« Le conservatisme n’est pas quelque chose qui vous empêche de monter et d’avancer, mais quelque chose qui vous empêche de reculer et de tomber dans le chaos. » – Nikolaï Berdiaev (expulsé d’URSS en 1922)
. Évoquer son nom suffit à voir surgir le spectre de la « Grande Noirceur », le blocage vers la « modernité ». Avec le recul, certains lui trouvent quand même des mérites. D’autres, obnubilés par ce mythe, ne voudraient surtout pas de sa réhabilitation. Ce mythe que Pierre Elliott Trudeau a contribué à installer durablement dans notre inconscient collectif et qui a malheureusement contaminé le mouvement souverainiste [*]. Ces souverainistes trudeauistes ignorent ce que la cause souverainiste doit à Maurice Duplessis et à l’Union nationale :
« Ceux qui ont eu l’audace, il y a près de trente ans, de créer un parti libre pour un Québec libre [Union nationale], un parti enfin se détachait des formations politiques pan-canadiennes pour ne servir que les intérêts du groupe québécois, ont ouvert la voie de la souveraineté. » (Daniel Johnson, Égalité ou indépendance, 1965, p.19)
Lors d’une période de questions à l’Assemblée nationale, le « souverainiste » Gabriel Nadeau-Dubois a reproché à François Legault de faire « sa meilleure imitation de Maurice Duplessis », en se proclamant « père de la nation québécoise ». La réplique du premier ministre ne se fit pas attendre : « [Gabriel Nadeau-Dubois] nous parle de Maurice Duplessis. Il avait beaucoup de défauts, mais il défendait sa nation. Il n’était pas un woke comme le chef de Québec solidaire. »
Cette anecdote est révélatrice de l’insignifiance politique du chef dit « souverainiste ». Duplessis fit de la défense des compétences du Québec un enjeu existentiel pour la suite de l’histoire, alors que pour GND le woke, « jouer à “ ne touche pas à ma compétence ” avec Ottawa, honnêtement, ça ne [l’]intéresse pas tant que ça. » Legault rétorqua : « Le chat est sorti du sac. »
Craignant que cet épisode ne mène à la réhabilitation du « Cheuf », Jean-François Lisée, l’ex grand conseiller du camp souverainiste, est sorti pour publier un texte convenu par les progressistes sur le dénigrement de Duplessis et son époque (Pourquoi il faut « déréhabiliter » Duplessis, Le Devoir, 25 septembre 2021). Un ramassis de clichés habituels, allant même jusqu’à reprendre les déclarations de Gérard Pelletier, ex co-directeur avec Pierre Elliott Trudeau de la revue Cité Libre. L’organe officiel du dénigrement de notre nation qui a servi de tremplin politique aux Trudeau, Marchand et compagnie. Ces antinationalistes qui, une fois arrivés au pouvoir, nous ont imposé la constitution de 1982 qui se fonde sur la négation de notre statut politique de nation.
On a donc deux souverainistes trudeauistes parmi tant d’autres, incapables d’apprécier ce que la cause doit à Maurice le Noblet Duplessis : un État !
. La souveraineté, une affaire d’État
De quoi la souveraineté est-elle le nom ? Du changement de statut d’un État. Il s’agit d’abord d’une affaire d’État, ce qui suppose un État, et donc l’apparition de l’État du Québec. Ce qui nous amène au rôle déterminant de Duplessis dans l’édification de cet État.
C’est avec Notre avenir politique, publié par un collectif dirigé par Lionel Groulx dans L’Action française en 1922-1923, que fut précisé le cadre stratégique pour parvenir à l’édification d’un État français en Amérique :
« Être nous-mêmes, absolument nous-mêmes, constituer, aussitôt que le voudra la Providence, un État français indépendant, tel doit être, dès aujourd’hui, l’aspiration où s’animeront nos labeurs, le flambeau qui ne doit pas s’éteindre. »
Projet devenu assez précis pour que Groulx puisse déclarer en 1937 : « Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, notre État français, nous l’aurons. » Duplessis va consacrer 15 ans de son action politique pour faire de cette promesse une réalité qui va s’imposer de facto en 1960. Moment où le Québec va cesser de se penser comme une province pour se penser comme un État.
