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Les preuves de l’imposture laïque

Le numéro 110 de la revue Le Sel de la terre offre un sommaire bien garni, avec des études sur les vertus, les principes chrétiens de l’économie, la pénétration du New Age dans l’Église, la mort chrétienne de Guillaume Faye, etc.

Nous reproduisons, avec l’autorisation de la revue, une démonstration de l’imposture laïque qui figure aux pages 126-141 de ce numéro.].

Nous recommandons vivement à tous nos lecteurs qui veulent se former en profondeur de s’abonner à cette excellente revue.

I. Le mensonge de la « neutralité »

Ferdinand Buisson :eutre, l’école laïque ? Non, mais anti-catholique. Ses fondateurs l’ont dit eux-mêmes, et les textes abondent.

Par destination, par fonction, l’instituteur laïque, qu’il le veuille ou non, est placé en bataille, non contre le curé, mais, ce qui est tout autre chose, contre l’Église.

Il faut que l’École soit un instrument de combat contre les dogmes.

Nous poursuivons la campagne d’émancipation laïque au cri de : A bas la neutralité.

La morale de l’école doit être l’extirpation de la superstition divine. L’instituteur doit avoir pour but de ruiner l’idée de Dieu dans le jeune cerveau de ses élèves.

On vous parle de la neutralité scolaire, mais il est temps de dire que la neutralité scolaire n’a jamais été qu’un mensonge diplomatique et une tartuferie de circonstance. Nous l’invoquions pour endormir les scrupuleux et les timorés ; mais maintenant il ne s’agit plus de cela. Jouons franc-jeu. Nous n’avons jamais eu d’autre dessein que de faire une université antireligieuse, et antireligieuse d’une façon active, militante, belliqueuse.

Que la neutralité scolaire ne soit pas ce qu’on avait dit qu’elle était, mais son contraire, cela s’appelle tromperie sur la nature de la marchandise, délit réprimé par la loi. Il faut croire que ce qui est délit en matière commerciale, ce qui est « mensonge » et « tartuferie » est glorieux en politique démocratique.

Émile Devinat, directeur de l’École normale d’instituteurs de la Seine et membre du Conseil supérieur de l’Instruction publique, explique aux instituteurs en congrès à Marseille qu’il est de leur devoir d’enseigner l’anticléricalisme par le moyen de l’histoire et des sciences. Ici encore, il y a mensonge, car il ne s’agit pas d’anticléricalisme mais d’anticatholicisme. Dans ses mains, et dans celles de ses confrères (Guiot et Mane, Aulard et Debidour, Gautier et Deschamps, Calvet, etc.) les manuels d’histoire sont conçus comme des traités de propagande anticatholique.

Les mensonges sont si gros que l’épiscopat doit réagir et condamne ces manuels, le 14 septembre 1909. Jean Guiraud dans son ouvrage Histoire partiale, Histoire vraie (4 vol. Beauchesne 1913-1923) les couvre de ridicule, et leur niaiserie scandalise même Jaurès, peu suspect de tendresse pour la religion catholique.

La neutralité scolaire est donc une prodigieuse tartuferie. Jules Payot, un pontife de l’enseignement public, écrit dans sa revue le Volume, des pages très vives pour démontrer l’impossibilité d’être neutre. Le congrès des instituteurs de la Seine en 1904 proclame que « la conception de la neutralité ne correspond pas aux exigences de l’esprit moderne ». Aristide Briand à leur congrès d’Angers en 1906 : « Il faut délivrer l’école des mensonges confessionnels. » Buisson à celui de la Ligue de l’Enseignement en 1905 : « L’École n’est pas neutre tout court, elle l’est dans la mesure où elle peut l’être en restant laïque d’esprit, laïque de méthode, laïque de doctrine », c’est-à-dire qu’étant relativement neutre, elle ne l’est pas du tout. Aulard en 1908 dans le Matin : « La neutralité scolaire […] un mot qui, si peu qu’on y réfléchisse, n’offre aucun sens ou n’offre qu’un sens absurde ». Ce qui signifie que les fondateurs de l’école laïque, qui en garantissaient la neutralité, étaient irréfléchis, absurdes ou menteurs.

Le début du 20e siècle a vu la naissance ou le changement d’orientation de revues pédagogiques qui font campagne contre la neutralité scolaire : l’École nouvelle de Devinat, l’École laïque, le Volume dont Payot prend la direction, la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur lue par 25 à 30 000 instituteurs sur 120 000 et qui met au-dessus de tout le Catéchisme républicain d’Arnoult où on lit : « Ce n’est pas seulement l’Église qu’il faut tuer, il faut tuer Dieu. » En 1912, un instituteur des Landes tient devant ses élèves des propos contre l’eucharistie. Poursuivi en justice par des parents, et condamné, il est défendu par l’Amicale des instituteurs : il faut « résolument prendre l’offensive et terrasser l’hydre cléricale ».

