Les hautes instances européennes attendent depuis longtemps le sommet du Partenariat oriental[1] qui doit se dérouler à Vilnius les 28 et 29 novembre prochains. En effet, il était initialement prévu qu’y soit signé un accord d’association et de libre-échange entre l’Union européenne, l’Arménie, l’Ukraine et la Moldavie.
Mais apparemment, l’Union européenne séduit de moins en moins les peuples et les gouvernements, au contraire de la Russie qui semble, quant à elle, multiplier les succès diplomatiques.
Les déboires des tenants de l’Union européenne autour du sommet de Vilnius ont commencé le 3 septembre dernier lorsque le président arménien Serge Sargsian, en visite d’Etat à Moscou, y a annoncé la décision de son pays d’adhérer à l’Union douanière Biélorussie-Kazakhstan-Russie. Ce faisant, l’Arménie exclut de facto tout accord de libre-échange avec l’UE et, a fortiori, renonce à une future candidature à cette dernière.
photo : Serge Sargsian et Vladimir Poutine
Dépitée par ce camouflet, la nomenklatura européiste est passée à la contre-offensive en redoublant d’efforts en direction de l’Ukraine, bien décidée à arracher celle-ci de la sphère d’influence de cette Russie tant honnie des bien-pensants occidentaux. Ainsi, une pression extrêmement forte a été exercée sur Kiev.
Les manières de faire européennes ont poussé Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères, à déclarer : « Si l’on compare notre attitude loyale […] à ce que font certains représentants de l’Union européenne, on ne manquera sans doute pas de constater que, justement de leur côté, une pression plutôt impudente est exercée sur un Etat bien concret, accompagnée d’une déclaration de type ‘vous devez choisir : soit revenir en arrière dans le passé ténébreux, soit cheminer avec nous vers un avenir radieux’. Il s’agit d’un choix souverain de chaque Etat donné. Pas un seul fonctionnaire européen n’a prononcé une telle phrase. Ils disent : vous devez faire votre choix, mais un choix en faveur de l’Union européenne, sinon vous serez perdus. »
Semblant céder aux sirènes de l’Occident, Kiev a résolument engagé l’Ukraine au cours de ces derniers mois sur la voie de l’association avec l’UE, au grand dam des principaux acteurs économiques ukrainiens, ceux-ci prédisant la faillite économique de leur pays en cas d’accord de libre-échange avec l’ouest. L’Union ukrainienne des industriels, par exemple, a fait part à la Commission européenne de son opposition à de nombreux points de l’accord d’association devant être entériné à Vilnius.
Mais voilà que jeudi, le gouvernement ukrainien a communiqué qu’il suspendait la préparation de l’accord d’association avec l’UE, déclarant vouloir renforcer en priorité les relations de l’Ukraine avec la Russie et la Communauté des Etats indépendants (CEI). Le texte signé par le premier ministre ukrainien Nikolaï Azarov annonce la « suspension du processus de préparation de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE afin d’assurer la sécurité nationale, relancer les relations économiques avec la Russie et préparer le marché intérieur à des relations d’égal à égal avec l’Union européenne. ». M. Azarov a également pointé du doigt le coût exorbitant pour l’Ukraine (165 milliards d’euros) de l’adaptation de ses normes techniques à celles de l’UE, donnant ainsi raison aux experts et entrepreneurs ukrainiens opposés au projet d’association. Enfin, Kiev propose à Moscou et à Bruxelles la mise en place d’une commission tripartite pour la coopération sur les questions commerciales et économiques.
photo : Nikolaï Azarov, premier ministre ukrainien, et Vladimir Poutine
Si pour beaucoup en Russie et en Ukraine, la décision du gouvernement de Nikolaï Azarov est un grand soulagement, il n’en va pas de même dans les immeubles de verre de Bruxelles. Catherine Ashton, haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, a qualifié la décision ukrainienne de « déception ». L’ambassadeur russe auprès de l’UE a, pour sa part, décrit la réaction des dirigeants européens de « nerveuse ». « Nous avons toujours dit que l’association avec l’UE et la signature d’un accord approprié était un choix souverain de l’Ukraine. L’Ukraine a fait son choix », a-t-il souligné.
C’est dans ce contexte que, moins de 24 heures plus tard, le premier ministre turc, en visite officielle en Russie, a réitéré le souhait de la Turquie –en froid avec l’UE du fait de la lenteur des négociations d’adhésion en cours- de devenir membre de l’Union douanière[2] ainsi que de l’Organisation de coopération de Shanghai (regroupant la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan). Si l’on ne sera pas mécontent de voir la Turquie s’éloigner de l’Union européenne pour se tourner plus naturellement vers l’Asie, il faut aussi constater que la Russie gagne bel et bien en crédibilité en Eurasie, à la différence de l’Union européenne de plus en plus faible sur la scène internationale.
Il est grand temps de se défaire des œillères idéologiques modernes et de se rendre compte que l’Europe, faute de réaction salvatrice, est en train de sortir de l’histoire…
Baudouin Lefranc
[1] Le Partenariat oriental est un programme de coopération mis en place en 2009 par l’Union européenne pour six Etats d’Europe orientale et du Caucase : l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine. Le programme ne prévoit pas d’adhésion à l’UE, mais bien un rapprochement politique et économique.
[2] L’Union douanière mène déjà actuellement des négociations d’adhésion avec deux autres pays candidats : la Nouvelle-Zélande et le Vietnam.
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