. L’État du Québec a surgi de la « Grande Noirceur »
C’est bien l’État promis par Groulx et livré par Duplessis qui apparaît clairement dans le programme libéral Pour une politique rédigé en 1959 par Georges-Émile Lapalme, lequel, selon ses mémoires (Le vent de l’oubli), s’inspire directement du plan de 1922 :
« Je fis se lever des années de nationalisme québécois dont les sources remontaient à NOTRE AVENIR POLITIQUE des années 20. J’intitulai le tout : POUR UNE POLITIQUE. » (p. 240)
« Le moment est venu de concevoir politiquement l’État provincial comme un phénomène culturel… La vie nationale. La vie culturelle et le fait français. » (p. 241)
L’État du Québec fut donc le produit du conservatisme qui cadre le réalisme en politique. Bref, un État qui surgit de la « Grande Noirceur » et qui va s’imposer comme une réalité aux artisans de la Révolution tranquille :
« Le seul levier dont les Québécois disposent, c’est leur État […], le meilleur d’entre nous » (René Lévesque). [Nos caractères gras.]
« Nous possédons un levier commun, notre État du Québec. Nous serions coupables de ne pas nous en servir. » (Jean Lesage). [Nos caractères gras.]
« Les Canadiens français cherchent à s’identifier à l’État du Québec, le seul où ils puissent prétendre être maîtres de leur destin. » (Daniel Johnson, Égalité ou indépendance, p. 23.) [Nos caractères gras.]
Or, selon Daniel Johnson, ce fut au moment où le Québec a cessé de se penser comme une province, pour se penser comme un État, que la nation culturelle est passée au statut de nation POLITIQUE :
« Ainsi, la nation, phénomène sociologique, tend à coïncider avec l’État, phénomène politique. Dans la mesure où elle atteint à cette identification, elle devient la nation-État. » (Égalité ou indépendance, p. 23). [Nos caractères gras.]
Le juriste Carl Schmitt le confirme : « Le concept d’État présuppose le concept de politique. »
Johnson fut le dernier premier ministre à penser le Québec comme un État et à faire de la souveraineté une affaire d’État. L’apparition de l’État du Québec, que Groulx annonçait, s’étala sur 50 ans. Il ne résulte donc pas d’un souhait du jour de l’An de 1960, mais d’une somme à laquelle Duplessis fit la contribution la plus déterminante.
. La contribution déterminante de Duplessis à l’édification de l’État du Québec
. Les impôts / le défi existentiel
. Hydro-Québec / le développement des régions
. Le patronage / le développement du Québec inc.
. L’autonomisme / le droit à l’autodétermination
1. Les impôts, un défi existentiel
Dans le contexte de la Deuxième Guerre mondiale, le fédéral va « emprunter » aux provinces leurs pouvoirs de taxation directe pour son effort de guerre (1942). La paix revenue, il n’était plus question d’abandonner cette source de revenus. Et surtout pas de redonner au Québec sa capacité fiscale. Car Louis St-Laurent, alors premier ministre du Canada, « craignait que l’impôt provincial n’ébranle l’unité nationale ». (« Maurice Duplessis, l’homme à l’origine de l’impôt provincial », Radio-Canada, 24 février 2015). [Nos caractères gras.]
Duplessis lui aussi en fit un enjeu existentiel en créant la commission Tremblay (1952) ― une confrontation entre deux codes civilisationnels, l’anglo-saxon contre le français. La création d’un régime d’impôt provincial (1954) a permis d’arracher au fédéral 10 % de la taxation directe. Le chef de l’opposition Georges-Émile Lapalme, qui avait voté contre la loi sur les impôts en étant sûr qu’Ottawa ne céderait jamais, conclut dans ses mémoires (Le vent de l’oubli) :
« En janvier 1955, 12 mois après l’exploit de Maurice Duplessis, le fédéral se mettait officiellement à genoux et accordait [10% de taxation directe] plus que ce qu’il avait refusé aux nôtres. » (p. 178)
« Ce recul [d’Ottawa] devait se produire d’une façon dramatique et dommageable pour nous [PLQ], bénéfique pour l’avenir. » (p. 176)
Bénéfique pour l’avenir en effet ! C’est la récupération de ces 10 % de nos impôts qui a permis la Révolution tranquille, tel que rapporté dans l’ouvrage collectif Duplessis, son milieu, son époque, sous la direction de Lucia Ferretti :
« Ce sera après 1960 que le gouvernement Lesage utilisera ce levier financier pour réaliser les grandes réformes qui feront entrer le Québec dans la modernité. » — Frédéric Boily (p. 100) [Nos caractères gras.]
