Le demi-siècle écoulé depuis les tragiques évènements des Jeux Olympiques de Munich, le massacre des athlètes israéliens et de leurs ravisseurs le 5 septembre 1972, n’a jeté que fort peu de lumière sur une ténébreuse affaire qu’on préfère enterrer définitivement. Des documents clés sur l’attentat sont aujourd’hui encore classés confidentiels, notamment en Allemagne réunifiée, héritière de la défunte RFA de l’époque.
Si, semble-t-il, cette commémoration n’a eu que très peu d’écho dans les médias occidentaux — trop occupés sans doute à dénoncer l’Ogre Russe et rassurer les citoyens-consommateurs — elle a fait l’objet de deux émissions d’investigation : l’une sur la chaîne Internet israélienne russophone Zone Neutre, l’autre sur — horreur — la chaîne russe NTV, animée, il convient de le relever, par le journaliste israélite Leonid Mledchine.
Tout le monde garde en mémoire l’opération de représailles entreprise par le Mossad sous l’égide de Golda Meir, immortalisée par le film de Spielberg « Munich ». En l’occurrence, c’est peut-être l’arbre qui cache la forêt. La logique étant que si les excellents services spéciaux israéliens s’en sont tenus à la liquidation de presque tous les Palestiniens ayant participé à l’organisation de l’attentat, il ne faut pas chercher plus loin. C’est cette hypothèse qui est mise en doute en Israël sur Zone Neutre, tandis que l’émission russe, tout en posant les mêmes questions sur les multiples zones d’ombre du déroulement des opérations, reste plus mesurée.
En effet, les dysfonctionnements du renseignement allemand, tout d’abord, semblent stupéfiants. Cinq attentats palestiniens avaient été perpétrés sur le continent européen au cours des dix mois précédents, cadence impressionnante. Trois semaines avant l’attaque des J.O. de Munich, l’ambassadeur de R.F.A. au Liban avait été prévenu de l’imminence d’une action terroriste aux J.O. Le 2 septembre, trois jours avant l’irruption des terroristes au Village Olympique, l’avertissement de l’ambassadeur avait été transmis aux services spéciaux de RFA qui n’ont pas réagi. Ceci avait été le sujet d’un article dans la presse italienne.
Puis, sur le plan plus large de la sécurité, le chef de la délégation olympique israélienne, constatant le manque de précautions des Allemands avait écrit à la police fédérale pour lui demander un renforcement de la protection. Toujours sans résultat. Zone Neutre, par la voix de son animateur Waldman et celle de son invité, l’expert politico-militaire Simon Tsipis, évoque la possibilité d’une forme d’antisémitisme. Cela paraît hautement improbable. La RFA, dès la fin des années 1940, était sous le poids d’une culpabilité écrasante, répondant avec déférence à toute demande israélienne. Néanmoins, dans toute cette affaire, elle multiplie les fins de non-recevoir. C’est également souligné par le journaliste russe — horreur — Leonid Mledchine.
Il convient toutefois de noter, souligne Simon Tsipis, s’appuyant sur les travaux de Danièle Ganser Les Guerres secrètes de l’OTAN, que l’Allemagne était alors l’avant-poste de la Guerre Froide, que les groupes provocateurs de Gladio y étaient présents comme dans toute l’Europe occidentale. Et qu’un certain nombre d’anciens responsables du Troisième Reich exerçaient encore une activité, notamment dans les réseaux d’espionnage à l’Est Gelhen, constitués pendant l’opération Barbarossa.
Pendant l’attentat proprement dit, les bévues se multiplient. Le groupe allemand de policiers inexpérimentés sur le toit du bâtiment où sont retenus les otages ne dispose même pas de radio pour communiquer avec ses supérieurs. D’après le témoignage d’un de ces policiers, face à des terroristes armés jusqu’aux dents — kalachnikovs et grenades — et apparemment bien préparés, ils n’en menaient pas large, et furent extrêmement soulagés lorsque les autorités allemandes envoyèrent un agent de liaison pour annuler l’assaut prévu. Le policier interviewé en parle explicitement dans l’émission russe — horreur — de Leonid Mledchine. Ensuite, la question est posée aussi bien chez les Israéliens de Zone Neutre que sur NTV — horreur — pourquoi les autorités allemandes, ne disposant pas à l’époque selon elles de personnel formé aux prises d’otages, ont-elles refusé l’intervention d’un groupe de forces spéciales israéliennes entraîné pour ce genre d’occasions ? Une pure question de compétences territoriales ? Une thèse plausible, mais dans l’urgence ? Trente ans à peine après l’Holocauste ?
