Nina Issakova est journaliste russe  à Berëzovski Rabotchii, journal régional de la région de Sverdlovsk.  Elle a répondu à nos questions sur l’état général de la presse russe aujourd’hui sous l’ère de Poutine.

Bonjour à vous, tout d’abord voudriez-vous vous présentez, vous êtes journaliste, vous êtes russe, qui êtes-vous ?

Mon nom est Nina Issakova. J’ai 52 ans et oui je suis Russe, j’ai effectué deux parcours universitaires, le premier comme professeure, le second comme journaliste. Je travaille comme rédactrice en chef adjointe pour le journal de ma ville Берёзовский рабочий. C’est une importante localité minière de l’Oural près d’Ekaterinbourg. Autrefois j’ai travaillé comme rédactrice dans le journal destiné aux jeunes de la ville « Фишка ». Voilà 35 ans que je travaille.

En France et en Europe les médias expliquent en boucle à longueur de journée que les journalistes russes ne sont pas libres d’écrire ce qu’ils veulent, qu’en pensez-vous ?

Ils n’ont pas raison. Le journalisme russe est depuis longtemps libre et indépendant. Nous sommes libres d’exprimer notre opinion, nous avons le droit de critiquer le gouvernement et le président de notre pays sans aucune crainte de poursuites. Oui dans le passé, pendant la période soviétique tout était différent : il y avait des relectures des articles des journalistes par des représentants du gouvernement, du Parti communiste au pouvoir. Il y avait même des instructions qui étaient données afin de définir ce que nous devions écrire et comment l’écrire. Mais la Russie est depuis longtemps un Etat démocratique, à cet égard beaucoup de choses ont changé, notamment dans les médias. Lors de la conférence annuelle de presse, le président Poutine répond aux questions des journalistes, ouvertement, nous pouvons lui poser n’importe quelle question. Par ailleurs, nous pouvons également obtenir de n’importe quel fonctionnaire des informations que nous pouvons diffuser à nos lecteurs.

Ils expliquent aussi que le pouvoir tue des journalistes, Evguénia Albats déclarait au mois d’octobre dans un magazine américain qu’elle craignait pour sa vie, est-ce la vérité ou simplement un business médiatique pour l’opposition russe ?

La profession de journaliste russe n’est pas plus dangereuse dans notre pays que celle de concierge ou de cuisinier… Les amateurs peuvent se créer des situations dangereuses, il est possible d’éviter des erreurs dans toutes les professions mais cela ne signifie pas que chaque erreur d’un journaliste doit être payé de sa vie ! Le concierge peut glisser sur le perron de sa porte, le cuisinier se brûler les mains… Si un journaliste fait une erreur, dans le pire des cas il sera jugé pour diffamation. Oui dans les années 90, lorsque la Russie était en proie à une criminalité galopante et que les mafieux régnaient en maître, les journalistes ont été souvent la cible des « Nouveaux russes ». Toutefois, à l’heure actuelle, la situation est redevenue normale depuis longtemps et aucun journaliste n’a peur pour sa vie !

En ce qui concerne Albats, elle a pris une position critique et chicanière envers le pouvoir présidentiel et particulièrement à l’encontre de Vladimir Poutine. Ce sont ses convictions personnelles. Mais toute critique doit être justifiée. Eugénia est profondément politisée, peut-être qu’elle possède des informations privilégiées… mais je ne pense pas qu’elle soit menacée de mort ! Poutine sera remplacé par un autre dirigeant et il y aura encore des mécontents, à nouveau nous trouverons une opposition. Cela en a toujours été ainsi. Albats probablement par une telle déclaration a décidé de faire d’elle-même une victime et voilà tout.

Comment devient-on journaliste en Russie de nos jours ? Est-ce que les écoles de journalisme sont de qualités sont-elles sous contrôle ?