« En fait, Duplessis, par cette décision unilatérale, avec comme arbitre ultime la population, venait de renverser la stratégie centralisatrice élaborée depuis les années 30. L’impôt provincial était la brèche qui allait permettre au Québec de faire sa révolution tranquille dans les années 60. » — René Durocher (p. 306). [Nos caractères gras.]
« Il faut être redevable à Duplessis d’avoir préservé l’autonomie gouvernementale du Québec et assurer le maintien du sentiment qu’ont encore les Québécois de former une nation. » — François-Albert Angers (p. 283)
« Duplessis est vraiment celui qui a doté le Québec d’un État national » — Conrad Black (p. 371)
Et Gérard Bergeron de conclure : « presqu’un coup d’État ! » [Nos caractères gras.]
Lors de l’élection fédérale de 1958, Maurice Duplessis, après avoir mis à genoux le fédéral, va régler son compte au gouvernement de Louis St- Laurent en mettant la machine de l’Union nationale derrière le Parti conservateur de John Diefenbaker. Ce qui va mener ce dernier à une victoire historique. Lapalme rapporte :
« [Duplessis] me confessait cela après la défaite des libéraux. Revenant d’une conférence à Ottawa où John Diefenbaker était devenu premier ministre, il ajoutait ce détail intéressant : “ J’ai rencontré Saint-Laurent là-bas. Ce n’est plus le même homme. Il est fini. ” Je lui ai dit : “ Monsieur Saint-Laurent, si vous croyez que j’ai fait la lutte contre vous parce que vous étiez libéral, vous vous trompez. Écoutez-moi bien : je vais faire la même chose contre Diefenbaker. ” » (p. 179) [Nos caractères gras.]
Témoin de cet épisode durant lequel Duplessis a mis le fédéral à genoux et chassé les libéraux du pouvoir, un jeune avocat proche de Louis St-Laurent, Pierre Elliott Trudeau, voua par la suite une haine du Chef et de tout ce qu’il représentait. De là aussi sa détermination à en finir avec le rapport de force des Canadiens-Français… à l’élimination de son statut politique de nation. Ce que fut la constitution de 1982 !
Après la défaite libérale en 1958, Jean Lesage, qui était ministre à Ottawa, est passé du côté du Québec pour devenir chef du Parti libéral, lequel va prendre le pouvoir en 1960. Celui qui, ministre à Ottawa était contre le retour des impôts au Québec, va dès lors s’appuyer sur le rapport de force créé par Duplessis pour récupérer d’autres points d’impôts du fédéral, en profitant de la faiblesse du Parti libéral, revenu au pouvoir mais minoritaire en 1963.
On doit donc à Maurice Duplessis un rapport de force favorable qui a créé une brèche dans la centralisation fiscale par Ottawa ainsi que d’avoir laissé un Québec pratiquement sans dette, tout en étant la province la moins taxée du Canada. C’est cette capacité d’emprunt qui a permis de financer la Révolution tranquille. Ne serait-ce que pour ces legs, Duplessis mérite toute notre considération.
À cette contribution essentielle au financement de l’édification de notre État, Maurice Duplessis va en ajouter une deuxième : Hydro-Québec.
2. Maurice Duplessis et Daniel Johnson, les deux bâtisseurs d’Hydro-Québec
Juste avant de perdre le pouvoir en 1944, le libéral Adélard Godbout avait créé Hydro-Québec. De cette compagnie sur papier, Maurice Duplessis va 15 ans plus tard en faire une entreprise qui vaut un milliard de dollars (de l’époque). Sa stratégie : 1) vider l’expertise des compagnies privées pour l’amener à Hydro-Québec (évoquée dans la série Les Bâtisseurs d’eau, 1997) ; 2) limiter leur capacité de développement pour ensuite les acheter de gré à gré à bon prix ; 3) l’électrification des régions par des coopératives.