Déjà, depuis 1895, la Lanterne dénonce en des articles virulents « l’utopie de la neutralité » et demande qu’on enseigne aux enfants « le néant de l’existence de Dieu », qu’on les débarrasse de « l’erreur religieuse ». Et le député Henry Maret, rédacteur en chef du Radical, collaborateur de la Lanterne et du Réveil, maçon du 17e degré, avouait déjà du temps de Ferry que la neutralité scolaire était « une tartuferie au 17e degré ». Franchise prématurée, avec celle de la Lanterne en 1895. Car on aura remarqué la date des autres déclarations contre la neutralité scolaire, toutes postérieures à 1900 : c’est qu’il fallait attendre que fussent parvenus à l’âge électoral un nombre suffisant de jeunes citoyens élevés dans l’anticléricalisme officiel et la neutralité garantie pour pouvoir déclarer que ce n’avait été qu’un piège pour les gogos de la République.

Ce camouflage de l’anticatholicisme sous les mots d’anticléricalisme et de neutralité, Mgr Freppel l’avait dénoncé à la Chambre dès le 11 décembre 1880. L’évêque d’Angers avait exposé que « le silence même de l’instituteur sur la religion » n’est pas un « acte de neutralité » car « ne pas parler de Dieu à l’enfant pendant sept ans, alors qu’on l’instruit six heures par jour, c’est lui faire accroire positivement que Dieu n’existe pas ou qu’on n’a pas besoin de s’occuper de lui ». Encore l’évêque excluait-il courtoisement l’hypothèse selon laquelle l’instituteur donnerait un enseignement positivement antireligieux. La neutralité, scrupuleusement observée, est déjà une négation.

Le témoin est-il récusable ? En voici un autre : Francisque Sarcey. J’ai parcouru la collection d’avant 1900 des Annales politiques et littéraires dont il était un des piliers – il est mort en 1899. Chaque occasion lui est bonne pour inviter à la tolérance : « Soyons tolérants ! Soyons tolérants ! » écrit-il à satiété. Or voici ce qu’il attend de la tolérance :

Nous devons tenir la main strictement à la neutralité de l’école primaire. Pourquoi ? Parce que par là on agit sur la foi elle-même. Ce n’est pas qu’on la combatte directement, puisque l’essence de la neutralité est, au contraire, de s’abstenir de toute attaque. Mais on habitue l’enfant à s’en passer, on le détache lentement de la foi, et c’est bien là l’essentiel.

La neutralité scolaire, même strictement appliquée, est faite pour détruire la foi. Elle a été imposée de force à une population très majoritairement catholique – et qui trouvait tout à fait normal que l’école soit catholique – afin de déchristianiser progressivement la France : l’évêque et le normalien républicain sont d’accord pour le constater, l’un le déplore et l’autre s’en réjouit : on démêle aisément de quel côté est l’honnêteté. Plus tard, Marcel Sembat dira aussi : « Donner à l’enfant des connaissances, sans lui enseigner la foi, c’est la lui ôter. »

Mais ce diagnostic est encore au-dessous de la réalité. Ne pas parler de Dieu, dit Mgr Freppel, c’est le nier. Debidour réplique, citant Macé : « Pouvez-vous me dire quel rapport il y a entre l’alphabet et l’existence de Dieu ? » Il y a déjà ce rapport négatif défini par l’évêque, le normalien et le politicien. Le sorbonnard ne s’y arrête pas et continue : « Non, l’école ne sera pas athée, parce que la grammaire n’est pas athée. » C’est oublier la morale, et l’histoire où il est orfèvre, d’un anticatholicisme virulent. Mais comment l’enseignement de la langue lui-même peut être athée, Giedroye et Larive-et-Fleury, éditions postérieures à 1902, en administrent la preuve : « Petit poisson deviendra grand – Pourvu que Dieu lui prête vie » devient : « Pourvu qu’on lui laisse la vie » et même : « Pourvu que l’on lui prête vie ». Les cuistres de la République tripatouillant La Fontaine, voire le torturant d’une cheville, c’est une forme d’athéisme que Mgr Freppel n’imaginait même pas. En 1958 encore, le vénérable Albert Bayet garantira la neutralité scolaire : « L’idée ne vient même pas à l’esprit qu’il pourrait y avoir une mathématique catholique, une physique protestante, une biologie musulmane. » Il y eut bien une biologie marxiste, celle de Lyssenko… et c’est toujours oublier la morale et l’histoire. Quant à la grammaire, il rabaisse la falsification des deux grammaires que j’ai citées à l’anecdote d’un « instituteur ombrageux corrigeant La Fontaine » et ajoute : « A peine est-il besoin de dire que tout cela ne repose sur rien. » Si ! Cela repose sur la tradition jacobine et son anticatholicisme.

