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Nouvelle histoire du Japon

Nouvelle histoire du Japon, par Pierre-François Souyri, éditions Perrin

Pierre-François Souyri est professeur à l’université de Genève où il enseigne l’histoire du Japon. Ancien professeur à l’Inalco et ancien directeur de la Maison franco-japonaise, il est un grand connaisseur de l’histoire médiévale de la société japonaise et de l’histoire des idées à l’époque moderne.

Cette Nouvelle histoire du Japon est une somme impressionnante qui nous fait découvrir un horizon mythique et mystérieux. A partir des Ier et IIe siècles de notre ère, des agglomérations fortifiées s’y multiplient, des rives de la mer intérieure jusque dans la baie d’Ôsaka. Au début du IIIe siècle, le pays est divisé en une trentaine de chefferies. Entre l’an 350 et 400 émerge une sorte d’aristocratie militaire et belliqueuse pour laquelle le combat, les armes et les chevaux jouent un tel rôle qu’ils accompagnent même dans le matériel funéraire. Au VIe siècle, l’archipel connaît une évolution qui le conduit des âges archaïques à une monarchie influencée par le modèle chinois dont elle intègre les principaux éléments : l’écriture, le bouddhisme, les classiques confucéens, et une pratique administrative plus centralisée. C’est sous Temmu, au VIIe siècle, que l’ancien titre d’ôkimi est abandonné à la faveur de celui de tennô, tandis que le pays sur lequel il règne prend le nom officiel Nihon, c’est-à-dire Japon.

La fin du VIIe siècle et les premières années du VIIIe siècle marquent un tournant radical dans l’histoire de l’Etat et de la monarchie du Japon. Le Japon connaît alors une première splendeur indubitable et constitue un foyer culturel de première importance en Extrême-Orient, se représentant comme un empire civilisé. A la même époque, les femmes élevées à la dignité impériale sont nombreuses. A partir du IXe siècle, le Japon assiste à un premier essor de la grande propriété aristocratique, avec la prédominance du clan Fujiwara, à l’apparition d’un bouddhisme aristocratique à tendance ésotérique qui pénètre les couches moyennes et populaires en province.

Le temps des premiers samouraïs

A partir du Xe siècle et surtout du XIe siècle, une partie des élites provinciales se militarise. Les notables locaux organisent de manière indépendante des forces armées privées pour lutter contre l’insécurité. Ces notables militarisés donnent ainsi naissance à un nouveau groupe social, celui des guerriers, les bushi ou samouraïs.

Dans la seconde moitié du XIe siècle, de nouvelles guerres ravagent les provinces du Nord-Est. Ce sont les guerres antérieures de Neuf Ans puis les guerres postérieures de Trois Ans. Elles signent la fin de l’infanterie traditionnelle héritées des armées à la chinoise et la supériorité des guerriers à cheval utilisant l’arc et les flèches qui développent la « Voie de l’arc et du cheval ». Au milieu du XIIe siècle, la société japonaise paraît à la croisée des chemins. Le régime impérial doit faire face, notamment dans les provinces, à la montée d’une couche moyenne de notables locaux armés qui se considèrent désormais comme des guerriers et donc comme un groupe social conscient de sa force  et de ses particularités culturelles. Le début du XIIIe siècle, avec les troubles de Hôgen et Heiji, marque l’avènement du monde des guerriers. Le shôgun devient le suzerain suprême des guerriers, chargé du maintien de l’ordre dans tout le pays par délégation impériale. Un grand coutumier des guerriers est rédigé. Ce règlement de la justice shôgunale s’appuie sur le droit coutumier en vigueur parmi les samouraïs du Kantô dont on codifie les pratiques. Il constitue la référence générale du droit guerrier pendant tout le Moyen Age japonais.