C’est cette stratégie de croissance qui a fait d’Hydro-Québec un géant énergétique en 1960, tel que documenté dans le site Internet de l’entreprise :
« 1945-1959 — Les premières réussites d’Hydro-Québec : À l’aube des années 1960, Hydro-Québec est forte d’une expertise enviable dans les domaines de la production, du transport et de la distribution d’électricité. Depuis sa création, elle a connu une expansion continue sans devoir recourir aux ressources de l’État ou augmenter ses tarifs. Hydro-Québec dispose maintenant de tous les atouts lui permettant de se voir attribuer un mandat plus vaste. Ses exploits en font rapidement un symbole de la Révolution tranquille et lui valent une renommée internationale. » [Nos caractères gras.]
Référence – http://www.hydroquebec.com/histoire-electricite-au-quebec/chronologie/premieres-reussites-hydro-quebec.html
C’est ce potentiel qui a permis à son ministre des Ressources hydrauliques, Daniel Johnson, d’avoir les capacités de lancer Manic en 1959, dont le barrage Manic-5 porte maintenant le nom. Et plus tard, élu comme premier ministre en 1966, de mandater son homme de confiance, le patriote Jean-Paul Cardinal, pour négocier Churchill Falls, qui est le meilleur coup d’Hydro-Québec (13 % de la capacité installée). Rien à voir avec la stratégie du gouvernement Charest qu’est la privatisation des filières énergétiques pour garantir aux compagnies privées des contrats d’achat d’énergie à long terme à prix gonflés, entraînant une saignée de près d’un milliard de dollars par année pour Hydro-Québec. (« 10,2 milliards $ payés en trop à cause des énergies alternatives », Le Journal de Montréal, 4 juin 2018)
Référence – https://www.journaldequebec.com/2018/06/04/102-milliards-payes-en-trop-a-cause-des-energies-alternatives
L’essentiel de la Révolution tranquille
La nation québécoise doit à l’Union nationale l’essentiel de la Révolution tranquille : la récupération de nos impôts et la montée en puissance d’Hydro-Québec. Les deux composantes structurantes menant au moment où le Québec a cessé de se penser comme une province pour se penser comme un État.
Réalisations majeures sans doute mais… il y a eu le « patronage » tant décrié par les opposants au duplessisme !
3. Le « patronage », un mode de fonctionnement de l’État
Rappelons qu’au cours de la période des premiers ministres Louis-Alexandre Taschereau, Joseph-Adélard Godbout et Maurice Le Noblet Duplessis, il n’y avait pas de règles précises encadrant le financement politique. Précisons que les dons politiques menaient au « patronage » mais pas nécessairement à la corruption. Toutefois, pour les libéraux, c’était bien le cas, car ils étaient financés par les grandes entreprises essentiellement anglo-saxonnes qui avaient une influence déterminante et néfaste sur l’orientation politique de notre nation.
Pour se détacher de cette corruption érigée en système sous les libéraux, Maurice Duplessis et Gérald Martineau, le trésorier du parti, ont dû mettre au point un autre système de financement politique fait de modestes dons auprès de petits entrepreneurs canadiens-français (libéraux comme unionistes). En contraignant ces derniers à verser 10 % de leurs profits à la caisse du parti (et non pas 10 % de leur chiffre d’affaires comme certains historiens le rapportent), ce système permettait à l’Union nationale de mener son action politique inspirée du patriotisme.
Cette stratégie avait pour objectif premier de ramifier le champ économique des Canadiens-Français pour le tirer vers le haut. Et non d’enrichir des politiciens véreux, un péché contre le bien commun que n’auraient pas toléré Duplessis et Martineau, deux patriotes voués aux intérêts de la nation.
Rien à voir avec la corruption libérale qui va reprendre en 1960.
Georges-Émile Lapalme rappelle dans une entrevue, qu’à la suite de la prise du pouvoir par les libéraux en 1960, ceux qui avaient aidé le parti « voulaient la moitié de la province ». (Cf. le documentaire Mon père de la Révolution tranquille, à 33 min 24 s.) [Nos caractères gras.]
