Le prochain tricentenaire de la mort du « grand Roi » risque bien de ne pas être célébré par notre république décadente, de la meilleure des façons.
En modeste contribution réparatrice anticipée, nous voudrions ici conseiller à qui ne l’aurait pas déjà fait, de lire un petit ouvrage de sa main royale. Pour tous les chefs d’états, et plus encore tous les rois, ce serait en tout cas une bonne lecture, même si, comme très souvent, ils n’ont désormais qu’un pouvoir bien fictif.
En 1806, lors de la publication de cet écrit qui n’était pas destiné à l’être, Chateaubriand déplora le titre que lui donna alors l’éditeur : « Le métier de roi », considérant que la royauté n’était pas un rôle qu’on apprend, mais une fonction reçue par la naissance et de par l’onction divine.
Il reste, sauf le respect dû à l’éminent vicomte écrivain, que si « Louis le grand » s’adressait ainsi au Dauphin, et à lui seul, c’était bien selon « l’obligation commune des pères, qui est d’instruire leurs enfants par l’exemple et par le conseil », mais aussi comme ne pourraient le faire ceux qui « n’auront pas régné, et régné en France », car « plus la place est élevée, plus elle a d’objets qu’on ne peut ni voir, ni connaître qu’en l’occupant ».
C’est là le rare et principal mérite d’une oeuvre qui n’en manque pas, et c’est, par exemple, un privilège que Le Prince de Machiavel, tellement encensé de nos jours, ne peut partager. Il serait d’ailleurs fort intéressant de relever les convergences et les divergences entre les deux oeuvres qui ont, en tout état de cause, la même modestie de volume. A notre connaissance, rien ne prouve que la lecture du florentin ait directement inspiré le Roi-Soleil, qui, dans tous les cas, ne partage pas son cynisme. Au demeurant, il ne se réclame ni de cet auteur, ni d’aucun autre, et n’évoque, pour fondement de ses conseils, que son expérience et ses observations. Achevées, pour leur seconde partie, en 1670, avant l’apogée du souverain écrivain, ces mémoires ne bénéficièrent pas effectivement à leur destinataire, mort en 1711 dans les difficiles dernières années du règne de son père.
Certains n’y verront peut-être qu’une série d’auto-justifications. Ce serait oublier qu’il ne s’agit ici ni d’une brochure de propagande d’un candidat à la majorité d’un suffrage populaire, ni du plaidoyer d’un vieillard auprès de son héritier. Si le plus puissant monarque d’Europe dans la force de son âge a distrait, comme il l’a écrit, une partie de son temps précieux, c’est pour une oeuvre capitale en monarchie héréditaire : l’éducation politique de son successeur présumé.
Prénommé « Louis-Dieudonné » en gratitude de sa naissance considérée comme miraculeuse après 23 ans d’attente, Louis XIV fut roi à 5 ans. Se demandant si « n’avoir pas pris d’abord à moi-même la conduite de mon état », de fait jusqu’à 18 ans, était une faute, il veut surtout montrer comment, contraint par « l’état des choses », on se prépare à régner en jetant des « yeux de maître » sur l’état du royaume. Finances, Eglise, Noblesse, Justice, analysées, « le désordre régnait partout ». Il lui restait à ce moment, la rare chance qu’un souverain doit saisir pour bien agir : l’absence de révoltes à l’intérieur du Royaume et de guerre avec l’étranger.
Le bon sens lui dicta d’abord deux principes : accepter l’imperfection, et compter sur « le temps, l’action même, le secours du Ciel » et les circonstances. Après la mort de Mazarin, il prend sa grande décision : « rendre ma volonté bien absolue » à deux conditions nécessaires : « un grand travail de ma part », tous les jours, « c’est par là que l’on règne » quoiqu’en disent les courtisans dans leurs préjugés aristocratiques, et « un grand choix des personnes pour me seconder » donc pas de premier ministre, « partager ma confiance » en une sélection, à son goût, limitée, diversifiée, sûre, et où nul n’est « d’une qualité trop éminente », faire sentir enfin que le Roi est informé de tout, et après d’indispensables conseils, décide souverainement « la décision a besoin d’un esprit de maître », et dispense de même « ses grâces », ce qui rassure chacun.
