Existimate vos mortuos esse peccato, viventes autem Deo in Christo Iesu.
Regardez-vous comme morts au péché, et vivants pour Dieu dans le Christ Jésus.
Mes bien chers frères,
Cette phrase clôt l’épître de la messe d’aujourd’hui et elle en résume la pensée : la vie chrétienne consiste d’une part à mourir au péché, d’autre part à vivre pour Dieu, dans le Christ Jésus.
Comme souvent dans les lettres de saint Paul, le style de cette épître est assez emmêlé, les idées se bousculent, les images s’entrechoquent ; cependant il convient de s’arrêter quelque peu pour démêler ces idées et éclaircir ces images ; en effet, le message que nous donne saint Paul est capital, c’est le fond même de la vie chrétienne.
Peut-être avez-vous reconnu dans cette épître la lecture que l’on fait pendant la vigile pascale juste avant de renouveler les promesses du baptême. Si l’Église a choisi de nous faire entendre ce passage à ce moment, c’est qu’il contient l’essentiel de notre engagement baptismal : en recevant le baptême, en devenant chrétien, nous avons promis solennellement de mourir au péché avec le Christ d’une part, de vivre pour Dieu avec le Christ d’autre part.
Expliquons d’abord la doctrine de cette épître, nous donnerons ensuite quelques conseils pour la mettre en pratique.
Saint Paul dit que nous devons nous estimer morts au péché avec le Christ et il répète cette idée trois fois dans l’épître, sous trois formules différentes :
D’abord d’une façon générale, il dit que « nous sommes morts avec le Christ », mortui sumus cum Christo, ou encore que « nous avons été baptisés dans sa mort » ; in morte ipsius baptizati sumus, nous avons été baptisés pour mourir avec lui.
Ensuite saint Paul précise cette idée générale sous deux images particulières : la crucifixion et la sépulture :
Vetus homo noster simul crucifixus est ut destruatur corpus peccati. Notre vieil homme a été crucifié avec lui pour que le corps du péché soit détruit.
Consepulti enim sumus cum illo per baptismum in mortem, nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour mourir
En deux mots, le baptême est un rite de crucifixion et un rite de sépulture.
a) Le baptême est un rite de crucifixion qui cloue à la croix de Jésus le vieil homme que nous étions. Il détruit en nous le « corps du péché », c’est-à-dire le péché originel et, s’il y a lieu, le péché actuel et la peine qui lui est due. Il ne supprime pas la concupiscence, mais il nous donne les grâces pour y résister.
C’est l’enseignement formel de l’Église, par exemple celui du Catéchisme du concile de Trente :
Tous nos péchés, soit le péché originel qui nous vient de nos premiers parents, soit le péché actuel que nous commettons par notre propre volonté, – quand même ce péché dépasserait en malice tout ce qu’on peut imaginer, – tous nos péchés, disons-nous, nous sont remis et pardonnés par la vertu merveilleuse du Sacrement de Baptême. […] Et non seulement le Baptême remet tous les péchés, mais grâce à l’infinie bonté de Dieu, il remet en même temps toutes les peines qui leur sont dues. […] Voilà pourquoi la sainte Église a toujours compris qu’on ne pouvait, sans faire une très grande injure à ce sacrement, imposer à celui qui doit le recevoir et être purifié par lui, […] des œuvres satisfactoires.
b) Le baptême est un rite de crucifixion, mais il est aussi un rite de sépulture : le néophyte est enseveli dans les eaux, comme Jésus a été déposé dans le sépulcre.
Il faut se rappeler qu’au temps de saint Paul, le baptême se faisait par immersion. Le baptistère était assez grand pour que l’on puisse plonger dans l’eau le catéchumène – cela figurait son ensevelissement avec le Christ – puis on le relevait, ce qui figurait la résurrection du chrétien à une vie nouvelle.
Cet image de la sépulture montre qu’il doit y avoir une séparation très nette entre l’existence que le néophyte menait antérieurement sous l’emprise du péché et celle qu’il va mener désormais. Il est mort et enterré : or un mort ne pèche plus.
