Présenté par le régime de Kigali et par les médias comme le « cerveau du génocide » du Rwanda, le colonel Théoneste Bagosora vient de mourir à l’âge de 81 ans dans la prison du Mali où il purgeait une peine de 35 années de détention.
Arrêté au Cameroun au mois de mars 1996, défendu par Maître Raphaël Constant, avocat réputé du barreau de la Martinique, son procès (TPIR-98-41-T) débuta au mois d’avril 2002. Ce ne fut cependant qu’au mois d’octobre 2004, après un délai surréaliste de neuf années de détention préventive, que le Procureur fut en mesure de soutenir son acte d’accusation.
Construit sur le postulat qui était que le colonel Bagosora fut le maître d’œuvre du génocide, cet acte d’accusation reposait sur un « trou » de quelques heures dans son emploi du temps, entre 01h 30 et 06 heures du matin dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, durant lequel l’accusé aurait « allumé la mèche du génocide » !!!

N’ayant fait aucune vérification, ni aucune enquête sérieuse, sous la pression constante du régime du général Kagamé et de ses porte-voix médiatiques, le Procureur ancra son acte d’accusation sur cette abstraite construction intellectuelle.

Expert assermenté devant le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), j’ai travaillé durant plusieurs années sur ce dossier et, dans le volumineux rapport d’expertise que j’ai défendu devant la Cour (Lugan, TPIR-98-41-T), j’ai notamment minutieusement reconstitué l’emploi du temps du colonel (voir l’intégralité de mon rapport publié dans Dix ans d’expertises devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda), faisant effondrer comme un château de cartes l’artificielle construction idéologique du Procureur.

Dans leur jugement, les juges rejetèrent donc tout naturellement les éléments de « preuve » avancés par le Procureur, infligeant ainsi un camouflet d’une rare puissance à l’Accusation et à la thèse officielle.
Au terme d’un procès fleuve rythmé par 409 jours d’audience, par les déclarations de 242 témoins à charge et à décharge remplissant 30 000 pages de compte rendus d’audience, par 1 600 pièces à conviction, par 4 500 pages de conclusions et par 300 décisions écrites, la Cour, dans son jugement en date du 18 décembre 2008, déclara en effet le colonel Bagosora non coupable « d’entente en vue de commettre un génocide ».

Ce jugement faisait donc voler en éclats les bases de l’histoire officielle postulant que le génocide avait été programmé puisque les 40 éléments présentés par le Procureur pour tenter de prouver sa planification ne furent pas considérés comme probants par les juges (Résumé du jugement rendu en l’affaire Bagosora et consorts, TPIR-98-41-T, jugement 18 décembre 2008, page 1) :

« Plusieurs éléments qui ont servi de base à la thèse développée par le Procureur sur l’entente (en vue de commettre le génocide) n’ont pas été étayés par des témoignages suffisamment fiables (…) En conséquence, la Chambre n’est pas convaincue que le Procureur a établi au-delà du doute raisonnable que la seule conclusion raisonnable qui se puisse tirer des éléments de preuve produits est que les quatre accusés se sont entendus entre eux, ou avec d’autres, pour commettre le génocide (…) » (Résumé du jugement rendu en l’affaire Bagosora et consorts,TPIR-98-41-T, jugement 18 décembre 2008, pages 16-18).

Le colonel Bagosora fut néanmoins condamné à l’emprisonnement à perpétuité pour des crimes commis par des hommes supposés avoir été ses subordonnés, entre le 6 et le 9 avril 1994. Le colonel Bagosora interjeta appel de ce jugement.

Le 14 décembre 2011, la Chambre d’Appel du Tribunal Pénal International pour le Rwanda réduisit à 35 ans la peine de perpétuité infligée en première instance au colonel Théoneste Bagosora, les juges d’appel n’estimant pas qu’il avait ordonné les crimes pour lesquels il avait été condamné en première instance, et ils le condamnèrent uniquement parce que, en tant que supérieur hiérarchique postulé, alors qu’il était à la retraite, il n’aurait rien fait pour les prévenir ou en punir les auteurs.
Compte tenu des pressions exercées par le régime de Kigali, par les Etats-Unis et par la Grande-Bretagne, il n’était en effet politiquement pas possible aux juges d’acquitter purement et simplement l’accusé-phare du TPIR, celui qui, durant des années, avait été présenté comme le « cerveau » d’un génocide programmé, mais qui ne l’avait pas été puisque son déclencheur fut l’attentat du 6 avril 1994 qui coûta la vie au président Habyarimana. Voir à ce sujet les articles extrêmement détaillés publiés dans la revue « Le Fana de l’aviation » n° 619, 620 et 621 (2021), qui expliquent avec une grande minutie et une rare précision le déroulé de cet attentat, et dans lesquels le FPR du général Kagamé est clairement accusé d’en être l’auteur.
Pour l’état des connaissances scientifiques concernant ce génocide, ses origines et son déroulé, on se reportera à mon livre « Rwanda, un génocide en questions », éditions du Rocher, nouvelle édition 2021.

Bernard Lugan (www.bernardlugan.blogspot.com)

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