II. Le mensonge du « respect des consciences »

Les partisans de l’école laïque vous sortent alors un autre slogan : il faut respecter la conscience de l’enfant ! A les entendre, imposer magistralement le respect de Dieu serait violer la conscience de l’élève. Mais l’argument est-il honnête de la part d’une école républicaine qui a précisément été fondée pour imposer au peuple des idées qu’il n’avait pas de façon innée et qui étaient, à l’époque, très minoritaires dans la population française ?

Dès 1849, Jules Barni a expliqué qu’imposer aux enfants les dogmes démocratiques est une nécessité vitale pour la République. En 1848, puis en 1849, le caractère « réactionnaire » du suffrage universel a été avéré par les élections à la Constituante et à la Législative. Barni publie alors sur ce problème un travail intitulé : Le suffrage universel et l’instruction primaire :

Mettre à la portée des enfants les vérités philosophiques qui doivent servir de fondement, de soutien, de règles à l’État, les infiltrer dans leurs esprits et dans leurs cœurs par tous les moyens […], voilà ce qu’il faut faire. Lorsque les jeunes générations qui s’élèvent auront reçu cette éducation, alors il n’y aura plus à craindre le suffrage universel.

Programme de viol généralisé des consciences enfantines publié par le journal la Liberté de penser. Glose du protestant libéral Auguste Dide : « Toutes les solutions passées dans la pratique se trouvent indiquées en germe » dans ce travail. « Jean Macé et la Ligue de l’enseignement n’ont fait que reprendre et populariser les principes posés par le jeune professeur [il avait trente ans]. Jules Ferry et Goblet durant leur passage au ministère de l’instruction publique les ont traduites en propositions de loi. » Le viol n’est pas resté à l’état de vœu, il est passé dans les faits.

Jules Ferry chaussait les bottes de Barni déjà dans un discours public du 30 avril 1870 :

Lorsque toute la jeunesse française se sera développée, aura grandi sous cette triple étoile de la gratuité, de l’obligation et de la laïcité, nous n’aurons plus à craindre des retours au passé, car nous aurons pour nous en défendre […] l’esprit de toutes ces générations nouvelles, de ces jeunes et innombrables réserves de la démocratie républicaine formées à l’école de la science et de la raison, et qui opposeront à l’esprit rétrograde l’insurmontable obstacle des intelligences libres et des consciences affranchies.

Des consciences « libres » et « affranchies » ? Ou soumises à une propagande intensive au nom de la « liberté » et de la « neutralité » ?

Vient la République, en effet, et ce programme peut être appliqué à « toute la jeunesse française ». Le fondateur de l’école laïque en donne l’ordre aux instituteurs :

Vous êtes les fils de 89. Vous avez été affranchis comme citoyens par la Révolution française, vous allez être émancipés comme instituteurs par la République de 1880 : comment n’aimeriez-vous pas et ne feriez-vous pas aimer dans votre enseignement et la Révolution, et la République ? Cette politique-là, c’est une politique nationale : et vous pouvez, et vous devez – la chose est facile – la faire entrer, sous les formes et par les voies voulues, dans l’esprit des jeunes enfants.

Les instituteurs laïcs n’ont pas seulement le droit : ils ont le devoir de violer les consciences.

Paul Bert, dans un discours après boire du 15 août 1880 : « Cette lutte doit avoir pour devise : Paix au curé, guerre au moine », car on n’en est encore officiellement qu’à abattre les congrégations. Mais le curé ?

« Quant à son enseignement dogmatique, ne vous en inquiétez pas, laissez-le dire et prêcher librement. N’avez-vous pas vos écoles, où former les jeunes esprits, et les former à la liberté ? » Cette « liberté » consiste, évidemment, à penser comme le veut l’État.

Le même Paul Bert fait, le 21 mars 1880, une conférence sur L’instruction dans une démocratie. Il explique que cette instruction doit faire aimer les institutions démocratiques. Mais l’œuvre de propagande ne s’arrête pas là :

Quand l’instituteur aura dit cela à l’enfant, il faudra qu’il aille plus loin encore. Il devra lui faire remarquer la supériorité du régime démocratique sur le régime monarchique […] lui faire comprendre que [l’homme] n’a rien à attendre des caprices d’en haut, des grâces d’en haut […]. L’introduction dans l’éducation populaire de l’amour des principes de 89 est une loi de défense sociale dans toute l’acception du mot. Car […] la France est divisée nettement en fils de la Révolution et en fauteurs de la contre-révolution. Eh bien ! Nous voulons, le pays veut, les millions de voix qui nous ont donné le pouvoir nous ont donné en même temps l’ordre de faire en sorte que les principes de la Révolution triomphent de leurs adversaires […]. Nous voulons, au nom de la nation, qu’avant peu d’années, les enfants qui sortiront de l’école soient imprégnés à un tel degré des principes de la Révolution, [etc.]

