Même si la Nouvelle-Zélande a l’un des taux d’incarcération les plus élevés dans le monde occidental, avec 8000 personnes détenues sur quatre millions d’habitants, des leçons sont peut-être à prendre pour les autres nations occidentales.
Neil Campbell connaît bien le monde de la prison. Maori lui-même, originaire de la tribu Ngati Porou, il a travaillé dans les services pénitentiaires pendant vingt ans. Il a été notamment gardien à la prison de Paremoremo, l’établissement de haute sécurité réservé aux pires délinquants du pays. Depuis trois ans, il dirige le département Maori du ministère des Services correctionnels.
Parmi les détenus maoris qu’il a vu, il a identifié des problèmes récurrents : «La majorité d’entre eux a des problèmes d’alphabétisation et présente un problème de dépendance à l’alcool ou à la drogue. En plus du chômage de père en fils, de l’abus d’alcool et du manque d’éducation, beaucoup sont déconnectés de leur « whanau » : leur famille et leur clan.»
Campbell souligne que la compréhension et l’analyse de ces facteurs ne sert pas à excuser leur comportement, mais à trouver des solutions. Lorsque Campbell a commencé sa carrière de gardien de prison, on faisait très peu d’efforts pour comprendre ou trouver les solutions pour atténuer le risque de récidive. Comme beaucoup de ses collègues, il venait d’un milieu militaire et la prison ressemblait à une zone de guerre. «Quand j’ai commencé à la prison de Paremoremo, j’étais de loin le plus petit officier de mon bloc, je fais 1,80 mètres … Tous les gars faisaient deux mètres. On m’a posé seulement deux questions dans mon entretien d’embauche : «Dans quel régiment avez-vous servi ? A quel poste avez-vous joué dans l’équipe de rugby? »
«La mentalité était que si les prisonniers sortaient de la ligne, il fallait les briser. Les gens qui sortaient de cette prison étaient plus en colère contre la société que quand ils entraient. »
Une émeute très violente a éclaté dans la prison où travaillait Campbell. Il compare l’émeute à ce qu’il a vécu sous le feu en tant que soldat. «Quand beaucoup de gens sont en colère, que tout devient une arme et que vous avez affaire à des gens qui n’ont aucun scrupule à tuer, c’est indescriptible … »
«Il fallait changer d’attitude. Nous avons dû commencer à employer du personnel plus adapté à la situation.»
Sir David Carruthers a été juge pour enfants, juge en chef du tribunal de district et chef de la commission des libérations conditionnelles. Il avertit : « Il n’y a pas de réponse simpliste à une question aussi compliquée que celle-là. D’autres pays y sont confrontés, en particulier ceux qui ont des populations venant d’ex-colonies. »
Les Maoris n’ont pas toujours été surreprésentés dans les statistiques criminelles. Il y a cent-soixante ans, la population qui était grossièrement sur-représentée dans les problèmes sanitaires, les carences d’éducation et la criminalité étaient les Irlandais… Sir Carruthers pense que les tendances ne sont pas irréversibles ou inévitables. «On justifie les prisons comme moyen de protéger la société contre les gens dangereux. Mais comme moyen de dissuasion, cela n’est pas efficace. »
Carruthers a un sourire ironique quand on évoque l’opinion publique et les titres des journaux. Il y a eu, en effet, une augmentation des titres de presse sur des affaires criminelles en Nouvelle-Zélande depuis les dix dernières années. La couverture du crime est un moyen peu coûteux de remplir des pages… Mais cette couverture médiatique peut grandement déformer, non seulement la réalité criminelle, mais influencer l’opinion publique et les solutions que les hommes politiques proposent.
Ainsi, la libération conditionnelle est souvent présentée comme un risque pour la collectivité. «Les statistiques internationales montrent qu’un libéré sur parole a cinq fois moins de chance de récidiver qu’un détenu libéré automatiquement à la fin du terme de sa peine», dit Carruthers. Mais cela ne fait pas les titres des journaux. Tout comme les « Rangatahi », ces tribunaux tenus pour les adolescents délinquants dans les cases traditionnelles qui intègrent les protocoles Maoris.
Le sergent Rob Woodley, de la tribu Ngapuhi, a servi comme policier à South Auckland, la plus grande ville maorie au monde, pendant 20 ans. C’est dire s’il connaît les facteurs qui mènent à la criminalité. Depuis 14 ans, il est directeur général du Genesis Youth Trust qui travaille avec les jeunes à risques pour leur éviter de rejoindre les statistiques de la criminalité.
