LES ENNEMIS DE SUMMORUM PONTIFICUM VEULENT LA GUERRE

(Lire aussi : La messe en latin dans le collimateur du pape, par Francesca de Villasmundo)

« Vous allez avoir un nouveau Motu proprio dans les prochains jours ou semaines », a dit le 26 juin Mgr Minnerath, archevêque de Dijon aux fidèles de la messe traditionnelle venus manifester devant l’évêché leur mécontentement. » Mais avant même la parution de ce texte, si tant est qu’il soit bien publié, les témoignages sur les intentions des ennemis du précédent motu proprio, celui de Benoît XVI se multiplient :

  • Ainsi, le Cardinal Parolin, Secrétaire d’État, a affirmé devant un groupe de cardinaux : « Nous devons mettre fin à cette messe pour toujours !»
  • Et Mgr Roche, nouveau Préfet de la Congrégation du Culte divin, a expliqué en riant à des responsables de séminaires de Rome et des membres de la Curie, tous anglophones : « Summorum Pontificum est pratiquement mort ! On va redonner le pouvoir aux évêques sur ce point, mais surtout pas aux évêques conservateurs ».

Il faut par ailleurs savoir que Mgr Minnerath, qui a ouvert les hostilités contre la communauté traditionnelle de Dijon, est membre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et se retrouve de ce fait tous les mois à Rome, immergé dans les milieux de la Curie qui ont préparé l’offensive contre Summorum Pontificum.  Le motu proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI de 2007 était un compromis qui établissait ingénieusement une coexistence entre la messe de Paul VI et la messe tridentine, autrement dit, c’est vrai, entre l’eau et le feu. Il reste que la paix instaurée a été largement plébiscitée par le peuple chrétien, qu’il assiste ou pas à la messe ancienne, comme l’on démontré tous nos sondages. On sait, depuis que le pape en a parlé à la Conférence des Évêques d’Italie le lundi de Pentecôte, que le texte nouveau réduira la possibilité des prêtres diocésains de célébrer la messe traditionnelle. En outre, des mesures devraient intervenir pour conduire les prêtres des instituts Ecclesia Dei à célébrer aussi la messe nouvelle et pour faire entrer tant cette messe nouvelle que le magistère conciliaire dans la formation donnée dans les séminaires de ces communautés.

Les partisans de la réforme liturgique ont pris conscience de l’importance du monde traditionnel

L’exaspération, qui anime les partisans de la réforme liturgique devant l’opposition qu’ils ont rencontrée depuis l’origine, a été ravivée avec l’arrivée du pape François. Elle ne cesse de croître au fur et à mesure que le temps passe et que le pontificat va logiquement vers son achèvement : il faut en finir au plus vite avec cette opposition au Concile à laquelle le pape Benoît XVI avait donné un espace de liberté liturgique. L’offensive a été menée par un groupe de pression à la Curie et chez les évêques italiens qui s’est employé à faire comprendre aux décideurs romains que les deux messes en présence, la messe traditionnelle et la messe nouvelle, représentaient deux états doctrinaux incompatibles : celui de Vatican II et celui d’avant Vatican II. La grande idée d’Andrea Grillo, professeur de liturgie à l’Université romaine Saint-Anselme, est que Summorum Pontificum a introduit un état « d’exception liturgique » aberrant, qui met la liturgie traditionnelle et la liturgie nouvelle sur un pied d’égalité, ce qui est monstrueux et insupportable*. En outre, ces conciliaires purs et durs ont fini par comprendre que le monde traditionnel, avec ses prêtres, ses fidèles, ses œuvres, ses écoles, qu’ils affectaient de considérer comme marginal et méprisable, représente en réalité un poids non négligeable, d’autant que le monde conciliaire quant à lui s’épuise et s’étiole toujours plus. D’où cette volonté de faire rentrer la galaxie Summorum Pontificum dans le droit commun. Sans doute ce qui concerne la liturgie traditionnelle et ses acteurs spécialisés, les prêtres des communautés Ecclesia Dei, sera désormais du domaine de compétence de la Congrégation pour le Culte divin, qui est par sa fonction en charge de la liturgie nouvelle. La forme extraordinaire sera dès lors subordonnée au droit commun de la forme ordinaire. Ce qui pourrait être très onéreux, par exemple, si on conditionnait l’autorisation de célébrer en forme extraordinaire à la participation à intervalles réguliers à la liturgie nouvelle, ou bien à l’utilisation du calendrier de la forme ordinaire, ou encore du nouveau lectionnaire. Le tout à la discrétion des évêques diocésains, auxquels serait confiée la gestion de cette « tolérance », la Congrégation pour le Culte divin leur donnant toujours raison contre les prêtres, les fidèles et les communautés Ecclesia Dei. Les évêques conservateurs étant quant à eux, comme le sous-entend Mgr Roche, sous surveillance.

