Le Collège des Bernardins, ce haut lieu de la chrétienté médiévale, habité jadis par les moines Cisterciens qui se firent l’écho en son sein de l’enseignement catholique le plus élevé, appartient à la France comme la monarchie sous laquelle il connut son rayonnement appartient à la France. St Louis, de si vénérable mémoire, et son frère, Alphonse de Poitiers, de si noble mémoire, en furent les protecteurs zélés, et leurs successeurs surent à leur tour préserver les murs de l’édifice pour déployer, au fil des siècles, les splendeurs du logos catholique.
La rage révolutionnaire, en 1790, celle même qui habite les cerveaux endommagés d’un Mélenchon ou des multiples séides libres-penseurs de notre temps, a bien sûr confisqué et profané l’auguste monument, et transformé le Collège en prison pour y loger quelques dépravés de l’existence. Insulte au Très Haut et vitupération de la plèbe. Les mêmes, répétons-le, grincent encore des dents, car après avoir saccagé ces murs et fait d’eux un grenier à sel ou une caserne de pompiers, voilà que l’édifice est retourné dans le giron de l’Eglise par le rachat du diocèse de Paris au début des années 2000. Des travaux considérables de restauration furent engagés et le Cardinal Lustiger, en dépit du reste, peut être remercié pour cette initiative.
Toutefois, la splendeur retrouvée de l’édifice ne renoue point avec la splendeur de la doctrine et de la science qui devraient y être enseignées. Tout s’y mêle dans la confusion des arts, dans la confusion des colloques et donc dans la confusion des esprits. Il n’est que de se pencher sur l’agenda du Collège des jours à venir pour mesurer la médiocrité du catalogue. De fait, les grands rendez-vous qui se tinrent dans l’enceinte monastique depuis sa restauration, n’apportèrent rien d’illustre à la pensée ni de rassurant quant à l’avenir de la pensée. Et pour cause, la main qui tient l’édifice laisse l’eau de la source divine et royale se jeter dans le caniveau de la trivialité bourgeoise. Le clergé parisien ou même français, à l’image du clergé romain ou même italien, n’est plus le serviteur du beau, du vrai ni du bien, mais celui de l’éphémère, du ployable et de cet humanisme logiquement autocentré sur l’humain.
C’est à cette égérie tristement humaine que le Président Macron est venu rendre hommage le 9 avril dernier aux Bernardins. Moins frêle intellectuellement que ses prédécesseurs à l’Elysée, le tout jeune Président s’est fendu d’un discours moderne sur les relations entre le spirituel et le temporel, dont la substance, ni nulle ni édifiante, apparait, pour cette raison même, inquiétante. Certes, Emmanuel Macron n’est pas un catholique au sens où l’Eglise dans sa Tradition doctrinale et apostolique reconnait-là une telle âme. Une âme qui ne compose pas avec ses adversaires ni ne s’en fait le serviteur ni le gestionnaire. Il y a toujours paradoxe à vouloir servir deux maîtres. Mais il est baptisé, selon sa volonté propre, et se fait, nous avoue-t-il, une plus haute idée des catholiques que tous ceux, dans la classe politique, qui ont cherché à les séduire ou les ont méprisés. Il l’écrit, il le dit.
Il est vrai qu’après un François Hollande, que la révolte intellectuelle soixante-huitarde conduisit de la stupidité proverbiale à la démence morale, et de la fonction de scribouillard administratif à la plus haute charge de l’Etat (!!!) ; qu’après un Sarkozy dont il n’est même plus légitime de prononcer le prénom sous peine de donner encore de la valeur à un personnage qui en est totalement dépourvu, il est vrai, donc, qu’après la dommageable parenthèse de ces deux parasites Elyséens, Emmanuel Macron a du ressort et donne l’illusion du bien faire.
Son discours, devant un parterre acquis à la modernité du propos parce que moderniste lui-même, est un ensemble de virgules humanistes qui associent des figures humanistes entre-elles. Le personnalisme d’Emmanuel Mounier est un humanisme ; la volonté guidée par l’espoir d’un Paul Ricœur, de confession protestante, est un autre humanisme ; les hommes de lettres ou politiques dont il tire sa substance sont tous des humanistes qui regardèrent les différents points cardinaux pour les associer entre eux mais négligèrent le seul Etre qui les dépasse pour les unir selon Sa Volonté à Lui : le Dieu Trinitaire. Qu’il s’agisse de Maurice Clavel, de François Mauriac, d’Henri de Lubac, ou d’Henri-Irénée Marrou, tous ont un parcours dominé par le contraste ou le grand écart. Et tous se retrouvent sous la bannière du personnalisme érigé en doctrine, de l’humanisme et de l’évolutionnisme érigé en processus chrétien. Qu’il s’agisse de Georges Bidault, de Maurice Schumann ou Jacques Delors, tous sont d’authentiques personnels démocrates-chrétiens auxquels il ne disconvient pas de servir deux ou plusieurs maîtres à la fois. Epargnons-nous la référence à De Gaulle, qui est une tarte à la crème infiniment ressassée, la seule que BHL n’ait pas encore prise en pleine figure !
Macron nous joue donc la partition du catholique qui ne l’est pas tout à fait et qui laisse à d’autres le soin de l’être mais pas tout à fait ; il nous joue le couplet du politique qui a bien des impératifs à gérer, des arbitrages à opérer ou des enjeux à mener au nom de la République et sous les remparts de cette même République. Tout le réel dont il nous parle – « cette glaise du réel » – est à façonner selon le vivre ensemble humaniste, qui doit conjuguer les efforts de l’accueil du migrant, le dialogue interreligieux ou les nécessités de la bioéthique dans le respect de la dignité humaine. Le parterre de son auditoire est sous le charme ! Il se laisse tenir par la main.
Car, si le Président attend du catholique trois dons de sa personne : le don de sagesse, le don de l’engagement et le don de la liberté spirituelle, et s’il les assortit de belles formules littéraires – « et je suis convaincu que la sève catholique doit contribuer encore et toujours à faire vivre notre nation » -, il les ordonne aussitôt à cet humanisme républicain qualifié de réaliste : « je suis venu pour vous dire que la République attend beaucoup de vous » !
Une fois encore, et il en fut ainsi souvent dans l’Histoire de France, le temporel administre au spirituel une leçon d’éloquence, l’invite à agir, mais à se plier à son ordre car sans cet ordre le recours au divin manquerait, selon lui, de sagesse. Depuis le ralliement à la République, l’Eglise est la servante de la démocratie. Elle a oublié qu’elle ne devait servir qu’un seul maître…
Gilles Colroy
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