Pour Rob Woodley, les causes habituelles de la délinquance sont l’échec scolaire et la désintégration des familles.
«La plupart des enfants que nous voyons proviennent de régions socio-économiquement sinistrées du territoire. Le chômage est un problème à la maison. Si vous creusez dans ces familles, vous découvrez que le père n’est pas présent ou est lui-même un délinquant impliqué dans un gang. »
«Le faible niveau d’alphabétisation est également commun à beaucoup de ces jeunes. Ils ont quinze ans mais ils lisent comme des enfants de six ans. Quand la vie à la maison n’est pas saine et qu’ils ne sont pas en contact avec une école, il y a peu de chances pour qu’ils fassent du sport ou du théâtre », constate Woodley. «C’est là que les gangs de jeunes prennent la place, particulièrement à South Auckland».
« Beaucoup de ces garçons sont en colère. On doit peut-être se demander d’où vient cette colère. » L’accusation de parti-pris envers les Maoris est comme une gifle pour l’officier maori. « Quand j’étais policier et que j’arrêtais un polynésien en état d’ivresse et qu’il me disait : « Tu le fais parce que je suis Maori. » , je répondais : «Pas de ça avec moi. Je suis Maori moi-même. Vous roulez sur la route en étant ivre. »
Environ 70 % des jeunes que l’association Genesis prend en charge, selon Woodley, ne récidivent pas. Mais il y a toujours ceux pour qui l’intervention n’a jamais eu lieu, est venu trop tardivement ou s’est simplement révélée inefficace. Une peine d’emprisonnement peut être un réveil brutal pour certains délinquants. Pour d’autres, cela constitue un moment de répit au milieu du chaos et du stress que comportent leur mode de vie quotidien.
Michael, un jeune détenu maori témoigne :
«Les six premiers mois de prison, on est dépressif», explique-t-il. « On ne parle à personne. Ca prend un certain temps pour s’habituer à l’environnement de la prison. Après, on apprend à qui on peut faire confiance, de qui on doit se méfier. L’année suivante, on a un plan. On sait où on ne veut plus être, on sait où on veut aller. On a juste besoin de moyens pour réaliser notre plan. «
Dans le passé, ces moyens n’étaient tout simplement pas disponibles. Maintenant, la politique gouvernementale a changé. L’éducation et le traitement des problèmes liés à la drogue et à l’alcool sont au centre des politiques carcérales. Les détenus suivent également des programmes pour analyser leur comportement criminel. Pour beaucoup d’entre eux, ce n’est pas une expérience agréable d’être confronté à leurs responsabilités. Michael se rappelle :
« Combien de signaux d’alerte j’ai ignoré, combien de fois aurais-je pu sortir de la délinquance ? Si j’avais su ce que je sais maintenant, je ne serais pas ici. Je donnerais un bras et une jambe pour remonter le temps. »
Depuis le début des années 2000, cinq prisons ont créé des unités qui se concentrent sur les problèmes spécifiques des délinquants maoris. Pour beaucoup, c’est une chance de voir leur identité de Maori sous un jour positif. «Beaucoup de ces gens n’ont jamais été intégrés en premier lieu,» dit Neil Campbell, l’ancien gardien de prison devenu directeur du département Maori du ministère des Services correctionnels. «Nous avons la responsabilité de les renvoyer à la communauté mieux que quand ils sont arrivés chez nous. Donc, avec de meilleures compétences, de meilleurs raisonnements, dans l’espoir de réduire la probabilité de leur récidive. «
Campbell reconnaît qu’il y a des délinquants qui ne devraient pas voir la lumière du jour. Comme certains qu’il a connu dans l’aile la plus surveillée de la prison de Paremoremo. Mais il soutient que la grande majorité a le potentiel pour être réhabilitée. Il dit que c’est l’option la plus difficile politiquement mais qu’elle coûte le moins cher à la société, à long terme.
L’un des programmes de réinsertion mis en place dans le cadre du Service correctionnel est le « Te Whare Oranga Ake », à la prison de Hawke’s Bay, près de Hastings. La structure est basée juste à l’extérieur de la prison, avec quatre appartements de quatre chambres où vivent seize hommes pendant les derniers mois de leur peine.
C’était, à l’origine, une initiative pilote mise en place par Pita Sharples, un politicien maori. Depuis plus de deux ans, elle est dirigée par une entreprise privée : Choices Kahungunu Health Services. Le manager, Sam Christie de la tribu Ngati Kahungunu, affirme que l’objectif est de s’assurer que les hommes possèdent des compétences de base avant d’être relâchés. On y travaille sur le retour à l’emploi, l’acquisition d’un logement, la restauration du whanau, le soutien familial. Tout cela repose sur les pratiques culturelles maories.