Il reste la part de l’intuition : « La sagesse veut qu’en certaines rencontres on donne beaucoup au hasard; la raison elle-même conseille alors de suivre je ne sais quels mouvements ou instincts aveugles au-dessus de la raison, et qui semble venir du Ciel (…) ni livres, ni règles, ni expérience ne l’enseignent : une certaine justesse et une certaine hardiesse d’esprit le font trouver, toujours plus libres en celui qui ne doit compte de ses actions à personne ».
Les principales règles une fois posées, suit la mise en ordre du Royaume dans chaque domaine déjà évoqué, des actes symboliques marquant cette prise de pouvoir. Leurs détails décrits par le Roi, peuvent être discutés, non dans le présent article, mais au tribunal de l’Histoire véritable. Il reste que leurs effets positifs, sur cette période du moins, ne sont guère contestables. Il en va de même pour la politique étrangère diplomatique et guerrière, victorieuse jusqu’au-delà de cette période.
Retenons seulement ici, au fil des évocations de ses actions, quelques leçons et recommandations essentielles : « de toutes les fonctions souveraines, celle dont un prince doit être le plus jaloux, est le maniement des finances » sinon ses plus nobles projets sont soumis « au caprice », d’un surintendant par exemple … poste qu’il supprime d’ailleurs après la disgrâce de Fouquet. De multiples mesures concrètes pour assurer l’indépendance économique et financière du Royaume confirment ici cette priorité. La première d’entre elles, en ce domaine, eut pourtant une autre priorité, celle de « soulager mes peuples » car « Nous devons considérer le bien de nos sujets plus que le nôtre propre (…) puisque nous sommes la tête d’un corps dont ils sont les membres », ce qu’illustre notamment « dans le génie de nos français (…) l’accès libre et facile des sujets au Prince » et, pour chacun, le recours possible à lui, par placets.
Pour ce qu’il en est de l’Eglise : « Gardez-vous bien, mon fils, je vous en conjure, de n’avoir dans la religion que cette vue d’intérêt, très mauvaise quand elle est seule, mais qui d’ailleurs ne vous réussirait pas, parce que l’artifice se dément toujours et ne produit pas les mêmes effets que la Vérité » et enfin, pour le rapport entre gouvernements Divin et humain : « Vous devez reconnaître avec soumission une puissance supérieure à la vôtre et capable de renverser quand il lui plaira vos desseins les mieux concertés (…) soyez toujours persuadé d’un autre côté, qu’ayant établi elle-même l’ordre naturel des choses elle ne le violera pas aisément (…) quand elle veut rendre un roi heureux, puissant, autorisé, respecté, son chemin le plus ordinaire est de le rendre sage, clairvoyant, équitable, vigilant et laborieux. »
Ne supposer dans ces propos que souci démagogique de se glorifier publiquement, serait oublier pour quel unique lecteur ils ont été écrits.
Dans le domaine des conquêtes et des relations avec les autres états, ses réflexions font penser par avance à la célèbre phrase de Clausewitz : « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », par l’usage mesuré et raisonné qu’il montre alors de cette continuation.
La place nous manque ici décidément, pour restituer ou commenter suffisamment les richesses et les profondeurs des analyses et des jugements royaux.
Confions alors notre conclusion à deux de ses lecteurs illustres.
Saint-Beuve tout d’abord : « Bien des esprits distingués et sérieux ne s’inquiètent même pas de savoir s’il y a lieu de lire ces écrits attribués aux plus grands noms, et où se vérifie à chaque page la marque de leur génie et de leur bon sens »
et revenons pour finir à Chateaubriand qui, d’un trait amusé, libère le Grand Roi de sa réduction ad statuam : « On est charmé qu’un si beau buste n’ait point une tête vide » !
Cet article vous a plu ? MPI est une association à but non lucratif qui offre un service de réinformation gratuit et qui ne subsiste que par la générosité de ses lecteurs. Merci de votre soutien !