A la demande d’un très grand nombre de lecteurs de MPI, nous publions la transcription de l‘allocution prononcée par le R.P. Joseph d’Avallon, religieux capucin de Tradition, aumônier de Civitas, lors du rassemblement « Rendez-nous la Messe » organisé le dimanche 22 novembre 2020 sur le parvis de l’église Saint-Augustin, place Saint-Augustin à Paris.
Allocution du R.P. Joseph, aumônier national de Civiitas
Chers amis,
Mon intervention portera évidemment sur la bataille pour la reprise du culte public. J’évoquerai d’abord la part qui revient dans cette bataille à l’épiscopat. Je montrerai ensuite qu’elle n’est pas facultative. Puis je dirai qu’elle est la détermination qui doit être la nôtre.
Dans un entretien qu’il donna en l’an 2000 au magazine des chrétiens d’extrême gauche Golias, le professeur Israël Nisand [1], interrogé sur l’attitude des évêques de France à propos de l’avortement, fit la révélation suivante, je le cite : « Au moment du vote de la loi en 1975, beaucoup ignoraient que l’Eglise était de fait favorable à cette mesure. En effet, les évêques de France ont eu à plusieurs reprises, et ce en présence de Simone Veil et de Valéry Giscard d’Estaing, l’opportunité de s’opposer à cette loi. S’ils s’y étaient vraiment déclarés hostiles, la loi ne serait pas passé. Simone Veil [je continue la citation], que j’ai rencontrée il y a quelques mois, me l’a d’ailleurs confirmé. Il est donc très intéressant de savoir que, dans notre pays, l’Eglise a eu à gérer cette dichotomie, cette contradiction qui est de dire : nous ne pouvons pas être d’accord sur le plan éthique avec l’avortement, mais cependant il faut qu’il puisse avoir lieu et que le problème social posé puisse se régler. » Et il continue : « Il faut remercier l’Eglise de France de ne pas s’être fondamentalement opposée à cette loi, même si elle a utilisé un double langage à ce moment-là. Officiellement, tout le monde au niveau des parties concernées s’entendait sur le principe qu’une vie commencée ne peut être interrompue, mais lors des négociations les mêmes parties étaient d’accord pour résoudre le problème de l’avortement au nom de la logique du moindre mal », fin de citation.
A notre connaissance, cette information n’a jamais été démentie. Et, au contraire, elle a été corroborée à plusieurs reprises, en particulier par le livre de souvenirs [2] qu’a laissé l’évêque émérite de Cahors, monseigneur Gaidon, qui a raconté comment s’est passée la tenue de la Commission des évêques de France au moment de la loi sur l’avortement, et comment c’est le silence qui a été la seule réaction des évêques de France.
Si je rappelle ce point, c’est d’abord pour dire la force que nos ennemis, nos ennemis c’est-à-dire Simone Veil, reconnaissaient encore à l’épiscopat français il y a 45 ans. Il est vrai que depuis lors, les ravages opérés par le Concile ont considérablement affaibli le catholicisme français et le poids de l’épiscopat français auprès du gouvernement. Quant à la nouvelle liturgie, elle ne peut ni attirer les catholiques, ni leur donner le goût de pratiquer. Mais cependant mes chers amis, mais cependant, que pourraient les forces de l’ordre et le gouvernement si les évêques français en tête et les milliers de prêtres qui restent encore dans leurs paroisses ouvraient leurs cathédrales et leurs églises dimanche prochain pour y célébrer la messe ? Le recours au Conseil d’Etat du président de la Conférence épiscopale et de quelques évêques semble indiquer leur désaccord avec les mesures d’interdiction du culte public qui ont été décidées. Nous nous en réjouissons. Mais nous pensons que cette action juridique, puisqu’elle a été repoussée, n’exonère pas le clergé français de mener, avec toute la vigueur possible, le combat pour que le culte public soit rendu à Dieu dans la France fille aînée de l’Eglise. Nous croyons qu’à un moment donné reculer, biaiser, ménager l’ennemi reviendrait à trahir et à forfaire. Nous croyons aussi que l’ennemi mesure notre coefficient de résistance. Plus celui-ci est faible, plus les réactions sont timides et apeurées, plus il avance, plus il progresse. L’argument qui consiste à dire qu’on ménage son ennemi pour éviter de le mettre en colère et le préserver le peu qu’il nous laisse encore a fait son temps. A force d’avoir agi ainsi, nous avons à peu près tout perdu et aujourd’hui jusqu’au culte public.