« Si un de ces gars va être mon voisin, je veux qu’il ait les moyens de faire les bons choix, » explique Christie. En plus des programmes de lutte contre la drogue et l’alcool, des programmes d’éducation et un certain nombre de stages comportementaux à l’intérieur de la prison, les délinquants ont besoin de certaines choses de base pour minimiser leur risque de récidive ; comme, par exemple, un compte bancaire : beaucoup de délinquants reçoivent un chèque lorsqu’ils sont libérés par les services correctionnels pour le travail rémunéré qu’ils ont accompli en prison. Mais il est assez rare pour la plupart d’avoir un compte bancaire !
La chose la plus importante pour ces détenus reste de retrouver un emploi. Te Whare Oranga Ake a un bon taux de réussite dans ce domaine. Beaucoup d’employeurs trouvent les bénéficiaires du programme fiables car ils sont soutenus et vivent dans un environnement familial et communautaire structuré. Mais pourquoi seulement seize détenus de la prison de Hawke’s Bay, qui compte plus de 670 détenus, se voient offrir ce genre d’aide ? Christie hausse les épaules : «Nous ne pouvons pas être là pour tout le monde. Nous savons que nous avons fait un bon travail s’ils ne sont pas de retour en prison dans les douze mois. C’est généralement à cette période qu’ils risquent de retomber dans leurs mauvaises habitudes. «
Une grande partie du programme s’assure que les délinquants retrouvent un environnement sain et structuré au sein de leur whanau familial et de leur clan. Makere Riwaka-Love, de la tribu Te Ati Awa, travaille, elle, au sein du programme Maori Focus, à la prison de Rimutaka. Elle aide les détenus à se reconnecter à leur whanau pour qu’ils aient du soutien quand ils sortent.
« Nous constatons que pour un certain nombre de raisons, il y a des hommes qui n’ont pas whanau. Mon rôle est de voir comment je peux les reconnecter au clan familial auquel ils appartiennent. Il y a toujours quelqu’un mais il faut chercher pour le retrouver et le reconnecter à celui dont je m’occupe. Trouver cette personne est souvent un catalyseur de changement», constate Riwaka-Love. Les familles sont souvent aux prises avec les mêmes problèmes qui ont mené à la criminalité du délinquant. «Ce qu’ils me disent, dit-elle, c’est combien la vie a été difficile pour eux. Beaucoup de nos whanau sont en crise».
Le contexte familial est souvent le lieu où les problèmes commencent, mais c’est aussi là que les solutions se trouvent. « Nous devons créer des whanau plus résistants à l’environnement criminel », explique-t-elle. « Les gangs sont généralement considérés comme un risque élevé pour la récidive. A la vérité, beaucoup de membres de ces gangs décident qu’ils veulent quelque chose de différent pour leurs enfants. »
Sam Christie, le manager de l’entreprise Choices Kahungunu Health Services, confirme et avance l’idée que les ministères devraient essayer de travailler avec ces membres de gangs qui ont changé. «Ces gars ne veulent pas que leurs enfants passent par ce qu’ils ont vécu. Je pense que nous devrions travailler avec les gangs eux-mêmes pour développer cette stratégie. » «
Neil Campbell est d’accord et affirme qu’il voit un certain nombre de membres de gangs apporter des changements importants dans leur vie et celle de leur famille. Il dit que la perception du public sur les membres de gangs est simpliste et pense qu’on ne peut imposer une solution à un groupe de personnes simplement parce qu’un politicien pense que c’est une bonne idée. « Nous devrions au moins demander à ces repentis ce qui a fonctionné pour eux. Si vous ne les impliquez pas dans la solution, quel que soit le plan que vous proposez, il sera destiné à l’échec. »
Edge Te Whaiti est l’un de ces membres de gangs. Il a eu des échanges constructifs, non seulement avec la police et les services correctionnels, mais aussi d’autres membres de gangs. Membre de longue date de la bande Mongrel Mob, il s’est réuni avec des membres de bandes rivales pour aider la police à stopper une flambée de meurtres parmi les gangs de jeunes à South Auckland. Te Whaiti croit que ce sont les gangs eux-mêmes qui peuvent résoudre leurs problèmes. « Quand tu as un problème de plomberie, tu fais appel à un plombier. Pourquoi faire appel à un travailleur social quand tu as un problème de gang ? »
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