Puis, lors du dernier acte de la tragédie, on apprend, incohérence de plus, que les commandos de la Bundeswehr — ceux dont elle disposait quand même, finalement — avait été déployés très loin, du mauvais côté de l’aéroport militaire où les terroristes devaient s’envoler avec leurs otages pour un pays arabe. Les tireurs d’élite en poste devant l’avion étaient ceux, mal formés, de la police qui abattirent certains des leurs, notamment le pilote de l’hélicoptère transportant les Palestiniens et leur otages. Le temps que les spécialistes militaires allemands interviennent, il ne restait plus sur le tarmac que des cadavres. Une succession proprement hallucinante de bourdes. Selon la thèse de Simon Tsipis sur Zone Neutre, une « troisième partie » avait intérêt à ce que rien ne transpire, précipitant le massacre. L’émission s’intitule : « Vérité gênante sur les Olympiades sanglantes ». Selon lui, c’est parce que les terroristes palestiniens faisaient partie intégrante des réseaux Gladio, peut-être même à leur insu. Lorsque Waldman , l’animateur, lui fait remarquer qu’Israël a tout avalé sans objection et que ce n’était pas le genre de la « Dame de Fer » israélienne, Tsipis répond qu’il y avait des enjeux stratégiques dépassant l’événement, que le soutien américain était vital, à un an à peine de la Guerre du Kippour. De quoi manger son chapeau.
Sur les questions logiques : comment les terroristes ont-ils atteint la RFA, comment s’y sont-ils déplacés, où ont-ils obtenus les armes, comment ont-ils pénétré le Village Olympique, où ont-ils été entraînés, les chaînes russes — horreur — et israéliennes divergent. Si Tsipis semble faire allusion à un entraînement militaire OTAN — directement ou indirectement — Mledchine propose une vidéo d’entraînement au Liban par l’OLP au maniement d’armes et d’explosifs, au combat corps-à-corps, de jeunes kamikazes. Selon Tsipis, il s’agirait d’un groupe Gladio ayant perdu la boule — on connaît l’instabilité des groupes extrémistes manipulés par les services spéciaux — ce qui expliquerait l’incurie des Allemands manœuvrés et la tuerie finale. Cela expliquerait également pourquoi à une époque de paranoïa extrême en Allemagne due à la Fraction Armée Rouge, les terroristes aient pu échapper à la surveillance, notamment du BKA, le FBI de RFA.
Mledchine, sur NTV — horreur — propose une version légèrement différente de la logistique de l’opération. Selon lui, c’est grâce aux néo-nazis allemands que les Palestiniens ont obtenu faux papiers français et américains, des armes et, détail non négligeable, des amphétamines pour tenir deux ou trois jours. Abou Daoud, organisateur de l’opération, séjournait paisiblement dans le plus grand hôtel de Munich, d’où il coordonnait l’attentat. Il était, selon Mledchine, en contact étroit avec les néo-nazis, ayant la haine des Juifs en commun avec eux. Cependant, cela n’invalide pas tout à fait la thèse de Tsipis — les néo-nazis pouvaient être Gladio. Quelques mois plus tard, on arrêta deux terroristes palestiniens armés jusqu’aux dents chez un ancien officier SS, préparant un détournement d’avion. Comme le disait le journaliste américain Mark Ames sur Radio War Nerd : « De mon point de vue, à moins d’être débile mental, un membre du Parti Nazi américain est forcément un informateur du FBI ». En allait-il autrement des néo-nazis de RFA ?
Sur Zone Neutre Tsipis conclut que l’extermination de tous, terroristes et athlètes, peut venir d’un chantage des terroristes — sous amphétamines au bout de 24 heures sous pression — dans le piège : On va cracher le morceau. Dans ce cas, leurs protecteurs n’avaient plus le choix, il était obligatoire de les faire flinguer, que pas un n’en réchappe. On se souvient de la séquence du film « Munich » où la CIA stoppe le commando Mossad sur le point de liquider à Londres un des derniers cerveaux de l’attentat. Celui-ci est l’agent de liaison américain avec l’OLP.
Ces temps-ci, dans les médias grand public de l’Occident, on évite de dénigrer l’OTAN, libérateur de l’humanité. On a donc préféré ne pas rappeler cette très étrange et sans doute très sordide affaire.
Lorsque ces dossiers seront déclassifiés, ils n’auront plus aucune pertinence — éternel calcul du pouvoir. Ça ne défrisera plus personne. Nous serons déjà tous des robots.
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