Deux fois sauvé des Mongols par des « vents divins »

A partir des années 1260, les Mongols envisagent l’invasion du Japon et la piraterie japonaise leur en fournit le prétexte. En 1274, les Mongols réunissent une flotte considérable pilotée par des équipages chinois et coréens et tentent de débarquer 20 000 hommes près de Hakata, répartis sur 900 jonques. Les Mongols utilisent des bombes explosives qui effraient les samouraïs et surtout leurs chevaux. Cependant, les troupes japonaises n’ont pas plié et les Mongols sont contraints de regagner leurs embarcations. Or le vent se lève pendant la nuit et en détruit une grande part. Les Mongols ont perdu 10 000 hommes et les survivants s’en vont. Ce n’est que partie remise mais les Japonais vont aussitôt fortifier les côtes et construire des murets le long des plages pour empêcher les Mongols de déployer leur cavalerie. En 1281, les Mongols reviennent avec deux flottes gigantesques, l’une venant de Corée, l’autre de Chine, réunissant 140 000 hommes et près de 4 500 navires. Les combats durent un mois. La tactique japonaise a fonctionné, grâce aux fortifications et murets le long des plages. Et voilà qu’un nouveau vent violent vient briser 2 000 vaisseaux mongols en une nuit. Ces deux tempêtes décisives sont interprétées par les Japonais comme des « vents divins » (kamikaze). L’archipel se considère désormais « protégé par les dieux ».

Les seigneurs de la guerre

A partir des années 1520-1550, les seigneurs de la guerre tentent de mettre en place non seulement des principautés mais de véritables Etats. Ils sont de véritables princes en leurs terres, que les Jésuites portugais désignent comme des « rois ».

La plupart des Européens qui séjournaient au Japon dans la seconde moitié du XVIe siècle sont des Portugais. S’y ajoutent quelques Espagnols et Italiens, pour la plupart missionnaires. Les Japonais les nomment nanbanjin, c’est-à-dire « barbares venus des mers du Sud ». Les Portugais sont accompagnés d’esclaves africains et tamouls. C’est la première fois que des Japonais voient des hommes de peau noire. L’arrivée des Anglais, et surtout des Hollandais au début du XVIIe siècle étonne les Japonais qui les désignent comme « les hommes à poils rouges ».

L’essor des conversions au christianisme et le développement de Nagasaki

Pour montrer le succès de la mission jésuite au Japon et convaincre le pape de lui donner plus de moyens, le visiteur des Jésuites, Valignano, fait envoyer en Europe quatre jeunes seigneurs japonais convertis au christianisme. Ces quatre jeunes gens sont les premiers Japonais à se rendre en Occident où ils rencontrent les papes Grégoire XIII puis Sixte V à Rome. On évoque le chiffre de 700 000 Japonais convertis à la foi catholique vers l’an 1605, ce qui est considérable sur une population  estimée entre 15 et 18 millions d’habitants.

C’est aussi la grande époque de Nagasaki. Née en 1570 de la double initiative du seigneur converti Ômura Sumitada et du jésuite Cosmes de Torres, la ville est cédée aux jésuites en seigneurie au titre de bien de l’Eglise, avant d’être reprise par Hideyoshi en 1588. Seule cité chrétienne de l’archipel, Nagasaki fut habitée et administrée pendant près d’un demi-siècle par des chrétiens japonais, européens et métis. Elle n’a perdu sa position internationale qu’avec le bombardement nucléaire dont elle sera victime en 1945.

Le temps du christianisme persécuté

Les frictions entre monastères bouddhistes et missionnaires deviennent incessantes et les dirigeants du pays commencent à trouver encombrante la présence des Jésuites et des autres ordres catholiques, les Franciscains notamment. En 1613, le christianisme est interdit dans tout le pays et, à partir de 1614, les catholiques japonais sont contraints d’abjurer leur foi tandis que les missionnaires qui, malgré les nouvelles lois, poursuivent leurs activités, sont arrêtés et exécutés. Les autorités shôgunales mettent en place des enquêteurs chargés de débusquer les catholiques. Les protestants hollandais ont joué un rôle pour faire croire au shôgun que les Jésuites voulaient s’emparer du gouvernement et faire du Japon une colonie du pape…