Bref, du bourrage de crâne.

Barthélémy Saint-Hilaire au Conseil supérieur de l’Instruction publique en janvier 1880 :

Comme il faut que la République vive, nous avons non seulement le droit mais le devoir, dans l’intérêt de la société, de diriger l’éducation de la jeunesse dans une certaine voie.

Le journal Le Temps – journal officieux de la République maçonnique commente la fondation de l’école laïque :

C’est le commencement et le germe d’une révolution dans les idées et dans les mœurs dont il est impossible de mesurer la portée. La direction de ce qu’on pourrait appeler l’âme traditionnelle de la France va changer de mains […] Les générations qui sortiront de l’école nouvelle ne ressembleront pas aux anciennes.

C’est l’endoctrinement des masses.

Ferdinand Buisson en 1883 dans un discours à l’Association polytechnique :

Pourquoi l’instruction primaire a-t-elle été rendue laïque, c’est-à-dire indépendante des différents cultes ? Parce que nous n’avons pas le droit de toucher à cette chose sacrée qui s’appelle la conscience de l’enfant, parce que nous n’avons pas le droit, ni au nom de l’État, ni au nom d’une église, ni au nom de la société, ni au nom d’un parti, au nom de quoi que ce soit enfin, d’empiéter jamais sur le domaine de cette liberté de conscience qui est le fond même et la raison de toutes les libertés.

Moyennant quoi, dans la deuxième partie du discours, il explique que ce droit d’empiéter sur le domaine de la liberté de conscience existe pourtant, si l’on procède au nom de l’État républicain, de la contre-Église, de la société démocratique et du parti laïc. L’instruction primaire est « toute une éducation » qui donne aux enfants « tout un trésor d’idées et de sentiments ». Lesquels ? L’école, dit-il à Fontenay-le-Comte en 1887, « ne fait pas les élections, mais elle fait les électeurs ». De quel parti ? Aux obsèques de Jules Steeg, il loue le défunt d’avoir rédigé pour l’école primaire « de merveilleux petits livres » qui font « aimer la République », des « petits manuels d’instruction morale et civique [qui] donnent l’impression profonde d’une foi religieuse qui n’est pas une foi aveugle ; ils font comprendre par quelle filiation légitime, apprenant peu à peu à faire pénétrer du monde mystique au monde réel son idéal de justice et d’amour, l’humanité a pu, après dix-huit siècles, transposer l’Évangile du Christ en cette traduction sociale – la Déclaration des droits de l’Homme ».

Aveu décisif : aveugle ou non, c’est bien une « foi religieuse » que ces manuels inculquent aux enfants, mais contrairement à l’autre elle ne viole pas leur conscience. Parce qu’elle est laïque et républicaine. Ce qui change tout.

Eugène Spüller :

On ne peut fonder la République qu’en renouvelant l’état mental de la France ; ce n’est pas avec des cerveaux monarchiques qu’on fondera la République, mais avec des cerveaux républicains.

Il faut donc former ceux-ci, mais non pas chez les adultes : ce passage est extrait d’un discours à la section rémoise de la Ligue de l’enseignement.

En 1898, Jules Payot, inspecteur primaire dans l’Ardèche, écrit que la laïcisation de l’école est « une œuvre religieuse ».

Le sénateur Debierre, président du parti radical et du Conseil du Grand Orient : « Nous n’aurons rien fait tant que nous n’aurons pas pétri autrement le cerveau des enfants ». Cerveau non seulement manipulé mais maintenant réduit en bouillie.

En 1903, Buisson dit à la Chambre que l’école de l’État donne à l’enfant « le patrimoine de la conscience humaine ». Il revient sur l’instruction primaire qui est « une éducation » : du latin ducere, conduire, ce qui ne va pas sans bousculer la liberté de conscience. Mais le respect des consciences enfantines n’est plus du tout une priorité face à la « religion laïque » que, dit-il dans l’Action en 1911, « l’école de la République enseigne et propage ».

