les Républiques populaires de Donetsk et Lougansk comme étant des « organisations terroristes », ce qui transforme concrètement la tension politico-linguistique en conflit armé. Le 22 mai 2014, les deux Républiques s’unissent pour former les États fédérés de Novorossiya (Nouvelle-Russie). Cette appellation n’a en fait rien de nouveau et remonte à l’Empire Russe, il y a plus de deux siècles.
L’aggression militaire du gouvernement ukrainien sur la population de la Novorossiya commence en juin 2014. Quoi qu’en dise la propagande de guerre, totalement absurde, et le vocabulaire à base de « rebelles pro-russes », initialement, la proclamation des deux Républiques est d’abord une sorte de réaction d’auto-défense politico-linguistique. Il est clair aujourd’hui après 8 mois de guerre que la sécession d’avec le reste de l’Ukraine est très certainement irréversible. En tout cas, Aleksandr Zaharchenko, le 1er ministre de fait de la République de Donetsk, l’a déclaré.
Par ailleurs, il faut toute la mauvaise foi ou l’aveuglement des médias pour s’offusquer que les séparatistes ne respectent pas de soi-disant « trève » et les accords de Minsk, alors que l’armée ukrainienne n’a jamais cessé de bombarder les habitants, par tous les moyens, y compris des bombes à fragmentation et au phosphore, assimilables à des crimes de guerre. A la décharge de Petro Poroshenko, il faut sans doute admettre qu’il ne maîtrise pas forcément très bien tout ce que font l’armée régulière, les brigades diverses de néo-nazis et des mercenaires éventuels, à la solde d’on ne sait trop qui.
Ici, on peut regarder la vidéo un peu ubuesque où Aleksandr Zaharchenko prend à partie un officier ukrainien, le 1er disant que les bombardements ont détruit la maison de sa belle-mère, tandis que l’officier répond que celle de son propre père a aussi été détruite. On mesure toute l’absurdité inutile de cette guerre. De façon générale, 633 523 personnes ont fui les zones de combat ailleurs en Ukraine et 593 622 se sont réfugiées en Russie, d’après des chiffres de l’ONU du 9 janvier 2015.
La signification de la chute de l’aéroport de Donetsk
Toute proportion gardée, l’offensive de l’armée ukrainienne vers l’est ressemble à celle de l’armée allemande pendant la 2ème guerre mondiale. Le terrain ne permet pas d’opposer une réelle résistance militaire en dehors des villes. Concrètement, Donetsk et Lugansk sont des sortes de mini-Stalingrad. L’offensive ukrainienne, qui est essentiellement terrestre et conventionnelle, est venue buter sur ces deux points de résistance après avoir conquis la majeure partie des zones campagnardes. Début septembre 2014, la zone contrôlée par l’armée ukrainienne est passée par son maximum.
[Réduit territorial des séparatistes fin août 2014]
Depuis la fin de l’été, l’armée ukrainienne n’a pas cessé de perdre du terrain, petit à petit. La situation est actuellement la suivante. On peut encore voir sur la carte l’avancée ukrainienne opportuniste, qui a eu lieu grâce au Boeing de la Malaysian Airlines, le fameux saillant de Debaltsevo, en forme de doigt, à partir duquel l’armée ukrainienne arrose généreusement la population en projectiles de toutes sortes.
[Territoire contrôlé par les séparatistes (en rouge)]
Concrètement, la chute de l’aéroport de Donetsk, finalisée par la conquête du nouveau terminal, et son contrôle intégral par les séparatistes sont pour l’armée ukrainienne une défaite de type Stalingrad, ni plus ni moins.
Les médias du Système semblent tout faire pour minimiser la signification et l’ampleur de cette défaite. L’annonce même de la défaite semble avoir été différée d’un ou deux jours. Un article dans Le Monde en datedu 22 janvier 2015 est véritablement hallucinant.
La lecture donne l’impression que l’armée ukrainienne aurait plus ou moins décidé par elle-même d’évacuer tout ou partie de l’aéroport et que les pertes seraient légères.
La réalité est qu’il s’agit bel et bien d’une défaite, accompagnée probablement de plusieurs centaines, voire milliers de morts côté ukrainien. L’armée ukrainienne a tenté de reconquérir une partie de l’aéroport, sans succès, occasionnant de nouvelles pertes. Donetsk a annoncé avoir dénombré plus de 600 morts ukrainiens, sans compter ceux qui gisent sous les décombres de l’aéroport. A priori, la 93ème brigade ukrainienne, forte de 3000 hommes, serait quasi intégralement détruite et son chef, le colonel Oleg Mikats, qui était n°3 sur la liste de Pravi Sektor a été capturé par les séparatistes. Certains avancent que des morts auraient des uniformes de l’Otan, mais je n’en ai pour l’heure vu aucune preuve. La présence d’armes de l’Otan est en revanche certaine.
[Oleg Mikats (2ème à gauche) capturé par les séparatistes]
1ère vidéo où Oleg Mikats apparaît en tant que prisonnier :
2ème vidéo où Oleg Mikats est amené sur la scène du trolleybus bombardé par les troupes ukrainiennes et où il manque de se faire lyncher par les riverains :
Maintenant que l’armée ukrainienne a été décramponnée de l’aéroport de Donetsk, les combats ont reculé vers les villes et villages plus à l’ouest : Peski, Avdeyevka, etc. D’autre part, le saillant de Debaltsevo serait en passe d’être encerclé par les séparatistes, ce qui signifierait que 3000 à 4000 soldats ukrainiens se retrouveraient bientôt en état de siège.
Jusqu’où ira l’avancée des séparatistes ?
Ces récents développements sont évidemment très importants. Si l’armée ukrainienne est mise en déroute à Donetsk et alentour, la question se pose de savoir jusqu’où elle reculera. Elle avait progressé rapidement en terrain facile jusqu’à buter sur Donetsk, elle reculera non moins facilement. Evidemment, les séparatistes n’iront pas jusqu’à Berlin comme en 1945.
En théorie, la Novorossiya revendiquerait le territoire suivant :
[Extension théorique de la Novorossiya]
Admettons que l’armée ukrainienne batte en retraite dans les prochaines semaines, que va-t-il se passer ? Y-aura-t-il une volonté sécessionniste dans les provinces voisines de Donetsk et Lugansk, qui pour l’instant sont restées calmes ? Les forces séparatistes vont-elles envahir les provinces voisines ? Que vont faire les USA, l’OTAN et leur courroie de transmission euro-bruxelloise ?
Que répondre ?
Dans tous les cas de figure, l’Ukraine dans cette guerre est bien partie pour perdre les parties de son ancien territoire qui avaient les meilleures ressources et le niveau économique le plus élevé. Si cela continue, l’Ukraine sera réduite à la partie la plus pauvre, la plus arriérée et n’aura plus de débouché sur la Mer Noire.
Vidéo en russe avec sous-titres en anglais sur les combats pour la conquête du nouveau terminal de l’aéroport de Donetsk. A noter à t=20mn le soldat indique qu’ils devront aller jusqu’à Odessa…
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