Référence – https://savoir.media/mon-pere-de-la-revolution-tranquille/clip/mon-pere-de-la-revolution-tranquille
Une autre stratégie s’apparentant au « patronage » : le fer à 1 cent la tonne
Dans le contexte de l’époque, le Québec n’avait ni les capitaux ni l’expertise pour mettre en valeur ses ressources naturelles. D’où la stratégie de Duplessis pour attirer les entreprises américaines en leur offrant l’accès aux ressources mais, en contrepartie, ces dernières devaient assumer le coût des infrastructures : routes, voies ferrées, ponts, ports, etc. C’est ainsi que des régions éloignées ont été peuplées et mises en valeur par des populations attirées par des salaires élevés. Si on compare cela avec la stratégie inverse qui a suivi, soit payer les infrastructures et subventionner les entreprises, on peut se demander laquelle de ces stratégies servait le mieux le bien commun.
La stratégie économique de Duplessis a fait apparaître et grandir un grand nombre d’entreprises contrôlées par des canadiens français, donnant naissance à l’embryon du « Québec inc ».
Ce qui n’empêche pas Jean-François Lisée, déconnecté de son histoire, de conclure dans son texte au Devoir que : « Ses initiatives n’inclurent jamais […] la moindre promotion de l’entrepreneuriat francophone. »
4. L’autonomie de Duplessis a mené… au droit à l’autodétermination
Pour Jean-François Lisée, l’autonomie de Duplessis était un mantra. Il cite Lapalme : « Autonomie électorale, autonomie négative, autonomie verbale, autonomie saugrenue, autonomie de remplissage, autonomie du néant. Mais y a-t-il quelqu’un qui ait mieux doré l’autonomie que lui ? ».
Sauf que ce commentaire de Lapalme fut émis avant le bras de fer sur les impôts qui a amené ce dernier à changer son point de vue sur l’autonomisme de Duplessis, dans ses mémoires (Le vent de l’oubli) :
« C’est ainsi qu’un jour il entra dans le hall de la véritable autonomie en créant la “ commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels ” (12 février 1953). » (p. 170)
« Maurice Duplessis avait engagé sa seule véritable bataille de l’autonomie et l’avait gagnée. » (p. 179)
Duplessis était une bête politique qui avait les qualités de ses « défauts » qu’ils mettaient à contribution pour défendre l’autonomie, un enjeu existentiel pour lui. Lisée cite aussi René Lévesque pour qui « l’autonomie de Duplessis était la “ ligne Maginot derrière laquelle rien ne devait trop changer ” ».
De toute évidence, Lisée et Lévesque ne semblent pas avoir compris que c’est la défense acharnée de l’autonomie par Duplessis qui a produit le droit à l’autodétermination du Québec, le fondement de la cause souverainiste.
Un droit que Daniel Johnson, successeur de Duplessis, va inscrire formellement dans le programme de l’Union nationale en 1965 (Égalité ou indépendance) :
« Une génération a grandi sous le signe de l’autonomie: comment s’étonner que cette même génération et celles qui la suivent, poussant à la limite le principe que comporte l’autonomie, exigent aujourd’hui l’autodétermination et que leurs éléments les plus intransigeants réclament maintenant l’indépendance ? » (p. 18) [Nos caractères gras.]
« […] que cette nation possède, indépendamment de toute constitution et de toute législation positive, un droit naturel, une vocation normale à l’autodétermination. » (p. 42)
L’autodétermination, un droit sacré pour l’Union nationale auquel René Lévesque va toutefois renoncer deux fois plutôt qu’une.
La première fois, au milieu des années 1960, alors que Jean Lesage s’apprête à consentir à la formule d’amendement constitutionnel Fulton-Favreau, que Lévesque, inconscient de sa portée, va défendre devant des étudiants. Ce qui, pour Daniel Johnson, équivalait au renoncement au droit à l’autodétermination :
« Bref, la formule Fulton-Favreau fait du Québec une province comme les autres et rabaisse les Québécois au rang “ d’esclaves ” de la majorité anglophone. Quant au droit à l’autodétermination, on n’ en parle plus. » (Pierre Godin, Daniel Johnson, 1964-1968, p. 26.)
