Emmanuel Hache est professeur et directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). Spécialiste des matières premières, il est l’auteur de Géopolitique des énergies aux éditions Eyrolles. Benjamin Louvet est gérant d’actifs, spécialisé dans les matières premières depuis plus de vingt ans. Formateur, conférencier sur les sujets de transition énergétique, il intervient régulièrement sur le thème des métaux et de l’énergie dans les médias. Ils viennent de cosigner un ouvrage intitulé Métaux : le nouvel or noir aux éditions du Rocher.
Il y a encore peu de temps, la question des métaux demeurait un impensé des politiques énergétiques et des politiques publiques. Mines et métaux avaient été rangés au placard de l’histoire économique et industrielle de nombreux pays européens, dont la France. Aujourd’hui, de nombreux rapports d’organisations internationales, de gouvernements, de chercheurs ou d’entreprises pointent désormais du doigt l’importance de métaux pour les politiques de transition énergétique promues à l’échelon mondial ainsi que pour l’évolution des prix de différents outils technologiques.
La mainmise de la Chine sur les métaux stratégiques
Ces questions ont d’autant plus d’importance que la transition énergétique se double d’une transition digitale, elle-même gourmande en métaux. Sans une prise en compte conséquente du caractère métallique des transformations à venir, nous risquons de transformer une dépendance aux énergies fossiles en une nouvelle dépendance aux minerais et aux métaux. En septembre 2022, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, avertissait : « Le lithium et les terres rares seront bientôt plus importants encore que le pétrole et le gaz. Rien que nos besoins en terres rares vont être multipliés par cinq d’ici 2030. » Et d’ajouter : « Le seul problème est qu’actuellement, un unique pays contrôle la quasi-totalité du marché. » Et ce pays, c’est la Chine. Outre que la Chine dispose sur son propre territoire d’importantes réserves de bauxite, cuivre, lithium, terres, rares, etc, elle a signé des accords avec quasiment tous les pays proposant des métaux rares. A travers une stratégie bien maîtrisée, la Chine vise une domination de l’ensemble de la chaîne de valeur du lithium : de la production du lithium au raffinage du métal, jusqu’à la fabrication des batteries et du véhicule électrique, la Chine règne en maître. Une stratégie similaire est observée sur le cobalt pour lequel la Chine ne représente qu’environ 1 % de la production mondiale, mais 67 % du cobalt raffiné.
Que la Chine cherche depuis plusieurs années à accentuer sa mainmise sur les métaux stratégiques n’est évidemment pas sans conséquence sur la géopolitique mondiale.
La problématique s’annonce centrale pour le continent européen, peu doté en ressource de métaux rares. La transition vers une économie décarbonée relèvera vite du mythe si l’Union européenne ne trouve pas de solutions très rapidement. Le problème est d’autant plus complexe que le discours écologique s’oppose aux besoins stratégiques en la matière. Ainsi, dans les années 1980, la France était l’un des deux leaders mondiaux de la purification des terres rares avec une part de marché de près de 50 %. Mais, comme les Etats-Unis, la France a fait le choix de laisser cette activité polluante à la Chine face aux risques environnementaux et de santé pour les populations locales.
Pénuries et hausse des prix
L’autre souci, au rythme de la production actuelle, est le risque accru de pénuries de certains métaux, au-delà de savoir qui en assure la mainmise.
Par ailleurs, les prix des métaux convoités ont augmenté au cours des dernières années et vont encore augmenter, avec des conséquences en cascade : ainsi, entre début 2021 et mars 2022, les prix du polysilicone de qualité photovoltaïque ont plus que quadruplé, le prix de l’acier a progressé de 50 %, celui du cuivre de 70 %, le prix de l’aluminium a doublé et celui du fret était multiplié par cinq. Avec pour effet une remontée du coût des panneaux solaires et des éoliennes terrestres de près de 25 %. Idem dans le domaine des batteries électriques, où la part du coût des éléments de lithium, nickel, manganèse et cobalt est passée de moins de 5 % à près de 22 % aujourd’hui. La transition énergétique devrait donc continuer d’entraîner une impressionnante hausse des prix, contrairement aux discours rassurants des technocrates.
Métaux : le nouvel or noir, Emmanuel Hache, Benjamin Louvet, éditions du Rocher, 237 pages, 18,90 euros
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