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« Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. On le voit bien avec l’interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au coeur de la vie politique. Pourtant, ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction. Tout s’est construit sur ce malentendu. » Emmanuel Macron

Les réactions aux propos « royalistes » du ministre de l’économie, il y aura bientôt un mois, n’ont pas été moins surprenantes que les propos eux-mêmes.

L’affaire aurait pu être énorme : que le ministre le plus important du gouvernement Valls, jeune, modernissime, sorti d’une brillante carrière bancaire, et conseillé favori du moi-président, fasse sienne une analyse qu’un monarchiste ne renierait pas, aurait dû provoquer un concert d’indignations primaires, et en contrepoint, des interrogations.

Un vulgaire ministre socialiste aurait été sommé par son parti de s’expliquer, de démentir, et de s’excuser, avant d’être expulsé du gouvernement, lequel a décrété que toute mise en question des valeurs républicaines dans leur absolue pureté idéologique contradictoire, engendre ipso-facto l’exclusion de la communauté politique nationale, et s’identifie quasiment au terrorisme et au nazisme. Toute évocation positive d’un élément (et quel élément !) de l’Ancien régime n’entre-t-il pas dans cette catégorie ?

La « vraie gauche » révolutionnaire intégriste ne pouvait que crier à la trahison si éminemment avouée.

A droite, les républicains auto-proclamés se devaient d’exploiter l’incartade tout en s’en démarquant nécessairement.

Le nouveau FN, obsédé de donner des gages et d’expulser de son sein tout ombre réactionnaire, devait faire la même chose.

Les royalistes résiduels patentés auraient enfin pu s’en étonner, voire même s’en servir et s’en réjouir.

Rien de tout cela : aucune Mélenchonade, quelques commentaires de journalistes agacés, moqueurs. D’autres ont relativisé ce qui, selon eux, n’était au fond qu’un petit passage au sein de l’évocation d’une formation philosophique personnelle tellement plus intéressante, puis plus rien. Sidération ? silence gêné ou conspiration du même effet ?

Deux questions s’imposent à nous : pourquoi ce rapide refoulement généralisé ? et en amont, pourquoi ces propos ? Au vu du personnage, l’hypothèse, de l’inconscience ou de la naïveté est invraisemblable.

La seule chance d’espérer des réponses nous semble être dans l’exploration du propos lui-même : d’abord ce qui nous y apparaît le plus sûr, puis le plus douteux, et enfin le plus absent.

Dans la première catégorie se trouve l’affirmation de l’absence du roi, depuis sa mise à mort, forme de « l’incomplétude démocratique » en France. Cette considération a évidemment été comprise de travers par les jacobins obtus et ringards, comme un nouvel avatar d’une nostalgie française qu’ils démentent triomphalement par de grossiers sondages, reflets de la propagande avalée par les masses depuis l’école. Le coupable n’a pourtant pas dit que « le peuple regrette » mais que « le peuple français n’a pas voulu » cette mort, ce qui, si on ne réduit pas ce peuple à la populace sans culotte parisienne surexcitée, est une pure évidence historique.

En réalité ce constat d’absence est plus systémique, et si Emmanuel Macron, comme il le dit, s’est autrefois spécialisé en philosophie politique et s’est particulièrement nourri au réalisme aristotélicien, il ne peut ignorer que, considérant dans La Politique les gouvernements des cités réelles, Aristote constate que les meilleurs d’entre eux, du point de vue du Bien commun, sont ceux qui mixent les « trois espèces de Constitutions » plus exactement nommées dans l’Ethique à Nicomaque : Royauté, Aristocratie, et République, laquelle est le gouvernement des citoyens libres et égaux devant la loi. Cela, dans les proportions qui conviennent selon l’état de la cité dirigée. Si la meilleure Constitution est la première des trois « le Roi (…) n’ayant besoin de rien de plus qu’il n’a, n’aura pas en vue ses propres intérêts », sa déviation, la Tyrannie, est naturellement la pire, devant l’Oligarchie pour l’Aristocratie, et devant la Démocratie qui « n’est qu’une légère déviation de la forme du gouvernement républicain » (Aristote parle ici d’une Démocratie réelle et non de l’imitation que nous en connaissons qui masque le plus souvent une oligarchie et, au besoin, une tyrannie). La mixité des trois formes, si elle respecte les réalités de la cité concernée, lui apporte,  dans les proportions qui lui conviennent les qualités des trois, en la préservant de leurs déviations. Via saint Thomas d’Aquin, cette conception se retrouvera dans notre Ancien Régime.

Le fringant ministre ne s’aventure pourtant pas si loin, se contentant de revenir à des réflexions moins explicites, prolongeant celles de Paul Ricoeur dont il fut l’assistant, sur la « demande permanente de délibération » horizontale et le défaut de « rapports plus verticaux nécessaires à la décision », sans en tirer de conclusion.

Mais l’absence majeure dans son analyse, est le mode de désignation du Roi manquant. Notre ministre philosophe ne s’y risque pas. Ce serait fatalement s’installer dans un royalisme quasi maurrassien qui ne lui conviendrait pas au teint. En évoquant pourtant les « moments napoléonien et gaulliste », tentatives pour « réinvestir ce vide », il souligne implicitement leur échec à le faire durablement, et par là même, celui de toutes les autres tentatives et postures présidentielles. Par conséquent, l’hypothèse dynastique qu’il n’évoque pas, est incontournable pour assurer l’indépendance royale dans la décision, qui, selon Aristote, engendre sa supériorité politique. La solution du monarque officiellement potiche à l’anglaise n’est bien sûr pas évoquée, ne répondant pas au problème posé.

Supposer, comme certains l’ont fait, qu’en soulignant le déficit de verticalité il voudrait seulement justifier, au service de l’oligarchie, un autoritarisme gouvernemental et le mépris de la bureaucratie européenne pour le consentement populaire, ou imaginer une manoeuvre machiavélique tarabiscotée pour pointer la faiblesse du moi-président-normal qui l’a pourtant fait ministre, dans l’objectif de le remplacer par lui-même ou par Manuel Valls, ne nous semble pas à la mesure de la réflexion amorcée. L’idée qu’il se verrait roi, équivaut à le prendre pour l’imbécile qu’il n’est pas.

Conjecturer enfin, dans un complotisme extrême, qu’il veut nous préparer un roi du monde et du peuple élu, illuminati siégeant bientôt à Jérusalem, nous semble manquer quelque peu de fondements indubitables.

La possibilité d’un retour occasionnel à une réflexion sincère quoiqu’incomplète, ne nous paraît donc pas à écarter, en dépit du décalage de celle-ci avec les activités et  les décisions politiques et bancaires de son auteur. Notre virtuose du paradoxe socialiste libéral, se donnerait ici, dans un mépris aristocratique souverain et légèrement décadent, le privilège de ses propres contradictions, et le droit d’un moment mesuré de vraie philosophie politique publique, en dépit des interdits idéologiques auxquels il aurait l’arrogance, dans sa situation, de ne pas se sentir soumis.

La stupeur muette, face à cette brèche majeure qu’on ne saurait voir dans le front bas républicain, lui donnerait raison.

Il y aurait donc là une pensée insolente de la nécessité royale, insuffisante et imparfaite, mais précieusement bienfaisante pour les esprits, dans ces temps d’obscurantisme démocratique, tant en politique, ce qui semble impossible peut néanmoins être nécessaire.

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