D’où la défense « irréductible » de ce droit « inaliénable » par Daniel Johnson face à Lesage (Godin, p. 10). Une prise de position qui a servi à la relance de l’Union nationale et sa prise du pouvoir en 1966.
Lévesque renonce une deuxième fois au droit statutaire à l’autodétermination dans la foulée de la défaite référendaire, en septembre 1980, à la demande de Pierre E. Trudeau ! :
« [Trudeau] est prêt à inscrire dans la déclaration de principe de la future Constitution le caractère distinct du Québec, mais à une condition : René Lévesque doit biffer de son texte l’expression “ peuple québécois ” pour y substituer “ société québécoise ”. Pourquoi pas ? Le chef indépendantiste accepte même de rayer le mot “ autodétermination ”. La déclaration de principe évoquera donc la volonté d’une province de faire partie “ librement ” de la fédération. » (Pierre Godin, René Lévesque, l’homme brisé, Boréal, p. 55.) [Nos caractères gras.]
On comprend par la suite que cette garantie de Trudeau n’allait pas empêcher Ottawa d’imposer la constitution de 1982 contre la volonté du Québec, dont les effets néfastes s’appliquent malgré son rejet unanime par l’Assemblée nationale.
Alors que Duplessis, la bête politique ancré dans le réalisme politique avait mis le fédéral à genoux et fait de Louis St-Laurent « un homme fini ». Lévesque baignant dans l’idéalisme démocratique est sorti brisé de sa confrontation avec Ottawa. Cela après avoir parié le destin de la nation sur la stratégie référendaire qui n’avait jamais passé le test de la réalité.
Voilà toute la différence des résultats entre le réalisme et l’idéalisme en politique.
. Conclusion
L’Histoire à l’endroit
« L’histoire, ce grand courant sous-jacent souvent silencieux et dont le sens ne se révèle que si l’on embrasse de larges périodes de temps. » – Paul Valéry
. Évoquer le nom de Maurice Duplessis, c’est l’occasion de revenir sur la contribution du conservatisme dans notre longue histoire.
Au regard du temps long de notre histoire, deux périodes distinctes se détachent: le conservatisme et le libéralisme. Nous soutenons que c’est dans la période du conservatisme qu’il faut chercher les clés pour sortir du piège dans lequel notre nation est enfermée depuis la capitulation de Montréal en 1760. Et non dans la période du libéralisme, celle apparue avec les Républicains de 1837-38 et celle ré-apparue en 1960, devenue le cadre référence du mouvement souverainiste.
Ces deux temps forts du libéralisme ont été caractérisés par une poussée radicale vers l’émancipation politique, toutes les deux portée par un idéalisme déconnecté de la dure réalité que supposait le projet.
La défaite des Patriotes a mené à un drame humain du fait de la répression sanglante qui a suivi. Mais aussi à un drame national. D’abord, le Rapport Durham et l’Acte d’Union de 1840. Et, ensuite, la défaite du référendum de 1980 qui a mené à la constitution de 1982.
Donc, à deux changements constitutionnels visant le même objectif : la négation de notre statut politique de nation française en Amérique avec pour finalité notre assimilation.
Suite à la défaite des Patriotes, il était devenu clair que le piège de l’Histoire posait un défi existentiel à notre nation. Ce fut donc un retour de la nation au conservatisme radical incarné par l’Église, servant d’armature étatique qui nous a permis de conserver notre cohésion nationale. C’est cette institution devenue politique qui, durant cette période de 1840 à 1960, a rempli la mission de relever le défi existentiel menant au plan d’émancipation politique planifié par Lionel Groulx. Duplessis arrive au bout de ce long parcours de 120 ans de conservatisme pour faire apparaître de facto notre statut d’État français, assise de notre nation.
Un constat que ceux qui analysent le temps long de notre histoire au travers le prisme du libéralisme, porteur du progressisme, baignant dans l’idéalisme (post-1960), sont incapables de faire. Et pourtant, remettre l’Histoire à l’endroit est un passage incontournable pour recadrer le projet souverainiste dans la réalité.