En 1635 est décrétée l’interdiction faite aux Japonais de se rendre à l’étranger et ceux qui résident outre-mer n’ont plus le droit de rentrer. L’année suivante, les Portugais se voient interdire d’aborder l’archipel. Les métis nippo-portugais sont expulsés du Japon avec leurs mères et contraints de se réfugier à Macao. En 1639, un an après l’écrasement de la révolte catholique de Shimabara, les Portugais sont définitivement expulsés du Japon. C’est seulement au début du XIXe siècle que la politique officielle de fermeture est militairement contestée par les Britanniques qui obligent par la force les autorités japonaises à plier.

Traité d’amitié nippo-américain signé sous la menace des canonnières de l’amiral Perry

L’intérêt nouveau des Anglais, des Français puis bientôt des Américains pour l’archipel est pour l’essentiel lié à l’extension considérable des activités de pêche à la baleine dans le Pacifique nord. De nombreux bateaux étrangers veulent se ravitailler dans les ports japonais. En 1825, le shôgunat promulgue un édit visant à repousser, par la force si nécessaire, toute tentative étrangère d’accoster sur les côtes de l’archipel. Mais l’arrivée des canonnières de l’amiral Perry en 1853 et l’arrivée des Américains sonne la fin du shôgunat. Arrivé avec le plus gros navire de guerre de son temps, l’amiral Perry fait débarquer 300 de ses fusiliers marins. En février 1854, Perry est de retour, avec cette fois sept navires, plus de 1 700 matelots et une centaine de canons. Le bakufu cède sous la menace et signe le 31 mars 1854 le traité d’amitié nippo-américain.

Les Russes, qui ont de leur côté envoyé une escadre, signent à leur tour, l’année suivante, un traité identique. Le bakufu est ensuite contraint de signer des traités de paix avec la Grande-Bretagne, les Pays-Bas puis la France.

Les influences étrangères vont progressivement transformer le pouvoir japonais, entraînant des soulèvements. Le plus sérieux éclate à Kagoshima, là où Saigô Takamori, l’un des artisans de la victoire impériale de 1868, a pris sa retraite après son départ du gouvernement en 1873. A la tête d’une armée privée de jeunes samouraïs idéalistes, il prend Kumamoto et mène une dure campagne contre les troupes gouvernementales. Après six mois de combats, il est encerclé, vaincu et contraint au suicide en septembre 1877.

Basculement belliciste et issue fatale

Le demi-siècle qui va de la première guerre sino-japonaise en 1894-1895 à la défaite de l’empire en 1945 est tout à fait particulier dans l’histoire du Japon avec le reste de l’Asie. L’Etat impérial se lance en effet dans une série d’opérations à caractère belliciste, colonialiste et impérialiste contre les pays voisins. Création d’un protectorat japonais en Mandchourie en 1931-1932. Invasion générale de la Chine en 1937, puis du Tonkin en 1940, et, à partir de 1941-1942, d’une bonne partie de l’Asie orientale colonisée par les Occidentaux (Hong Kong, Indochine, péninsule malaise, Indes néerlandaises, Philippines, Birmanie…).

L’après 1945 sera longtemps terrible, bien après les bombardements nucléaires d’Hiroshima et Nagasaki, en raison notamment de graves problèmes de ravitaillement. De 1945 à 1948, la sous-alimentation et les maladies qu’elle provoque auraient coûté la vie d’un million de Japonais.

Mais à partir des années 1950, le Japon est parvenu à se redresser. Le Japon d’aujourd’hui est devenu un exemple d’économie à faible croissance qui ne décline pas.

Un livre indispensable pour comprendre l’évolution des structures et des mentalités nippones à travers l’histoire complète du pays du soleil levant.

 

Nouvelle histoire du Japon, Pierre-François Souyri, éditions Perrin, 636 pages, 29 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

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