Buisson a recueilli le meilleur de ses articles et discours sous le titre : La foi laïque, avec préface de Poincaré. L’objet de cette foi ? Mme Mauron, qui fut du métier, le dit en citant M. Georges Suffert qui parle des instituteurs :

Le deuxième acte de leur effort a été d’enseigner la République. Ce n’étaient pas des hommes neutres, ils croyaient profondément aux mythes de 1789, on n’accepte pas une vie aussi dépouillée sans une espèce de foi. La République était leur Dieu. [Les cas de conscience de l’instituteur, coll. « Les cas de conscience », Perrin, 1966].

En mars 1912, au cours d’une manifestation dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne présidée par le ministre de l’Instruction publique entouré des principaux de l’enseignement primaire, un millier d’enfants chantent une sorte d’hymne officiel apparemment spontanément jailli de leur libre conscience et dont le refrain proclame : Qu’importe le ciel, nous avons la terre.

Émile Combes invite les instituteurs, réunis en congrès à Marseille, à se faire les « ministres » d’un « culte nouveau ».

Eugène Spüller au Château d’eau le 1er novembre 1880 :

La République sera éducatrice ou ne sera pas.

A Lons-le-Saulnier en 1884 :

[…] cette grande œuvre de la transformation de notre société française, si longtemps monarchique et qu’il s’agit maintenant de rendre républicaine par une éducation moderne de notre jeunesse.

Léon Bourgeois, préface de L’éducation de la démocratie :

Une société ne saurait vivre dans la sécurité et dans la paix, si les hommes qui la composent ne sont pas unis et comme disciplinés par une même conception de la vie, de son but et de ses devoirs. L’éducation nationale a pour fin dernière de créer cette unité des esprits et des consciences.

Ainsi l’école laïque, tout en se prétendant « neutre », enseigne quel est le but de la vie. Et ce n’est pas, on s’en doute, la vision de Dieu dans l’éternité bienheureuse.

Non content d’asservir la conscience des élèves de l’école publique, Dessoye, président de la Ligue de l’enseignement, veut que la République puisse faire la même chose dans les écoles catholiques. Il déclare à la Chambre en janvier 1910 que le gouvernement doit « assurer dans les écoles libres l’enseignement de la liberté de conscience, l’amour de la démocratie et de la République ».

Doumergue, ministre de l’Instruction publique : « Les manuels d’histoire doivent enseigner les gloires républicaines et les conquêtes de la pensée moderne. » Jean Guiraud a montré dans son ouvrage Histoire partiale, histoire vraie, les invraisemblables mensonges que les manuels de l’école laïque répandent alors contre l’Église et contre la France d’avant 1789.

Dans la synthèse de son enquête auprès de 20 000 instituteurs d’avant 1914 (Nous les maîtres d’école, Julliard, 1967), M. Ozouf écrit :

Ils ne peuvent qu’« enseigner » la République. Et leurs supérieurs hiérarchiques leur font – dans les conférences pédagogiques, dans les examens – un devoir de découvrir le difficile équilibre entre un enseignement républicain et la neutralité scolaire.

Combien difficile en effet, au point d’être inaccessible de nature, car, au moins depuis le Ralliement, « vraiment républicain » signifie anticatholique.

  1. André Guérin, en célébrant le centenaire de la République (Hachette, 1973), ne veut avouer qu’à demi que la neutralité scolaire est une tartuferie :

Neutralité scolaire oui. Mais non pas neutralité politique, car l’école ne peut pas ignorer les devoirs envers la République.

  1. Wynock et Azéma:

Les instituteurs ont été tout naturellement les catéchistes de la foi républicaine. Enseigner la République […] cela fait partie de leurs fonctions aussi bien que l’enseignement de l’arithmétique ou de l’orthographe. [La IIIe République, Calmann-Lévy 1970].

L’intention de respecter la conscience des enfants reste pourtant affichée. Ferdinand Buisson dit à la Chambre le 19 janvier 1910 :

N’est pas matière d’enseignement primaire obligatoire, et par conséquent ne doit pas être enseigné autoritairement à l’école, tout ce qui soulève des contestations entre les hommes.

Ce radical se contredit-il lui-même ? Contredit-il les radicaux Bourgeois et Combes ? Il estime sans doute que non, car, dans son esprit, la « religion laïque » dont il est le grand apôtre, la « foi laïque », le « culte nouveau », la « conception de la vie » indépendante de Dieu, sont en dehors de toute contestation de qui que ce soit !

Mais si l’école de l’État n’enseigne que ce que personne ne conteste, que restera-t-il ? Car aujourd’hui, propriété, famille, patrie, syntaxe, orthographe, morale, mariage et nécessité même de l’instruction, sont devenus matière à contestation.

Le mensonge laïc est de plus en plus évident.