Duplessis et Johnson : Les deux derniers réalistes dans cette lutte vers l’émancipation politique
Évoquer le nom de Duplessis en écartant le mythe de la » Grande Noirceur », nous force à reconnaître qu’il a joué un rôle déterminant pour placer le Québec dans un rapport de force favorable contre la domination fédérale pour la suite de l’histoire.
Daniel Johnson va pousser cette position jusqu’au point de rupture avec Égalité ou indépendance :
« Sa stratégie consistait, entre autres, à provoquer des affrontements systématiques entre Ottawa et Québec afin de faire évoluer les esprits. Comme son maître Duplessis, il savait que les précédents sont parfois plus importants que les lois. Aussi s’appliquait-il, quand le rapport de force l’avantageait, à poser les jalons et à mettre en place des structures qui donneraient plus de pouvoir et de poids au Québec. Devant l’intransigeance d’Ottawa, il lui aurait suffi, le jour venu, de presser [d’appuyer] le bouton pour déclencher le processus de l’indépendance. » (Pierre Godin, Daniel Johnson, 1964-1968, p. 385.) [Nos caractères gras.]
C’était le moment de doter le Québec d’une constitution républicaine de l’État du Québec. Il prévoyait obtenir un appui de 80 % lors d’un référendum de ratification de sa proposition à la nation (à ne pas confondre avec un référendum d’initiative proposé par la suite par le Parti québécois).
C’était là la pierre angulaire de l’édification de l’État du Québec. Cette étape suivait celle de la « débritannisation » de nos institutions entrepris par Johnson à cette époque, qui consistait « à réduire à peau de chagrin la place des institutions monarchiques au Québec, notamment par la substitution du terme » Couronne » par » État « , par l’abolition du Conseil législatif ou par le remplacement du discours du Trône par un discours d’ouverture » (Amélie Binette, Patrick Taillon et Guy Laforest, Jean-Charles Bonenfant et l’esprit des institution, 2018, PUL, p. 22). Finie l’Assemblée législative, place à l’Assemblée nationale.
Johnson fut le dernier premier ministre à maîtriser une doctrine d’État, sans laquelle une doctrine souverainiste est sans prise sur le réel. Son décès prématuré mis fin abruptement à sa stratégie visant à pousser au maximum le droit à l’autodétermination, jusqu’à la rupture :
« Avec sa mort s’envolait également la position développée dans Égalité ou indépendance. À partir de ce moment, les problèmes vont s’abattre non seulement sur l’Union nationale, mais sur le Québec en entier. » (Pierre B. Berthelot, Duplessis est encore en vie, Les éditions du Septentrion, p. 54.)
Le passage du réalisme à l’idéalisme en politique… une fatalité
« Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors de la réalité. » – Charles de Gaulle
Les souverainistes péquistes qui prirent la relève abandonnèrent le cadre stratégique de Johnson reposant sur le réalisme politique, pour adopter une autre voie inspirée par l’idéalisme politique : l’abandon de l’édification de l’État pour la quête du pays fantasmé qu’on obtiendrait par simple vote démocratique. Exactement la voie suggérée par… le fédéral !
Rappelons que ce référendum d’initiative comme mode d’accès à la souveraineté fut suggéré au Parti québécois par des grands mandarins fédéraux envoyés par P. E. Trudeau (Claude Morin, Mes premiers ministres, p. 482-485). Ce cadre stratégique reposait sur le postulat que le fédéral allait respecter le choix démocratique du Québec.
Que de naïveté de la part de ces rêveurs du Grand Soir !
