Ce jeudi 16 février 2017, à Moscou, une rencontre de travail entre des experts russes, français, allemands, autrichiens et italiens a abordé les questions de migration, de citoyenneté et de la problématique linguo-civilisationnelle.

Voici l’intervention d’Yvan Blot, politologue, docteur en sciences économiques, ancien député de l’Assemblée Nationale et du Parlement Européen.

Aspects conceptuels et politiques de la migration contemporaine

Par Ivan Blot

Il convient d’éviter les approches réductionnistes, juridiques ou économiques, pour étudier le phénomène migratoire. Il faut tenir compte de l’immigration mais aussi de l’émigration qui contribue à appauvrir le pays par le départ des grades fortunes et des jeunes les plus qualifiés. On peut s’inspirer de l’analyse aristotélicienne des quatre causes, matérielles, formelles, efficientes et finales.

1/ La cause matérielle de l’immigration est de nature technique et économique.

La technique facilite les migrations et les voyages. C’est pourquoi aujourd’hui le droit du sol n’a plus guère de sens pour donner la nationalité à quelqu’un. Il faut se limiter au droit du sang automatique. On peut accorder aussi la nationalité au cas par cas (naturalisation). Le prix Nobel Gary Becker a montré que l’immigré profite du capital accumulé par les générations déjà présentes sur un territoire. Il faudrait donc imposer une taxe à l’immigration pour rétablir l’égalité entre immigrés et population de souche. Plusieurs pays ont voulu éviter l’arrivée anarchique d’immigrés en imposant des quotas professionnels (Canada, Australie). En effet, dans de nombreux pays, beaucoup d’immigrés restent au chômage et pèsent sur les comptes sociaux.

2/ la cause formelle de l’immigration est un droit inadapté.

D’une part, beaucoup d’immigrés sont des illégaux et il est difficile de les renvoyer chez eux : cela suppose une bonne connaissance de leur identité (biométrie) et la signature d’accords de réadmission avec les pas d’origine.

En ce qui concerne les immigrés légaux, les critères utilisés (notamment le regroupement familial) sont inadaptés car il faudrait tenir compte du marché de l’emploi réel et mettre en place des quotas. Par ailleurs, outre le poids de l’immigration sur les comptes sociaux, les dangers principaux viennent de la criminalité et du terrorisme.

La criminalité des immigrés dont la culture est très différente du pays d’accueil est élevée : en France jusqu’à un tiers des personnes en prison sont des étrangers. Cette criminalité a un coût qui pèse sur les victimes mais aussi sur les contribuables. Le terrorisme est aussi un danger : le danger n’est pas que dans les terroristes eux-mêmes mais aussi dans une fraction de la population sympathisante qui fournit parfois les moyens logistiques. En France, on considère qu’un tiers de la communauté musulmane qui est mal intégrée dans un pays peu patriote, approuve le terrorisme et l’aide à l’occasion même sans pratique directement des attaques. Cela fait deux millions de personnes concernées pour 2000 personnes fichées comme risque terroriste. Criminalité et terrorisme créent un climat croissant de xénophobie qui déchire le tissu social.

3/ la cause efficiente des difficultés, ce sont les hommes et leurs cultures

L’aspect culturel est très important et il ne faut pas s’en tenir aux seules approches économiques et juridiques. La distance culturelle très forte qui peut exister entre populations de souche et populations immigrées rend l’intégration difficile et créé des heurts entre communautés ethniques.

De plus, la coexistence difficile entre immigrés et la population de souche induit des comportements politiques différenciés : les populations modestes au contact avec l’immigration votent pour des partis populistes. Un fossé de classe se créé et sépare populations qui souffrent et populations qui sont protégées par leurs revenus et leur statut social. C’est ainsi qu’en France les classes bourgeoises continuent à voter pour les partis classiques mais la classe ouvrière a largement rallié le Front National, surtout chez les jeunes (40% des moins de 25 ans votent pour ce parti).

La confiance des citoyens entre la classe politique et une partie du peuple est minée par le problème de l’immigration. Actuellement, 70% des Français trouvent qu’il y a trop d’étrangers en France. Un pourcentage équivalent souhaiterait la mise en place de procédures de démocratie directe et être consultée par référendum sur la politique migratoire. Beaucoup d’Anglais ont voté pour le Brexit par crainte de la politique migratoire laxiste de l’Union européenne. La question migratoire est une des questions qui renforce l’Euroscepticisme des citoyens.

4/ la cause finale de la Nation.

Beaucoup de citoyens ont peur pour le maintien de l’identité nationale et craignent que l’immigration prenne un tour d’invasion. L’intégration se fait difficilement dans un pays où le patriotisme n’a plus été vraiment enseigné et a été critique de façon systématique comme en France. Il faut maintenir l’unité nationale, ce qui suppose de la part de tous les citoyens, immigrés ou non, la connaissance de l’histoire, du roman national, de la langue mais aussi de la littérature.

Les dangers de l’immigration sont liés à la mauvaise gestion des quatre causes examinées ci-dessus : dans le cas de la cause matérielle, l’immigration accroit le chômage et coûte socialement à la collectivité. Il y a spoliation du contribuable.

Dans le cas de la cause formelle, le non-respect des normes conduit à l’augmentation des crimes et des attentats et créé un climat interethnique mauvais.

Dans le cas de la cause efficiente, le fait de négliger les besoins des populations de souche frappés par la coexistence avec des immigrés non intégrés conduit à des affrontements politiques croissants entre populistes et privilégiés : l’immigration mal intégrée devient la cause d’une nouvelle lutte des classes.

Dans le cas de la cause finale mal gérée, des communautés ethniques se forment et deviennent hostiles à la nation elle-même, et cela pourrait conduire à plus long terme à des phénomènes de séparatisme comme on l’a vu au Kossovo.

L’oubli de l’émigration

En France, l’attention est focalisée sur l’immigration et peu sur l’émigration. Or beaucoup de jeunes très qualifiés quittent la France et les personnes qui ont une grande fortune n’hésitent pas à s’expatrier. La raison majeure est la fiscalité, la plus lourde d’Europe. Il y a par exemple quelque 200 000 français à Londres. Un humoriste a pu dire : notre politique consiste à faire sortir les portefeuilles et faire entrer les sans-papiers. C’est exactement l’inverse de la politique australienne par exemple.

Conclusion générale

D’une façon générale, les problèmes posés par l’immigration sont liés à la quantité mais aussi à la qualité des immigrés. Le retour en France d’un million de Français d’Algérie lors de l’indépendance de ce pays n’a guère posé de graves problèmes d’intégration car il s’agissait de Français. De même, la nationalité la plus importante en France, celle des portugais (plus de un million de personnes) ne pose pas de difficultés car il d’agit d’une population de culture latine, chrétienne qui partage l’éthique du travail et l’éthique familiale de la majorité de la population. Les pays d’immigration comme le Canada ou l’Australie ont donné un rôle important aux quotas économiques : ces pays n’acceptent que des immigrés jeunes et très qualifiés. Leur modèle intéresse depuis peu certains hommes politiques français, du Front National mais aussi des Républicains (François Fillon) voire certaines personnalités de gauche (Jean-Luc Mélenchon contre la liberté d’installation ; étude de la Fondation Jean-Jaurès).

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