III. Le mensonge de l’argument patriotique

Les républicains des années 1880-1914 sont généralement peu nationalistes. Plutôt cosmopolites dans la tradition jacobine, et de plus en plus gagnés sur leur gauche par l’antipatriotisme et l’internationalisme. Mais ils changent totalement d’attitude devant la religion catholique. Face à elle – et seulement face à elle – ils affichent un nationalisme indigné à l’idée d’une « internationale dont le chef est à Rome » et de congrégations religieuses dont le supérieur général n’est pas français.

Gambetta à Nantes, le 16 mai 1873 :

Oui, il faut partout installer le maître d’école, mais un certain maître, un maître d’école sans costume romain, un maître d’école français et non pas un maître parlant une langue dont le véritable dictionnaire, le véritable vocabulaire est au Vatican. [Très bien ! Très bien ! salves d’applaudissements.]

Brisson, le 9 juillet 1875 : les prêtres catholiques sont « élevés au-dessus de l’idée de nationalité par une obédience étrangère ». Paul Bert à Auxerre, le 2 juin 1872 : « Un chef suprême devant les volontés duquel tout doit plier […] qui est un souverain étranger […] en présence des intérêts duquel il n’y a [pour les catholiques] plus de patrie. » Le 14 mars 1880 au Château d’eau : « Élever des citoyens pour la patrie, eux dont la vraie patrie est à Rome, eux qui obéissent à un souverain étranger… »

Cet argument patriotique figure dans l’exposé des motifs de la loi Ferry de 1880 contre les congrégations religieuses enseignantes :

La liberté d’enseigner n’existe pas pour les étrangers ; pourquoi serait-elle reconnue aux affiliés d’un ordre essentiellement étranger par le caractère de ses doctrines, la nature et le but de ses statuts, la résidence et l’autorité de ses chefs ? Telle est la portée des dispositions nouvelles…

Remplacez ordre par parti, et vous avez une assez bonne définition des trois Internationales, c’est-à-dire du parti socialiste dans la période qui nous occupe, plus tard du parti communiste, qui n’ont jamais été interdits, sauf ce dernier pendant une courte période. Mieux : la loi de 1901 sur les associations annule celle de 1872 qui interdit les affiliations à toute association internationale, notamment à l’Association internationale des Travailleurs. Mais en même temps, elle soumet les congrégations religieuses, même d’obédience française, à une autorisation qui leur sera d’ailleurs globalement refusée. L’intention anticatholique est évidente d’une loi qui fait d’organismes catholiques des privilégiés à rebours, victimes d’une loi d’exception.

En 1880, Guesde se rend à Londres soumettre à Marx un programme électoral qui vient d’être ratifié par la Fédération des syndicats. On imagine le concert d’imprécations républicaines si le chef d’un parti catholique ou le secrétaire d’une fédération de syndicats chrétiens avait soumis au pape une affiche électorale.

Rappelons-nous au surplus que les républicains agissent dans les premières années après 1870 en communion d’idées avec Bismarck qui, pour mener son Kulturkampf, reproche à l’Église catholique d’être « une puissance extérieure à l’État allemand ». Elle l’est certainement au luthérianisme et au césaro-papisme qui résume le statut politico-religieux du nouveau Reich. Mais tel n’est pas le cas en France, et les républicains, s’ils n’étaient pas aveuglés d’anticatholicisme jacobin, constateraient que la doctrine des « deux glaives » opérant chacun dans leur domaine propre, mais dans la même intention du bien commun, constitue un modus vivendi acceptable par tout régime non totalitaire.

Le Kulturkampf allemand, étendu à la France parce qu’il affaiblit l’Église catholique dans le monde et la détruit en France comme en Allemagne, a pour résultat d’affaiblir le pays en opposant deux forces dont la nature est de s’entendre. L’anticatholicisme républicain, malgré l’argument nationaliste, n’est pas d’un patriotisme très éclairé.

IV. Le mensonge de l’appel à l’unité

De même nature que l’argument patriotique et, comme lui, valant déclaration d’intention anticatholique car il n’est employé que pour lutter contre l’école libre, est celui de l’unité morale de la France.

Les luttes de doctrines, d’intérêts et autres sont de droit et de fait en démocratie. Les luttes de partis y sont essentielles, et comme ces mots sont laids, contraires au principe de Fraternité et à la Solidarité devenue à la mode, on appelle maintenant cela pluralisme. Si bien que les démocrates n’ont jamais été bien ardents à dénoncer une tare sociale pour laquelle ils ont découvert un euphémisme. On peut même relever fréquemment, dans la bouche de « vrais républicains », des termes militaires – et des plus guerriers – pour dire le fonctionnement de la démocratie dans la période qui nous occupe : ce ne sont que chefs, lieutenants, troupes, assauts, citadelles, combats, luttes, batailles, drapeau à défendre, soldats de l’armée républicaine, machines de guerre, ennemis, désarmement, conquêtes, faire front, objectifs et marche en avant. Paul Bert y excelle : « Le gouvernement que l’assemblée des 363 avait mis à sa tête marchait à l’ennemi » (21 juin 79). « Cette lutte doit avoir pour devise : […] guerre aux moines » (15 août 1880).