Que transmettrons-nous à nos enfants ? Devant les faits, reconnaissons enfin que nous avons fait fausse route. Cessons la politique des compromis. Prenons notre courage à demain et affrontons notre ennemi avant qu’il ne nous ait affaibli encore davantage. Ne sommes-nous pas arrivés à un point où, de toute façon, nous n’avons à peu près plus rien à perdre ? Si d’ailleurs, nous devions subir les matraques des forces de police sous tous les clochers de France, nous aurions remporté une immense victoire morale : redonner la fierté aux catholiques. Et nous verrions s’accomplir devant nos yeux la grande vérité exprimé par Tertullien : « Le sang des martyrs est une semence de chrétiens. »
Mes chers amis, la bataille du culte public que nous menons n’est pas une bataille optionnelle. Je veux préciser que la réaction vraie et forte que je préconise n’est pas une option qu’on peut choisir parmi d’autres. L’interdiction du culte public est une loi injuste et mortifère pour les hommes. Aucune autorité humaine n’a le pouvoir de s’opposer aux lois divines. La tyrannie survient lorsque les législateurs, je cite saint Thomas d’Aquin dans son Traité sur les lois, outrepassent le pouvoir qui leur a été confié.
La suppression du droit du culte public en France est une loi tyrannique qui oblige en conscience le clergé catholique et les catholiques à une opposition proportionnée. En période de tyrannie, nous sommes presque obligés de nous référer à l’attitude et au langage héroïques et exemplaires d’Antigone qui nous sert de phare. Rappelons que Créon, aujourd’hui nous dirions Macréon, roi de Thèbes, avait publié un décret condamnant à mort les rebelles et les privant de sépulture. Parmi les rebelles qui périrent, il y eut Polynice, neveu de Créon et frère d’Antigone. Celle-ci n’hésita pas à lui donner une sépulture et s’exposa à la colère de Créon. Dans l’acte II, scène 3 de la pièce de Sophocle, Antigone répond à Créon : « Je ne croyais pas certes que tes édits eussent tant de pouvoir qu’ils permissent à un mortel de violer les lois divines : lois non écrites, celles-là, mais intangibles. Ce n’est pas d’aujourd’hui, ni d’hier, c’est depuis l’origine qu’elles sont en vigueur et personne ne les a vues naître. » Antigone sera condamnée à mort mais son exemple nous aide jusqu’à ce jour. Et si l’on veut maintenant une référence chrétienne pour confirmer la sagesse du vieux Sophocle, citons saint Paul : « Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. »[3]
Nous devons d’autant plus cesser d’hésiter et choisir la réaction vraie, forte et frontale, autant qu’il le faudra, que Macréon n’est pas seulement celui qui interdit le culte public mais qu’il est en même temps celui qui revendique le droit au blasphème. Laissons une fois pour toute de côté l’illusion de la neutralité républicaine et de son respect de la religion. Sous son masque, la République, celle qui fait porter les masques, est la première à être masquée. Sous son masque de neutralité, elle est anti-religieuse et spécialement anti chrétienne et cathophobe. Son ambition est celle du Léviathan de Hobbes [4]. Elle est de s’attribuer, comme un César tout puissant, ce qui n’appartient qu’à Dieu. C’est à l’élimination de l’Eglise qu’elle vise purement et simplement ainsi que le symbolisent nos cathédrales brûlées, nos cimetières profanés et nos églises fermées.
On me dira sans doute que je perds mon temps à espérer une réaction courageuse des évêques français. Ce n’est pas que j’ai beaucoup d’illusions. Le temps de monseigneur Freppel, du cardinal Pie ou du cardinal de Cabrières est révolue depuis longtemps. Mais cependant qui n’essaie rien n’obtiendra rien. D’autre part, à défaut de convaincre des évêques, toute réception favorable de la part des prêtres ou des catholiques, constituera déjà un avantage, un renforcement de notre opposition au macréonisme. Peut-être peut-on miser aussi sur le sentiment qui se développe, le sentiment des français d’avoir été floués jusqu’au plus profond d’eux-mêmes, qui submerge aujourd’hui notre pays. Il existe une force qu’il ne faut pas sous-estimer, qui vient de la prise de conscience d’avoir été roulés dans la farine depuis la Révolution française.