Les colombes et les faucons

Pourtant, le présent pontificat, celui d’un pape qui a déjà 84 ans, paraît entrer dans une phase difficile. Les oppositions à sa ligne libérale ont toujours été très fortes chez les conservateurs et les traditionnels. Mais en outre, il rencontre désormais une grogne auprès d’un certain nombre de ceux qui le soutenaient jusqu’à présent. Plus qu’une grogne, une hostilité déclarée. L’historien Alberto Melloni, directeur de la fondation Jean XXIII, dite aussi École de Bologne, est un intellectuel de grand poids dans le catholicisme progressiste italien. Il a publié le 14 juin, dans le plus grand quotidien de gauche, La Repubblica, auquel il donne régulièrement des articles, un avertissement solennel au pape intitulé « Il giugno neo della Chiesa », Le juin noir de l’Église (allusion à ce que les historiens de gauche nomme « La semaine noire du Concile », cette semaine où se déroula la plus grave crise dans le déroulement de Vatican II). Melloni fait la liste des mauvais procédés de François contre des personnages pourtant proches de lui, dont il s’est fait des ennemis : la manière dont il a refusé par une lettre rendue publique la démission cardinal allemand Marx ; la confirmation du renvoi d’Enzo Bianchi, grand ami de Melloni, en raison de « problèmes graves dans l’exercice de l’autorité » du monastère ultra-œcuménique de Bose ; la visite d’un commissaire, ordonnée à l’encontre de la Congrégation pour le Clergé après la démission du cardinal Stella, 80 ans, un des piliers du pontificat bergoglien ; le contrôle économique lancé contre les services du Vicariat de Rome du cardinal De Donatis ; la perquisition lancée pour nourrir les charges estimées trop faibles contre le cardinal Becciu, accusé de malversations économiques à Londres quand il était Substitut de la Secrétairerie d’État. Et Melloni de conclure : ou bien François est entouré de conseillers qui sont des brutes, ou bien il est resté l’autoritariste qu’il était quand il dirigeait la Compagnie de Jésus en Argentine. Que le pape prenne garde : « Il se prépare une tempête ! ». Une partie de la « gauche » cherche donc à se dédouaner d’un mode de gouvernement chaotique. On ne s’étonne pas dès lors que certains prélats, peu amis par ailleurs de la liturgie ancienne, donnent à François des conseils de prudence : ce n’est vraiment pas le moment d’ouvrir aujourd’hui une nouvelle guerre liturgique. Ils rejoignent le cardinal Ladaria, « à droite », qui qui a freiné des quatre fers sur ce dossier. Ce faisant, ces colombes se démarquent des faucons de la Secrétairerie d’État et de la Congrégation du Culte divin. Les faucons semblent l’emporter : « Nous devons mettre fin à cette messe pour toujours ! » (Cardinal Parolin) ; « Summorum Pontificum est pratiquement mort ! » (Mgr Roche).

Le front du refus se prépare

Un front du refus se prépare, comme le laisse prévoir le bruit soulevé par la révélation du tripotage de Summorum Pontificum, et relayé par la grande presse italienne. Va-t-on vers un retour à la situation des années 70, quand fut promulgué le nouveau missel de Paul VI ? Avec cette différence que l’institution romaine et les épiscopats nationaux sont aujourd’hui infiniment plus faibles. À Dijon les prêtres du diocèse et des fidèles qui fréquentent encore les églises ne comprennent pas la politique de l’archevêque, illisible pour eux. C’est à l’évidence ce que sera la réaction de l’ensemble du peuple chrétien, à l’exception des aires les plus progressistes : l’incompréhension. Pourquoi rouvrir les vieilles plaies ? Pourquoi prôner l’œcuménisme ad extra, mais le refuser ad intra ? Pourquoi faire montre de si peu de miséricorde ? Et cela dans un contexte de réduction dramatique du catholicisme. Andrea Riccardi, personnage principal de la Communauté de Sant’Egidio, qui est tout le contraire d’un conservateur, dans un livre récent, où il considère l’incendie de Notre-Dame de Paris comme une parabole, traite de la disparition sociale annoncée de l’Église : La Chiesa brucia. Crise e futuro del cristianesimo (Tempi nuovi, 2021), L’Église brûle. Crise et futur du christianisme. Il analyse pays par pays, en Europe, l’effondrement du catholicisme. Dans la conclusion, il fait bien sûr preuve d’un espoir obligé sur le thème « la crise n’est pas le déclin », mais il a auparavant lancé, lui aussi, nombre de petites phrases assassines : « de nombreux catholiques sont passés de l’enthousiasme pour Bergoglio à la désillusion », « la solution ne viendra pas d’une réforme ». Et puis aussi ce constat : « Le traditionalisme est une réalité de quelque importance dans l’Église, aussi bien dans l’organisation que dans les moyens ». On promet l’extermination aux catholiques attachés à la messe traditionnelle : « Nous devons mettre fin à cette messe pour toujours ! » (Cardinal Parolin) ; « Summorum Pontificum est pratiquement mort ! » (Mgr Roche). Les catholiques traditionnels vont connaître des temps difficiles si la bienveillance romaine, plus ou moins suivie par la bienveillance épiscopale, était déchirée. Mais croit-on qu’ils vont se laisser faire ? Il se pourrait bien que, dans l’épreuve de force qui se prépare, ce soient les gardiens de la liturgie du Concile qui aient le plus à perdre.

Source : La Lettre de Paix Liturgique n° 805 du 28 juin 2021

* Par exemple, Andrea Grillo : « Il peccato dell’Ecclesia Dei si chiama Summorum Pontificum », Le péché d’Ecclesia Dei se nomme Summorum Pontificum, sur le site Munera.

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