Avant le Ralliement, on dénonce les catholiques comme n’étant pas assez républicains. Mais lorsque Léon XIII a encouragé le Ralliement des catholiques à la République, on change de refrain. La République devient une forteresse dans laquelle les ralliés tentent de pénétrer par ruse. Clemenceau, déjà du temps de Ferry, faisait allusion à l’histoire de son pays de Vendée : « La guerre n’est plus dans les chemins creux, elle est à l’école. »

Or, quand il s’agit d’organiser l’école d’État de manière à faire disparaître l’école catholique, ce sont des arguments de paix et d’unité nationale qui sont mis en avant pour la légitimer. C’est l’argument totalitariste de la tradition jacobine inauguré par le programme d’instruction publique de Condorcet à la Législative, de Lepelletier de Saint-Fargeau présenté à la Convention par Robespierre, et de Saint-Just.

Jules Ferry :

Il y a [dans l’école laïque], pour la consécration et le développement de notre unité sociale, des moyens d’autant plus puissants qu’ils s’appliquent à des esprits plus malléables, à des âmes plus sensibles. Oui, voilà le véritable point de vue politique de la question.

Dans un discours du 4 décembre 1874 contre la liberté de l’enseignement supérieur, Challemel-Lacour dit que cette liberté « l’épouvante », car elle s’exerce contre l’unité morale de la France, lui qui donne raison à la Commune.

Dans la même discussion, Paul Bert dit que par cette liberté on a « pour ainsi dire organisé une sorte de guerre civile dans les esprits ». Le même, dans la discussion sur l’article 7 de la loi Ferry qui interdit l’enseignement aux congrégations, dit que l’État a le droit d’examiner si, en remettant aux écoles catholiques l’instruction de jeunes gens, « il ne prépare pas la guerre civile dans un délai plus ou moins rapproché », l’examine lui-même et conclut : « Oui, vous avez préparé la guerre civile dans les esprits. » Rapportant à la Chambre, le 4 décembre 1880, la loi d’obligation scolaire et de laïcité :

L’école laïque doit seule demeurer, car laisser subsister à côté d’elle l’école religieuse, c’est fâcheusement diviser les citoyens dès les bancs de l’école, en leur apprenant d’abord non qu’ils sont des Français, mais qu’ils sont catholiques, protestants ou juifs.

Ribière rapporte la loi, le 4 juin, avec le même argument qu’elle assure « la même unité patriotique et sociale de notre France, de notre République ».

Eugène Spüller : « Il s’agit de savoir à qui appartiendra l’école, et, par l’école, l’avenir, les générations nouvelles, et, suivant la forte expression de Jules Ferry, « l’âme de la jeunesse française » », expression combien forte, en effet, à saveur totalitaire, sans crainte de violenter cette âme. On est très loin de la neutralité ! Et, tout en prônant « l’unité patriotique » de la France, les républicains font régner une atmosphère de guerre civile en multipliant les lois anticatholiques de 1878 à 1914. Quant à « l’unité sociale », ils ne s’en soucient guère lorsque des partis promeuvent officiellement la lutte des classes.

Albert Bayet écrira encore en 1958 :

Le sol de notre pays se couvre d’un blanc manteau d’écoles et chacune est un foyer de concorde au seuil duquel expire le bruit des luttes du dehors.

A soixante-dix-huit ans, il était très dur d’oreille.

V. Le mensonge de l’appel aux Encyclopédistes

Les fondateurs de l’école laïque se réfèrent volontiers aux Philosophes du 18e siècle. Ils diffusent inlassablement la propagande anticatholique de Voltaire. Mais, en matière scolaire, ils n’en disent pas l’opinion, et pour cause : les Encyclopédistes sont opposés à la diffusion de l’instruction dans le peuple.

Eugène Spüller, un des plus ardents propagandistes de l’école laïque, cite Mirabeau, Condorcet, d’Alembert ou Diderot. Il fait à Grenoble une conférence sur l’enseignement et s’y réfère à La Chalotais pour dire que l’enseignement doit cesser d’être « ultramontain ». Il évoque aussi Voltaire qui félicitait La Chalotais de combattre les jésuites et l’incitait à écrire un « plan d’éducation ». Tout cela pour montrer que la République créatrice de l’instruction populaire est dans la tradition des Philosophes. Or ce n’est pas vrai ! D’abord, parce que l’on n’a pas attendu la République pour faire l’instruction du peuple. Ce fut même le contraire : la première République a détruit, sans le remplacer, tout ce qui existait dans ce domaine. Mais surtout, les « Philosophes » du 18e siècle étaient fortement opposés à l’instruction populaire, et particulièrement Voltaire et La Chalotais.