Il n’est pas difficile de devenir journaliste en Russie de nos jours. J’ai eu le désir d’enseigner. J’ai dirigé une école de journalistes pour les étudiants du secondaire qui préparaient leur entrée à l’Université. Ils ont eux-mêmes tenté l’expérience, terminé le lycée et sont entrés dans une école de journalistes. Des 60 étudiants dont j’avais la charge, 12 ont obtenu leur diplôme dans le journalisme et travaillent aujourd’hui avec succès dans les médias. Les écoles sont sous l’autorité du Ministère de l’Education bien sûr, mais ce sont les professeurs et les doyens qui décident du contenu de l’enseignement destiné aux étudiants. Je crois qu’un journaliste peut travailler sans problème pourvu qu’il est reçu un solide enseignement, développé sa curiosité et maîtrisé la partie littéraire de ce travail.

Est-ce que la presse se sent vraiment libre en Russie ?

Bien sûr ! La presse russe est depuis longtemps libre du contrôle des partis politiques. Autrefois le Parti communiste contrôlait tout, notamment par les subventions. Désormais les financements des journaux ne viennent pas du pouvoir ce qui induit une liberté totale face aux administrations et à l’État. Nous avons certes des médias publics et aussi des grands groupes de presse. C’est dans les lignes de ces derniers, notamment par l’obligation de résultats, de profits ou par l’affichage de publicités orientées que les informations peuvent être biaisées. Il est difficile dans ces conditions d’avoir une entière liberté de paroles. Les journalistes ont une opinion et doivent en écrire une autre, c’est une dérive que nous constatons dans le monde entier.

Quel est le paysage de la presse russe, pensez-vous que les citoyens russes ont accès très largement à l’information ?

Nous vivons dans le siècle de l’information de sorte que grâce à Internet, chaque support médiatique a désormais son site. Les lecteurs peuvent surfer sur la toile sans restriction et aller chercher l’information qu’ils désirent et se faire leur opinion. Vous pouvez acquiescer les analyses des auteurs ou au contraire les réprouver. Aujourd’hui dans notre pays, même les retraités possèdent un ordinateur et des connaissances informatiques. L’accès à l’information est donc global.

En France il y a eu la naissance de médias alternatifs qui ont changé le paysage médiatique, est-ce que cette révolution s’est opérée également en Russie ?

Évidemment, chez nous aussi nous sommes devenus les otages du développement des nouvelles technologies de l’information. Nous avons aussi des médias alternatifs, de nouveaux journaux et c’est une sérieuse concurrence pour la presse imprimée. Ces dernières années nous avons dû réduire considérablement la fréquence de publication de notre journal. Si nous avions autrefois trois éditions de notre journal par semaine, nous sommes passés au format hebdomadaire avec un journal de 32 pages. Mais il y a des gens qui ont besoin de notre information et qui lisent notre journal Берёзовский рабочий lequel existe depuis 75 ans et nous poursuivons notre travail.

La loi contre la propagande homosexuelle a fait couler beaucoup d’encre en France, comment voyez-vous cette loi du point de vue russe et du vôtre ?

Nous avons adopté en Russie une législation interdisant la propagande des relations sexuelles non traditionnelles. Cette loi a reçu également en Russie une réaction mitigée. Mais à en juger par les forums, les débats et les opinions des citoyens russes, elle reçoit le soutien de la très grande majorité des Russes. Pour ma part, ce thème de l’homosexualité me dérange beaucoup. Je suis contre ces pratiques ! Tout dans la vie doit être en harmonie. L’enfant doit avoir une maman et un papa. Je soutiens donc pleinement une loi qui interdit les diverses propagandes pour magnifier l’homosexualité. Que ce problème puisse être l’objet d’études dans les établissements médicaux et psychologiques soit, afin qu’il soit connu, mais toute autre forme de diffusion reste honteuse. Ce qui se passe dans la chambre à coucher des adultes regarde tout un chacun, mais la société, elle, a besoin d’être en bonne santé pour l’avenir.

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