Tu es qui restitues hæreditatem meam mihi. [Ps 15, 5]
Mes yeux ont vu votre salut, que vous avez préparé à la face de tous les peuples.
Par ces paroles, le vieillard Siméon loue le Seigneur de lui avoir accordé le privilège de pouvoir témoigner de l’accomplissement des Prophéties, de pouvoir serrer entre ses bras l’enfant Messie, conduit au Temple pour être offert selon les prescriptions de l’Ancienne Loi. Ce cantique bref mais profond est répété chaque jour à Complies, afin que la prière que l’Église récite à la fin de la journée nous prépare à la fin de notre exil terrestre avec le regard tourné vers Notre-Seigneur.
La fête d’aujourd’hui était dédiée, jusqu’à la réforme de 1962, à la Purification de la Bienheureuse Vierge, et était donc une récurrence mariale de nature pénitentielle, soulignée par la couleur violette des ornements ; tout comme était pénitentielle la nature du rite de purification auquel toutes les mères juives devaient se soumettre quarante jours après l’accouchement (Lv 12, 2). La Sainte Église conserve dans le Rituale Romanum la Bénédiction spéciale pour les femmes qui viennent d’accoucher, qui est maintenant tombée en désuétude, mais qu’il conviendrait de restaurer dans son sens spirituel. Comme pour le rite du Baptême de Notre-Seigneur dans le Jourdain, de même le rite de la Purification n’avait pas de signification stricte ni d’utilité pour la Très Sainte Vierge Marie, puisqu’elle était très pure et sans tache en vertu de l’Immaculée Conception. Par sa soumission à la Loi alors en vigueur, Notre Dame nous donne un exemple d’obéissance aux préceptes religieux, afin que nous n’oubliions pas que nous sommes enfants de la colère et que nous ne méritons la Grâce que par les mérites infinis que le Sauveur a acquis pour nous par Sa passion et sa mort sur la Croix.
La réforme de Roncalli – à laquelle ont travaillé nombre d’experts qui mirent main à la réforme de la Semaine Sainte sous Pie XII et ensuite à l’ensemble du corpus liturgicum avec le rite montinien – a changé le nom de la fête, de Purification de la Sainte Vierge à Présentation dans le Temple de Notre-Seigneur.
La motivation était d’orienter la célébration selon une clé christocentrique – quelque chose en soi licite et qui a donc été bien accueilli par les curés. En réalité, le but des auteurs de la réforme de 1962 était d’ouvrir la fenêtre d’Overton conciliaire, entr’ouverte avec l’Ordo Hebdomadæ Sanctæ instauratus. Le but inavouable, et pour cette raison à garder strictement caché afin de ne pas compromettre les développements futurs, consistait à affaiblir le culte de la Vierge et des Saints – comme on peut le voir, par exemple, à partir de la reclassification des fêtes du Sanctoral – dans une fonction philo-protestante. Nous comprenons alors comment, sous couvert d’un changement inoffensif et doctrinalement acceptable, le désir n’était pas tant de souligner la centralité de Notre-Seigneur dans le cycle liturgique, que de l’utiliser comme prétexte pour exclure la Mère de Dieu, considérée comme un obstacle au dialogue œcuménique. Ainsi, par petits pas, les novateurs ont réussi à nous faire oublier la doctrine de la Médiation et de la Co-Rédemption de la Très Sainte Vierge Marie, sans la nier explicitement.
Les Catholiques savent bien que rendre un culte d’hyperdulie à la Vierge n’enlève rien au culte d’adoration dû à la Majesté divine, mais plutôt rend propice le Fils par sa très auguste Mère, en qui Il a fait des merveilles : quia fecit mihi magna qui potens est. Au lieu de cela, les hérétiques montrent leur horreur à la seule évocation de Notre-Dame, parce que Son humilité et Son obéissance constituent un affront intolérable à l’orgueil et à la désobéissance de Satan, leur père. Et si, dans son infinie sagesse, le Seigneur a voulu que la Vierge Immaculée piétine la tête de l’ancien Serpent, pourquoi devrions-nous prétendre – comme le font les Protestants – traiter directement avec Lui, méprisant la puissante Médiatrice qu’Il nous a donnée au pied de la Croix comme Mère et Avocate ? N’offenserions-nous pas le Seigneur en traitant avec peu de considération et avec méfiance la gloire de Jérusalem, la joie d’Israël, l’honneur de notre peuple ?
Laissons ces observations de côté et méditons sur les mystères de cette fête, où la vraie Religion triomphe de la superstition, supplantant les fêtes païennes préexistantes par le rite de la Bénédiction des Cierges. La Pape saint Gélase voulut instituer cette fête parce qu’à la fin du Ve siècle, il y avait encore à Rome des gens qui se livraient aux cultes des idoles, qui portaient des torches dans la ville. Le Christ, Lux mundi, reprend ainsi possession du symbole de la lumière que les païens Lui avaient usurpé. En ce sens, il est significatif de rappeler l’interprétation mystique de saint Anselme : la cire – dit-il – œuvre des abeilles, est la chair du Christ ; la mèche, qui est à l’intérieur, est son âme ; et la flamme, qui brille dans la partie supérieure, est sa divinité. Chair, âme, divinité : l’union de ces éléments a permis à Notre Seigneur de nous racheter comme Chef du genre humain, expiant la faute infinie d’Adam grâce à la valeur infinie de Son Sacrifice, le Sacrifice de l’Homme-Dieu précisément, offert à la Majesté du Père en réparation du Péché Originel et de tous les péchés commis par tous les hommes jusqu’à la fin des temps.