En 1763, en effet, La Chalotais publie un Essai sur l’éducation nationale. C’est le « plan d’éducation » que lui demandait Voltaire. On y lit ceci :

Le bien de la société demande que les connaissances du peuple ne s’étendent pas plus loin que ses occupations […]. [Les Frères] apprennent à lire et à écrire à des enfants qui n’eussent dû apprendre qu’à dessiner et à manier la lime.

Il envoie son travail à Voltaire qui répond :

Je vous remercie de proscrire l’étude chez les laboureurs. Moi qui cultive la terre, je vous présente requête pour avoir des manœuvres et non des clercs tonsurés. Envoyez-moi surtout des frères ignorantins pour conduire des charrues et les atteler [c’est-à-dire en être l’attelage].

Voltaire encore :

Une plume suffit pour cent habitants.

Et encore, à Damilaville :

Je vois que nous ne nous entendons pas sur l’article du peuple que vous croyez digne d’être instruit. J’entends par peuple la populace qui n’a que ses bras pour vivre [ les prolétaires]. Il me paraît essentiel qu’il y ait des gueux ignorants.

Et encore :

Il ne faut au peuple que ce qu’il faut aux bœufs : un joug, un aiguillon et du foin.

Pour Rousseau, toujours moralisateur et attaché à sa théorie du bon sauvage, ce qui civilise l’homme est mauvais et doit être éliminé : la science n’est que le fruit de la haine, de la flatterie, du mensonge, de l’avarice, de la vaine curiosité et de l’orgueil, sauf quand on lui mettait une sonde pour le faire pisser.

Bouche, député de la Provence aux États-Généraux et un moment président du Club des Jacobins, auteur d’un Tableau de la Provence et d’un Droit public de la Provence, écrit :

Il y a peu de bonnes villes de Provence qui n’aient leur collège pour l’éducation de la jeunesse ; les plus petits villages ont leurs écoles. Ces établissements, trop multipliés, sont plutôt un mal qu’un bien : ils enlèvent à l’agriculture et aux arts – à l’artisanat – beaucoup de bras qui leur seraient utiles.

Et encore :

En 1757 les Frères des Écoles chrétiennes furent introduits [à Marseille]. Ce fut un grand mal pour l’agriculture : un peuple artisan et cultivateur est plus utile qu’un peuple liseur et calculateur.

Les républicains des débuts de la Troisième, nourris de la moelle des Encyclopédistes, n’ont pas la même opinion sur l’instruction du peuple et veulent la généraliser par l’obligation et la gratuité. Pourquoi cette trahison envers leurs grands Ancêtres ? L’explication est évidente. Au 18e siècle, l’école ne valait rien parce qu’elle était œuvre d’Église. Cent ans après, l’école aux mains de l’Église ne vaut toujours rien, voyez Paul Bert. Dans une conférence au Cirque d’hiver le 28 août 1881, il attaque l’école catholique, « école de l’imbécillité, école de l’antipatriotisme et de l’immoralité », qui « engendre l’inaction, l’inertie et la superstition », tandis que l’école laïque développe l’activité, la science et « le progrès ». Discours suivi des chaudes félicitations de Gambetta qui présidait. L’école, qui ne vaut rien aux mains de l’Église, vaut tout dans celles de la République, et c’est même la première chose dont il faut qu’elle s’occupe, parce qu’elle a le moyen d’arracher aux prêtres l’instruction du peuple, pour faire des républicains sans Dieu, voire contre Dieu.

Voyez aussi le député socialiste Maurice Allard dans la Lanterne du 10 novembre 1900 :

La République, chargée de faire des hommes de science et de progrès, laissera-t-elle toujours l’Église maîtresse de faire des hommes de superstition, de réaction et d’ignorance ? Nos gouvernants, sous la suggestion menteuse du vain mot de liberté, permettront-ils toujours à des individus acéphales et pervers, groupés en congrégations sous le fallacieux prétexte d’adorer un dieu quelconque, de s’emparer des jeunes générations de la République et de les façonner à leur image ? Pour défendre la République, ne faut-il pas tout d’abord s’efforcer de faire des républicains et d’empêcher les moines de faire des anthropopithèques ?

[Extrait de la revue Le Sel de la terre n° 110, p. 126-141.]

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