La mort au péché est l’aspect négatif du baptême. Mais il y a aussi l’aspect positif :
Nous devons aussi, dit saint Paul, nous estimer vivants pour Dieu avec le Christ
Saint Paul parle de marcher avec Dieu dans une vie nouvelle « in novitate vitae ambulemus », d’être greffé sur Jésus-Christ pour ne former qu’une même plante avec lui « complantati facti sumus », afin que, après avoir connu une mort semblable à la sienne, nous passions par une résurrection semblable à la sienne « similitudini mortis eius, simul et resurrectionis erimus ».
Le baptême est donc aussi un rite de résurrection. Nous reprenons vie avec le Christ quand nous sortons de la piscine baptismale transformés par la grâce, comme Jésus-Christ est sorti glorifié de son tombeau. La vie de Jésus ressuscité est une vie d’appartenance totale à Dieu : nous aussi, nous ne devons avoir d’autre but que d’achever, par une vie fervente, de graver dans notre âme les traits de ressemblance que la grâce nous donne avec Dieu, avec Jésus.
Aussi l’apôtre parle-t-il de croître avec Jésus, comme une plante qui grandit, de marcher avec lui dans une vie nouvelle : ces deux images mettent en valeur l’idée de progrès. Car notre baptême n’est pas un terme : c’est un point de départ pour une vie nouvelle, une vie éternelle.
Après avoir expliqué la doctrine de cette épître, voyons comment vivre cet enseignement de saint Paul,
c’est-à-dire comment faire pour mourir au péché avec le Christ et pour vivre pour Dieu avec le Christ.
Pour mourir au péché avec le Christ, il y a trois choses à faire : veiller, se mortifier, recevoir le sacrement de pénitence.
La vigilance d’abord est nécessaire. « Veillez et priez » a dit Notre-Seigneur, veillez car si le péché a été détruit par le baptême, il reste en nous quelque chose du vieil homme.
La concupiscence ou le foyer du péché subsiste encore chez les baptisés, dit encore le Catéchisme du concile de Trente ; et il précise que la concupiscence n’est point le péché. [C’est] une inclination ou tendance de l’âme, essentiellement contraire à la raison.
Il reste donc une faiblesse dans notre nature, une facilité à commettre des péchés. Nous devons donc veiller sur nous-mêmes. Et pas seulement sur nous-mêmes, car nous avons aussi des ennemis autour de nous : le diable, qui circule cherchant qui dévorer, circuit quærens quem devoret, et le monde, c’est-à-dire tous ceux qui sont soumis à l’influence du démon – consciemment ou non – et sont pour nous une occasion de scandale, c’est-à-dire de chute.
En conséquence de cette faiblesse, il faut veiller, mais il faut aussi se mortifier. Le Cardinal Mercier dit dans sa belle plaquette sur la « mortification chrétienne »,
La mortification chrétienne a pour but de neutraliser les influences malignes que le péché originel exerce encore dans nos âmes, même après que le baptême les a régénérées. […] Il faut mortifier le vieil homme, c’est-à-dire le réduire pratiquement à l’impuissance, à l’inertie et à la stérilité d’un mort ; il faut l’empêcher de donner son fruit qui est le péché, et annuler son action dans toute notre vie morale.
« Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous », disait Notre-Seigneur, et la sainte Vierge à Lourdes : « Pénitence, pénitence, pénitence ».
Pour mourir au péché, il faut veiller, se mortifier, et enfin recevoir régulièrement le sacrement de pénitence.
Pie XII dans l’encyclique Mystici corporis de 1943 recommande vivement le pieux usage introduit par l’Église sous l’impulsion du Saint Esprit, de la confession fréquente, et il en signale les avantages spirituels :
[La confession fréquente, c’est-à-dire au moins une fois par mois] 1) augmente la vraie connaissance de soi ; 2) favorise l’humilité chrétienne ; 3) tend à déraciner les mauvaises habitudes ; 4) combat la négligence spirituelle et la tiédeur ; 5) purifie la conscience ; 6) fortifie la volonté ; 7) se prête à la direction spirituelle ; 8) et par l’effet propre du sacrement augmente la grâce.