Mes chers amis, est-ce que j’étends mon appel à la résistance aux autres religions ? Je ne le ferai certainement pas. Mais il faut dire que, théoriquement, tout croyant, tout homme normal qui croit en Dieu – les athées sont une race qui date de la fin du XIXe siècle – tout croyant doit réagir devant l’iniquité que constitue la suppression du culte public. Cela appartient au droit naturel que les païens connaissaient.
Dans son « Contra Colotès », Plutarque écrit, je le cite, qu’«’il est plus facile de bâtir une ville dans les airs que de constituer une société sans la croyance aux dieux. » Entends-tu Macréon ? Et si tu préfères que j’interroge Rousseau, il constate dans le « Contrat social », livre IV, chapitre 8, que « jamais Etat ne fut fondé que la religion ne lui servît de base. » Et si tu veux que j’interroge l’impie Voltaire, il te répond qu’il est intéressant de voir les « tyranneaux » d’aujourd’hui qui prétendent pouvoir se passer de Dieu et blasphémer Dieu.
Il est aussi intéressant de constater qu’aujourd’hui ni les juifs, ni les musulmans, ni les protestants n’ont l’air bien préoccupés de l’interdiction du culte. Soit certains d’entre eux, comme cela a été démontré, peuvent aller dans leurs synagogues sans être inquiétés ainsi que Rivarol l’a démontré lors du premier confinement, soit, et c’est probablement le fond des choses, les convictions religieuses des uns et des autres ne sont pas assez fortes pour pouvoir monter au créneau. Honneur aux catholiques qui réagissent ici et partout en France !
Mais, mes chers amis, si nous n’avons le renfort ni de combats parallèles venus des autres religions, ni celui du clergé français, nos combats ne sont-ils pas des combats perdus ? A cela je voudrais répondre non, pour plusieurs motifs. D’abord, ce n’est pas parce qu’un combat se solde par un échec qu’il a été un combat inutile. Il y a parfois un devoir de combattre à grandes inégalités d’armes, parce que le devoir et parce que l’honneur nous le demandent. D’autre part, ainsi que le montre l’exemple de saint Louis, dans l’exemple des deux croisades successives qu’il organisa, dont il prit la tête et qui échouèrent toutes les deux, il y a d’éclatantes victoires spirituelles et morales qui existent derrière des échecs apparents, qui maintiennent l’honneur, le courage, la pugnacité des générations pendant des siècles. Et sainte Jeanne d’Arc est là pour nous le dire, sur cette place. Ensuite, parce que nos combats sont de très précieux moyens d’apostolat pour redonner la fierté aux catholiques et ramener les français au vrai catholicisme. Ils s’aperçoivent qu’il existe encore des citoyens français qui ne sont pas morts, qui sont vivants. Ils se rendent compte qu’ils veulent sauver la France comme eux et font route vers eux. Il y en a parmi vous, et c’est une grande espérance pour nous, que de voir le retour de beaucoup de ces français vers le catholicisme.
Je voudrais encore dire que tous ces combats ne doivent d’ailleurs jamais être réputés perdu d’avance ainsi que l’avaient montré les recours lors du premier confinement – mieux nommé incarcération à domicile – où le Conseil d’Etat donna tort au gouvernement et qui permit la réouverture du culte. Je veux encore citer les jugements qui viennent d’être rendus par les tribunaux administratifs dans le Puy de Dôme – vive l‘Auvergne ! – et à Paris, et qui reconnaissent l’iniquité de l’interdiction des messes en public et des prières en public.