Quia viderunt oculi mei salutare tuum, quod parasti ante faciem omnium populorum, dit Siméon.
Le salut est un événement étendu à tous et, contrairement au peuple qui fut l’élu, le peuple chrétien ne se distingue pas par la race, mais par l’adoption. Avec le Baptême, en effet, nous sommes constitués enfants de Dieu, ses héritiers et cohéritiers avec le Christ, comme le dit saint Paul (Rm 8, 14-19) et comme le chante le psalmiste : Le Seigneur est ma part d’héritage et ma coupe (Ps 15, 5). C’est pourquoi le salut a été préparé devant tous les peuples ; c’est pourquoi tous les peuples sont appelés à connaître, adorer et servir le vrai Dieu. Laudate Dominum omnes gentes (Ps 116, 1), et adorabunt eum omnes reges terrae ; omnes gentes servient ei (Ps 71, 11).
Lumen ad revelationem gentium, et gloriam plebis tuæ Israël.
La révélation des païens et la gloire du Peuple de Dieu – qui est la Sainte Église – sont intimement liées : sans prédication il n’y a pas de révélation ; et sans révélation il n’y a pas de gloire pour la Jérusalem céleste, pour le nouvel Israël. Mais si les infidélités de la Synagogue en ne reconnaissant pas la lumière du Christ ont causé sa chute et la dispersion de ses enfants, combien plus grand sera le déshonneur pour ceux qui vivent sous la Nouvelle et Éternelle Alliance, renaissent dans le Christ et ressuscitent avec Lui, mais ne prêchent pas le salut que Dieu a accompli par la Passion de Son divin Fils ?
Lorsque Notre-Seigneur a rencontré les scribes dans le Temple, leur expliquant le sens des Écritures et en particulier leur montrant comment les prophéties s’accomplissaient en Lui, la Synagogue était encore fidèle à l’Alliance avec Dieu. Mais lorsqu’Il fut dénoncé par le Sanhédrin à Ponce Pilate avec l’accusation de blasphème – S’étant proclamé Dieu – pour être mis à mort, les Grands-Prêtres avaient renié la foi, aveuglés par la crainte de perdre leur prestige avec la venue du Messie, que les Juifs considéraient comme Sauveur non seulement spirituel, mais aussi et surtout temporel et politique. Leur apostasie les a conduits à faire taire les vérités contenues dans l’Ancien Testament, qui désavouaient leur tentative d’adapter la Religion à la commodité du temps et des circonstances – cette apostasie qui avait mérité tant d’avertissements sévères de la part des derniers prophètes d’Israël. Le peuple juif, tenu dans l’ignorance par l’autorité religieuse de l’époque, était certainement désorienté et scandalisé, puisque sa foi simple lui enseignait que le temps était venu pour la naissance du Messie dans la ville de Bethléem. Pour cette raison, toute une caste sacerdotale – la tribu de Lévi – a été dispersée avec la destruction du Temple par l’empereur Titus : aujourd’hui encore, les files de la Synagogue sont dispersés dans le monde entier sans lieu de culte, et sans pouvoir reconstruire la généalogie des Lévites pour célébrer les sacrifices. Destin terrible d’un peuple, à cause de la trahison de ses prêtres !
Pourtant, face à l’évidence de la sévérité avec laquelle le Seigneur juge ses ministres, surtout lorsqu’ils manquent à leurs devoirs sacrés et trompent les fidèles, les clercs de la Nouvelle Alliance semblent considérer à la légère leurs propres défauts, leurs propres infidélités, leurs propres silences devant celui qui proclame l’erreur et nient ou gardent le silence sur la Vérité. En eux, nous trouvons le même hybris [orgueil], la même folle présomption de défier le Ciel, qui est irrémédiablement punis par la nemesis, qui inflige une punition fatale à l’abus d’autorité et à l’orgueil. Qu’ils s’en souviennent, les tyrans de ce monde, investis de charges civiles et ecclésiastiques, et ceux qui leur rendent un hommage servile de peur de paraître à contre-courant ou d’être pointés du doigt comme « rigides », « fondamentalistes », non « inclusifs » et « divisifs ». Qu’ils y pensent ceux qui, utilisant frauduleusement une autorité dans le but opposé à celui qui la légitime, croient pouvoir dominer sur leurs sujets : nil inultum remanebit.
Approchons donc le Saint Sacrifice avec la sainte crainte de Dieu, en nous purifiant des péchés en recourant fréquemment à la Confession et en récitant avec contrition l’Acte de Douleur dès que nous commettons quelque manquement.
Que notre disposition spirituelle à nous amender et à nous rendre moins indignes des divins Mystères nous aide à accueillir le Saint-Sacrement avec recueillement et ferveur dans la Communion eucharistique : que la Lumière du Christ éclaire nos esprits dans ces moments d’épreuve et enflamme nos cœurs de l’amour de Charité, pour être à notre tour lumière pour éclairer les peuples. Que notre vie soit un témoignage quotidien de vrais enfants de Dieu, afin que nous puissions nous exclamer avec le psalmiste : le Seigneur est ma part d’héritage et ma coupe.
Qu’il en soit ainsi.
+ Carlo Maria, Archevêque
2 Février 2023, In Purificatione Beatæ Mariæ Virginis
© Traduction de F. de Villasmundo pour MPI relue et corrigée par Mgr Viganò
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