Il ne suffit pas de mourir au péché, nous devons aussi vivre pour Dieu avec le Christ.
Et pour cela il y aussi trois choses à faire. Prier, communier, agir chrétiennement. En effet, un corps vivant respire, se nourrit et est capable de mouvement.
Nous devons d’abord faire respirer notre âme par la prière. De même que la respiration fait entrer en nous l’air dont nous avons besoin, et fait sortir de nos poumons l’air vicié, de même la prière est nécessaire pour attirer en nous les grâces de Dieu et purifier notre âme.
Nous respirons sans cesse, de jour et de nuit, de même nous devrions prier sans cesse, de jour et de nuit, car comme le dit le Cantique des cantiques : « Je dors, mais mon cœur veille ».
Cela dit, de même que de temps en temps nous ouvrons la fenêtre ou nous allons nous promener pour prendre un peu d’air frais, de même il faut de temps en temps des moments de prière plus marqués, notamment prier notre chapelet, et si nous le pouvons pratiquer l’oraison.
La respiration ne suffit pas à faire vivre notre corps, il faut aussi le nourrir. De même pour l’âme, il faut la nourrir en lui donnant son aliment le plus approprié, la sainte communion, le pain super substantiel comme dit l’Évangile de saint Mathieu : panem nostrum supersubstantialem da nobis hodie.
En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et ne buvez son sang, vous n’avez point la vie en vous-mêmes. Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage. Comme le Père qui est vivant m’a envoyé, et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra aussi par moi.
Respirer et manger sont nécessaires à la vie, mais aussi le mouvement est nécessaire, car la vie c’est le mouvement. Pour une âme chrétienne, le mouvement, l’action par excellence, ce sont les œuvres de miséricorde, œuvres de miséricorde corporelles comme de donner à manger à ceux qui ont faim et les autres œuvres mentionnées par Notre-Seigneur dans l’Évangile, mais aussi œuvres de miséricorde spirituelles.
Il y a sept œuvres :
- corriger les pécheurs
- instruire les ignorants
- consoler les affligés
- donner de bons conseils à ceux qui en ont besoin
- souffrir patiemment les injures et les défauts d’autrui
- pardonner les offenses
- prier Dieu pour les vivants et les morts et pour ceux qui nous persécutent.
Probatio caritatis, exhibitio est operis, la preuve de notre charité ce sont les œuvres que nous pratiquons, la preuve que nous vivons spirituellement, c’est que nous rayonnons autour de nous, que nous répandons la vie au moins par le bon exemple que nous donnons à notre prochain.
Mourir au péché, vivre pour Dieu, voici le programme de notre baptême, l’engagement solennel que nous avons pris par nous-mêmes ou par nos parrains et marraines.
C’est un programme exigeant que nous ne pouvons espérer réaliser sans la grâce de Dieu, et donc sans la médiatrice de toute grâce.
La sainte Vierge est immaculée, pure de tout péché, elle écrase le démon sous son pied dès qu’il montre sa tête, elle le fera en nous si nous le lui demandons.
Elle est aussi pleine de grâce, toute tournée vers Dieu et vers Jésus. Elle nous aidera aussi à nous tourner vers Dieu, à nous convertir selon l’étymologie du mot.
Demandons-le lui de toute notre cœur, très sainte Vierge Marie faites-nous mourir au péché et vivre pour Dieu, Notre-Dame de la sainte Espérance, convertissez-nous !
Un Père Dominicain
Avrillé, Dimanche 30 juin 2024, sixième dimanche après la Pentecôte
Autres sermons des Dominicains d’Avrillé :
– Jeudi 9 mai 2024 : En la fête de l’Ascension de Notre-Seigneur
– Dimanche 12 mai 2024 : Sainte Jeanne d’Arc et la Croix de Jésus
Fabien Laurent
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