Et mes chers amis, une justice élémentaire demande de reconnaître que ces combats pour une large part sont dus aux initiatives de Civitas et que ces victoires sont le fruit de ses impulsions et de ses travaux. Il est aujourd’hui urgent que les catholiques et les français prennent conscience que le combat aujourd’hui sur le plan politique est mené en particulier, pas uniquement sans doute mais en particulier, par cette institution présente sur tous les fronts en dépit du petit nombre de ses cadres. Je ne dis pas uniquement par cette institution, mais principalement par elle. Alors laissons de côté des préventions ridicules, des chichis de chapelle, des jalousies mortifères, pour apporter notre concours à cette instance politique française qui a officiellement affiché comme but le Règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ et explicité, comme première visée de son action, la destruction des loges maçonniques, la suppression des lois Taubira et Veil.
Nous avons tous conscience, je pense, d’être entrés dans un moment de l’Histoire comme on ne l’a jamais vue, où la tyrannie mondialiste, l’« Etat profond », hélas soutenu par l’« Eglise profonde » d’un pape antichrist, entend triompher. Face à ce Léviathan et à cette monstrueuse utopie, face à cette remise à zéro par les zéros de Davos, nous disons que nous n’entrerons pas dans le parti des conservateurs pour combattre. Car les conservateurs sont les girondins de la Révolution qu’ils ne veulent pas remettre en cause, et ce n’est pas avec eux que nous nous battrons. Nous n’avons rien à voir avec eux. Nous sommes des opposants, nous sommes des dissidents. Notre nombre est-il ridiculement petit, notre force est-elle insignifiante ? Peu importe. Un seul homme, Soljenystine pour le nommer, a ébranlé le rideau de fer par la vérité qu’il a su dire. Et l’Ecriture nous dit : « Si Dieu est avec nous, qui est contre nous ? »
Mes biens chers amis, nous sommes les descendants des Macchabés, des Vendéens, des Cristeros. Nous sommes les frères d’armes des Arméniens génocidés, martyrisés.
Mes chers amis, je crois que, comme il y a une contagion de la lâcheté, de la servilité, de la soumission et de la passivité, il y a aussi une autre contagion, plus forte et belle celle-là, de la bataille, du courage et de l’héroïsme ? C’est celle-là que nous devons promouvoir !
Nous devons nous croiser, nous armer de nos chapelets et comprendre l’obligation de la vertu de désobéissance. Ecoutez moi bien ! J’ai fait vœu d’obéissance ! Nous devons nous armer de nos chapelets et comprendre l’obligation de la vertu de désobéissance. Ainsi que le disait le cardinal de Cabrières, évêque de Montpellier, le 6 août 1908 : « N’obéissez plus ! Nous ne pouvons ni ne devons obéir aux mauvaises lois. » Et il ajoutait : « Vers ceux qui nous persécutent, ma main ne se tendra pas. A l’époque où nous sommes, époque de guerre sans trêve ni merci, il faut combattre pour Dieu et pour la religion. Il n’y a qu’une attitude à prendre : résister de toutes nos forces pour faire triompher notre cause qui est la cause de Dieu. Je ne sais si la prison s’ouvrira un jour devant moi. »
Je ne le sais pas non plus pour moi mais je pense qu’il faut que nous nous liguions les uns les autres car l’union fait la force, pour nous investir avec acharnement dans les combats qui nous reviennent, combat pour que Dieu soit adoré, combat pour que les églises soient ouvertes, combat pour que les fidèles puissent recevoir les sacrements, combat pour que la Communion soit donnée, non pas sur la main mais sur la langue évidemment.
Mes bien chers frères, vive le Christ Roi, vive l’Eglise catholique, vive Garcia Moreno, à bas la synagogue de satan, à bas la franc-maçonnerie, à bas les macréons et les mécréants. A nous la devise de Charrette : « Souvent combattus, parfois battus, jamais abattus. »
Notre-Dame de Fatima, priez pour nous.
[1] Gynécologue obstétricien français né le 13 décembre 1950. Professeur des universités, il enseigne les sciences humaines à la faculté de médecine de Strasbourg. Source : Wikipedia (ndlr).
[2] Mgr Maurice Gaidon, Un évêque français entre crise et renouveau de l’Eglise, Editions Emmanuel, 2007.
[3] Rom. 13, 1.
[4] Thomas Hobbes, Léviathan, 1651.
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