Le doute qui pouvait subsister sur les intentions américaines en Syrie a été levé par Rex Tillerson. Dans un discours prononcé le 17 janvier à Stanford, en Californie, le secrétaire d’Etat américain a annoncé que l’armée américaine resterait en Syrie jusqu’à ce que l’Etat islamique soit totalement vaincu.
« L’EI ne doit pas refaire surface » a-t-il précisé, ajoutant qu’il ne fallait pas renouveler l’erreur de 2011, lorsque les Américains se sont retirés d’Irak permettant à Al Quaïda de prospérer.
Il aurait pu préciser que c’est l’invasion américaine de l’Irak qui a engendré la création d’Al Quaïda, inexistante jusque là tant le régime de Sadam Hussein était vigilant dans sa traque contre les islamistes….
Cet argument contre une éventuelle résurgence de Daesh est assez peu crédible : certes, plusieurs milliers de combattants tiennent encore quelques poches dans les provinces de Deir ez-Zor et d’Idleb, mais chacun sait qu’ils sont bien incapables de recréer un califat. D’ailleurs de nombreux islamistes sont partis en Libye, en Asie du sud-est et dans le Caucase (quelques uns en Europe également…), prenant acte de leur défaite en Syrie.
Les vraies raisons sont ailleurs et Tillerson ne les cache pas : il faut d’abord contrer l’expansion de l’Iran et « un désengagement américain » fournirait à l’Iran « une occasion en or de renforcer encore davantage ses positions en Syrie ». Cet argument n’est pas nouveau et peut se compléter par le souci de lutter contre tout ce qui pourrait menacer Israël. Il ne faut jamais oublier que la protection de l’Etat hébreu est le vecteur numéro un de la politique extérieure américaine au Proche-Orient. Et ce, quel que soit le Président élu.
Le troisième argument en revanche est nouveau depuis l’élection de Trump : pour la première fois en effet Tillerson évoque le départ d’Assad afin de « créer les conditions pour une paix durable. » Or, « un retrait total du personnel américain à ce stade aiderait Assad à continuer de brutaliser son propre peuple. »
On connait l’antienne depuis le début de la guerre, complaisamment relayée par les medias, du tyran qui tue son propre peuple, comme si les dizaines de milliers de syriens assassinés par les islamistes ne faisaient pas partie du peuple…Les récentes scènes de joie dans les rues de Deir ez-Zor libérée de Daesh par l’armée syrienne en sont un démenti cinglant.
Mais au-delà la désinformation rituelle, ce discours marque un tournant dans la politique américaine.
Obama, échaudé par le champ de ruines provoqué par l’invasion américaine de l’Irak, s’était prudemment tenu à l’écart du conflit, se contentant de bombardements réguliers et..inefficaces (sauf pour aider les Kurdes).
Pendant sa campagne, Trump avait indiqué à plusieurs reprises qu’il s’occuperait d’abord de l’Amérique, rejetant la doctrine interventionniste des néo-conservateurs chers aux Bush. Il a manifestement changé d’avis.
Tillerson a en outre ostensiblement ignoré le rôle joué par la Russie en Syrie. C’est assez cocasse car au-delà d’Assad et de l’Iran, c’est l’intervention russe qui a décidé de l’issue du conflit. Et il ne faudrait pas oublier non plus que c’est elle qui a la maîtrise des airs : même Washington devra en tenir compte.
Le discours du secrétaire d’Etat a été prononcé quelques jours après l’annonce de la formation de 30 000 combattants FDS (force arabo-kurde) par les 2000 soldats américains présents dans le nord de la Syrie. On se sait pas très bien à quoi ils vont être utilisés mais dans le chaudron que sont devenues la province d’Idleb (dernier territoire aux mains des islamistes) et la frontière turco-syrienne, l’installation de cette armée privée au service des Etats-Unis risque bien de déclencher un nouveau cycle de violences.
La Turquie a été, comme on pouvait s’en douter, la première à réagir. Pour elle en effet cette milice pro américaine de 30 000 hommes est un casus belli : largement dominée par les Kurdes, elle peut être l’élément armé qui permettra la constitution d’un territoire kurde autonome le long de la frontière turque.
Damas avait d’ailleurs violemment contesté la décision américaine, prélude à une possible et inacceptable partition de la Syrie.
Le 20 janvier Erdogan a donc donné l’ordre à l’armée turque d’attaquer l’enclave kurde d’Afrin, située au nord-ouest de la province d’Idleb. On ne sait pas si les Russes ont donné explicitement leur accord, mais il est certain qu’après une accalmie de plusieurs semaines, la situation est redevenue explosive. Pendant ce temps, au sud-est de la dite province, l’armée syrienne poursuit son offensive contre Al Nosra et ses alliés islamistes. La base aérienne d’Abou Al-Douhour, aux mains des islamistes depuis 2015, vient d’ailleurs d’être reprise par l’armée après de furieux combats.
Le nord-ouest de la Syrie concentre donc de multiples intervenants aux intérêts antagonistes : Turcs, Kurdes, islamistes, et bien sûr, l’armée syrienne épaulée par l’aviation russe. Dans cette mosaïque complexe, les initiatives américaines semblent relever d’une politique d’apprentis sorciers.
Décidemment, les Américains n’ont pas retenu grand-chose des leçons du passé.
Antoine de Lacoste
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