Il aurait suffi au PQ d’un peu de réalisme politique pour commettre Ottawa quant à une reconnaissance formelle et statutaire de ce droit à l’autodétermination. Ainsi, il serait devenu manifeste qu’il n’était pas question pour le fédéral de reconnaître une éventuelle victoire du OUI. Cette clarification aurait permis au PQ de sortir du piège référendaire, une fatalité pour la suite de l’histoire…
La fatalité : Le résultat du référendum de 1980 a mené à la constitution de 1982, et à l’affaiblissement historique du Québec. La revue L’actualité revient sur l’épisode et ses conséquences (« Nuit des longs couteaux : la vraie histoire. ») :
« Le pari perdu de René Lévesque — Les Québécois ne le savent pas encore, mais le référendum sur la souveraineté-association promis par le Parti québécois lors de son élection en 1976 va nourrir les plans du premier ministre du Canada. Le 20 mai 1980, le chef du PQ, René Lévesque, perd son pari. »
« Graham Fraser : René Lévesque était très impulsif. C’était un joueur de poker. Il avait fait un certain nombre d’erreurs stratégiques fondamentales dans son analyse de la situation, dont celle de tenir un référendum que lui savait qu’il allait perdre. […] [Son] erreur fondamentale a été de mal évaluer comment la perte référendaire aurait des conséquences néfastes pour le Québec. Je pense qu’il continue d’y avoir une certaine perception au sein du Parti québécois que si on gagne un référendum, on gagne, et que si on perd, on ne perd rien. La réalité, c’est que, après les deux référendums, le Québec a perdu. » [Nos caractères gras.]
Référence – https://lactualite.com/politique/nuit-des-longs-couteaux-la-vraie-histoire
Un constat s’impose. La fixation référendaire a mené le Parti québécois à la marginalisation, à l’insignifiance politique. Il y a urgence de sortir les idéalistes du quartier général du camp souverainiste pour y introduire des notions élémentaires de realpolitik : la politique est faite d’intérêt, de rapport de forces et d’effectivité.
Ce sont exactement les règles du jeu adoptées par le fédéral, pour qui la force prime le droit !
Il y a urgence de revoir le cadre stratégique du référendum d’initiative, le piège tendu par Pierre E. Trudeau sur lequel les stratèges souverainistes ont parié sur le destin de la nation… Une fatalité !
Un pari perdant du départ, si bien qu’au bout de cette stratégie, ce n’est plus la souveraineté qui est en péril, mais la nation elle-même qui porte le projet.
C’est dans ce camp souverainiste que l’on retrouve, entre autres idéalistes, Gabriel Nadeau-Dubois et Jean-François Lisée, et d’autres « joueurs de piano », ces progressistes avant tout pour qui la raison d’être du projet souverainiste n’est pas de relever le défi existentiel que pose la domination fédérale à notre nation. Mais plutôt de produire un projet de société dont le progressisme vertueux suffirait à établir le rapport de force pour rendre effectif le choix de la souveraineté. Une pensée magique responsable du déclin actuel de la nation.
C’est dans ce camp souverainiste que l’on trouve les Gabriel Nadeau Dubois, Jean François Lisée et bien d’autres, ces dénigreurs de l’homme qui, solidement ancré dans le réalisme politique, avait bâti un rapport de force favorable à l’émancipation politique de notre nation. Celui qui avait fait apparaître le droit à l’autodétermination, le fondement du projet souverainiste : Maurice le Noblet Duplessis.
Le plus grand premier ministre de notre histoire !
[*] Concernant l’origine de l’expression avilissante « Grande Noirceur » et autres vocables de même acabit, Pierre Berthelot affirme (Maurice Duplessis : mises en récit d’un personnage historique, mémoire de maîtrise, Université de Montréal, 2014, 137 p., note 3 p. 9) : Les termes « Grande Noirceur », « clérico-nationalisme », « monolithisme intellectuel » et l’équation « nationalisme = conservatisme = clergé » paraissent notamment sous la plume de Pierre Elliott Trudeau dans La grève de l’amiante, Montréal, Éditions de Cité libre, 1956. Ils se sont tous solidement enracinés dans les débats intellectuels et, par usage répété, dans les études scientifiques produites depuis les années 1960.
Ainsi, ayant intériorisé la terminologie dénigrante de Pierre Elliott sur la période de 1944 à 1959 illustrée par la montée en puissance de notre nation, les souverainistes trudeauisés goberont ensuite sa suggestion de recourir au référendum (via Claude Morin) pour arriver à la souveraineté !
Bref, celui qui ne voulait surtout pas qu’on arrive à destination nous a indiqué la direction du chemin. Comment se surprendre que ces souverainistes devenus des trudeauistes inconscients nous aient conduits à une série de défaites ?
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